Mahomet et Charlemagne, in Histoires de l’Europe, Oeuvres choisies
Réédition le 28 septembre 2023
1504 pages
35 €
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Thème
Gallimard réédite ces temps-ci des oeuvres choisies d’Henri Pirenne, sous le titre Histoires de l’Europe : Oeuvres choisies. Dans cet ensemble de textes consacrés à l’Histoire de l’Europe, les pages dédiées à l’effondrement de la civilisation romaine, sous le titre Mahomet et Charlemagne, offrent une vision de la période qui sépare 476, date officielle de la fin de l’Empire d’Occident, de la dynastie carolingienne au IXème siècle, vision qui, dans une Europe contemporaine en proie à l’immigration et au multiculturalisme, peut conduire à des parallèles et éveiller des échos intéressants.
Points forts
La thèse de Pirenne est originale et d’ailleurs très contestée par nombre d’historiens.
Que nous dit Pirenne? Que la chute réelle de l’Empire Romain d'Occident a été provoquée, non par l’invasion des barbares germaniques, Goths, Burgondes, Alains et autres Suèves, mais par la fondation de l’Islam et la conquête arabe subséquente.
Il avance qu’entre le Vème et le VIIIème siècles, les tribus germaniques se sont coulées sans mal dans le moule institutionnel et social de la civilisation romaine, en partie parce que ces tribus étaient, soit dépourvues de religion, soit s’étaient déjà converties au Christianisme - même arien -, en partie parce que l’objectif de ces invasions étaient précisément de s’intégrer au monde romain. L’Empire d’Occident, même privé d'empereur, aurait donc continué à fonctionner, l'économie ne se serait pas effondrée, la primauté de Constantinople n’aurait pas été remise en cause, les monnaies d’or continuées à être frappées…La Méditerranée serait demeurée un lac intérieur où prospéraient les échanges commerciaux, scientifiques, humains ou culturels…
Tout aurait changé avec l’arrivée de l’Islam à la mort de Mahomet (632) et l’expansion arabe (634). Dès la fin du VIIème siècle, les Arabes contrôlent toute la Méditerranée occidentale, après avoir conquis l’Afrique du Nord et les côtes européennes de l’Espagne à la Sicile. Or les conquérants n’ont nul besoin de la religion des vaincus, ni de leur civilisation à laquelle ils sont profondément indifférents ; ils convertissent les habitants ou les réduisent à un statut inférieur. Cette situation assèche les échanges entre l’est et l’ouest de la Méditerranée et provoque une chute vertigineuse de l’économie qui entraîne elle-même une rupture de civilisation et une perte de substance intellectuelle et culturelle dans l’Europe Occidentale. Les liens avec l’Empire Romain d’Orient sont brisés ; la Méditerranée n’est plus le centre du monde chrétien. Les carolingiens peuvent constituer un empire de la Baltique à la Calabre. Pour Pirenne : sans Mahomet, Charlemagne n’aurait jamais existé!
Bien sûr, Pirenne n’a pas tiré cette thèse de son chapeau. Il s’appuie sur les quelques textes disponibles et procède à des analyses sociales et économiques dont s’inspirera l’École des Annales. Il fait montre d’une érudition exceptionnelle. En croisant les textes, en recherchant des sources différentes, en établissant des probabilités, il aboutit à des déductions qui étayent sa théorie de manière convaincante.
Quelques réserves
Pirenne s’inscrit en faux contre la théorie dominante qui fait des invasions barbares germaniques la cause de l’affaissement de la civilisation romaine et de la régression culturelle qui en est résultée, ainsi que d’autres facteurs comme les épidémies de peste. L’illettrisme de Charlemagne, par exemple, serait le résultat de longues années d’obscurantisme, alors que Pirenne l’explique par le chaos causé par la conquête musulmane.
L’ouvrage, par ailleurs, n’est pas d’un abord aisé, même si l’éditeur facilite la tâche du lecteur non spécialiste. Peut-être un appareil critique plus développé et intégré au texte original serait-il bienvenu.
Encore un mot...
Un magnifique travail d’historien: pour expliquer la disparition de la civilisation romaine qu’il date de trois cents ans après la déposition du dernier empereur d’Occident, Pirenne privilégie la piste de la conquête arabe à la fin du VIIème siècle et disqualifie les invasions barbares germaniques comme principe causal essentiel. Voilà qui devrait inciter le lecteur contemporain à la réflexion.
Du même auteur, Henri Pirenne, il existe une version en format poche intitulée Mahomet et Charlemagne (Tallandier Texto 12x18, réédition du 4 février 2021, 368 pages, 8 €).
Une phrase
« L’ancien Empire romain est devenu, en fait, au VIIème siècle, un Empire d’Orient; l’Empire de Charles est un Empire d’Occident.
En réalité, chacun des deux ignore l’autre.
Et, conformément à la direction qu’a prise l’histoire, le centre de cet Empire est dans le Nord, là où s’est transporté le nouveau centre de gravité de l’Europe. Avec le royaume franc, mais avec le royaume franc autrasien-germanique s’ouvre le Moyen Âge. Après la période pendant laquelle, du Vème au VIIIème siècle, subsiste l’unité méditerranéenne, la rupture de celle-ci a déplacé l’axe du monde. » Page 878
L'auteur
Immense historien médiéviste belge, Henri Pirenne (1862-1935) est reconnu comme un précurseur de la méthode et de l’École des Annales en faisant appel à des considérations économiques, géographiques ou sociales pour expliquer les évolutions historiques, méthode que l’on retrouve chez Braudel, par exemple. Son ouvrage Histoire de l’Europe a été publié en 1937, deux ans après sa mort. Il avait publié auparavant une monumentale Histoire de la Belgique (1902-1932).
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