L’or du temps
848 p.,
27,50 €
Infos & réservation
Thème
L’écrivain descend la Seine depuis sa source jusqu’à Paris et les lieux qu’il rencontre évoquent des personnages du passé que nous suivons au fil des nombreuses digressions par lesquelles il se laisse entrainer.
Mais la Seine, malgré la carte qui nous en est donnée au début du livre, disparait vite et cède la place, surtout à Paris, aux choix de l’auteur qui devient un promeneur errant dans les rues qui racontent le passé qu’il choisit.
Points forts
D’abord le merveilleux titre emprunté à André Breton.
On pense ensuite au " Danube " de Claudio Magris dans lequel il s’agit aussi de suivre le fleuve et d’évoquer le passé de ses rives. La même érudition, la même réflexion profonde, la même richesse historique. Mais là où le Danube était un souffle impétueux dans des paysages grandioses, la Seine de Sureau n’est qu’un prétexte qui se dissout peu à peu dans les très nombreuses évocations.
On trouve en effet dans ce livre une extraordinaire galerie de personnages de tous temps et de toutes natures, certains passionnants ou émouvants, d’autres difficiles à aborder et à comprendre.
En réalité les deux tiers du livre se passent à Paris pour lequel François Sureau nous dit son amour dans la seule et magnifique description qu’il nous donne.
Voici, dans le premier tiers, né à Châtillon sur Seine vers 810, Girart dit de Roussillon ou de Vienne également comte de Paris, à la destinée foisonnante qui en fera un temps le chef militaire du duché de Lyon.
Voici encore un peu plus loin Maurice Genevoix à qui François Sureau consacre de très belles pages qui sonnent comme un appel à ne pas oublier " Ceux de 14 " le plus beau livre qu’on ait écrit sur la plus atroce des guerres.
A Troyes c’est son clochard qui nous arrête : dans les années 50 il quitte son Barreau pour s’installer à Paris sous le pont du carrousel et devenir Pierre l’ermite. C’est aussi à Troyes que l’on voit Godefroy de Bouillon consulter le rabbin Rachi avant de partir pour la Croisade...
C’est encore à Troyes à propos d’Adrien Guimard, né en 1821, et " législateur méconnu ", auteur d’une désopilante et absurde " proposition tendant à rapprocher la morale et le droit dans la législation criminelle " que François Sureau, en bon juriste, aborde le débat très actuel sur le danger de confondre morale et droit.
En s’approchant de Paris, à Samois, l’auteur rencontre Simenon et se livre à une analyse approfondie de son oeuvre en s’abstenant, malheureusement, de la mettre en parallèle avec celle de Conan Doyle qu’il consacre plus loin comme l’inventeur du roman policier.
Après avoir salué à Fontaine le port Arthur Koestler dont “le zéro et l’infini " apparaît comme une des premières dénonciations du stalinisme, nous voici à Paris attendus par Cendrars, Blaise Pascal, inventeur de la RATP ( ! ) et assistons à la fin émouvante du jansénisme à Port Royal.
Au chapitre des monastères on voit aussi la destruction de la Grande Chartreuse à Paris et son histoire à Voiron qui, elle, existe encore heureusement.
Puis François Sureau reprend son costume de haut fonctionnaire pour se livrer à une description savoureuse du Conseil d’Etat, son style, ses manies et ses codes.
C’est aussi en fonctionnaire, et c’est original, que l’auteur aborde le cas de Joseph Kessel par le truchement de son dossier de naturalisation.
Enfin c’est Apollinaire, inventeur du mot surréalisme, qui clôt, après l’avoir ouvert le chapitre parisien de cette longue pérégrination.
Quelques réserves
François Sureau se fait accompagner tout au long de ce voyage dans le passé ( " le passé m’a fait une seconde nature, je n’y puis rien " dit-il ) par un personnage énigmatique au nom bizarre ( Agram Bagramko ) peintre surréaliste proche de Breton à qui il donne une place prépondérante. On comprend peu à peu que cette fiction permet à l’auteur de donner une consistance à ses propres réflexions et à l’évocation de l’histoire du surréalisme.
Mais le style compliqué et elliptique de l’auteur qui donne l’impression de ne plus écrire que pour lui ou pour quelques lecteurs hautement qualifiés provoque l’ennui chez le lecteur moyen.
Monsieur Teste de Paul Valéry ne vient malheureusement pas réveiller sa conscience jusqu’à ce que l’auteur donne la clé de son élitisme quand il aborde les " navigations d’Ulysse " publiées par Victor Bérard en 1927 : " Si les spécialistes lisent encore Bérard, les amateurs eux, trouveront matière à rêver sur l’étonnant résultat du grand voyage de 1912, qui a donné lieu à ce chef d’œuvre inconnu..."
Faut-il aussi reprocher à Sureau, qui n’écrit donc pas pour les " amateurs ", de ne proposer aucune traduction des textes en anglais ou en latin ?
Et ne comptez pas sur lui pour vous donner la moindre description de paysages, il ne s'intéresse qu’aux personnages que les lieux rappellent.
Encore un mot...
Une très longue et érudite exploration d’un passé choisi, des sources de la Seine à Paris, dont la lecture se partage entre intérêt, émotion et, il faut bien le dire, ennui.
Une phrase
" J’ai toujours habité une capitale imaginaire. L’hiver, par temps de neige, j’allais à Montmartre et je jouissais du spectacle de cette masse urbaine blanche et grise, aux intérieurs lumineux, où des milliers d’existences anonymes suivaient leurs cours parallèles, dessinant des figures analogues à celles d’un ballet dont personne n’aurait écrit la chorégraphie et qui pourtant se développerait avec régularité tout au long des siècles. Là, de petites gens avaient peiné, peineraient encore ; là, dans cette maison, Verlaine avait décacheté la lettre où Rimbaud répondait à son invitation : « Venez, cher poète, on vous admire, on vous attend » par ces mots : « Oubliez-moi. Voyagez » ; là, dans cet hôtel vide, Brantôme avait cédé aux charmes de la douce Limeuil ; là Balzac avait écrit et était mort. Voici le chemin qu’a suivi Bonaparte au retour d’Italie et la maison de M. Pierre Larousse ; voici Saint-Eustache et la pierre tombale de M. de Chevert qui, “sans aïeux, sans fortune”, s’éleva jusqu’au grade de maréchal de France. Voici la synagogue des juifs allemands, rue du Chaume, et, un peu partout, les magasins des bougnats, et les réduits bretons autour de Montparnasse ; voici le Parlement rendez-vous des lingères et des libraires, des entremetteurs des amants, des lettrés et des filous, des princes, des courtisans et de la robe, et de l’autre côté des nobles murs, des scies et des brodequins pour la vérité ; voici le Beauvilliers où l’on servait l’oreiller de la Belle Aurore et le poulet en poire à la Marat ; et le petit jardin de Clemenceau à l’ombre des pères jésuites, et le Lutétia des supplices ; et, comme un visiteur sans doute à son premier voyage, alors que j’étais né là, je me réjouissais d’être ainsi roulé comme un caillou dans ce fleuve sans fin. »
L'auteur
François Sureau est né en 1957 à Paris. Enarque, auditeur au Conseil d’Etat, il est aujourd’hui avocat aux Conseils. Écrivain, il a publié notamment L’obéissance, Le chemin des morts et, dernièrement, Sans la liberté.
Dans Le chemin des morts il raconte, d’une manière particulièrement émouvante, le cas de conscience posé au Juge par l’affaire d’un militant de l’ETA basque s’opposant à son retour en Espagne où il se dit menacé de mort.
Trois ouvrages de François Sureau sont chroniqués sur notre site :
Sans la liberté, chronique parue le 18 novembre 2019 par Anne Jouffroy
Pour la liberté - répondre au terrorisme sans perdre raison, chronique parue le 21 décembre 2017 par Jean-Pierre Tirouflet
Je ne pense plus voyager (sur Charles de Foucauld), chronique parue le 17 juin 2016 par Paul Beuzebosc
Commentaires
Livre d’une grande érudition en effet. Plusieurs fois je me suis demandé comment l’auteur alignait ainsi les faits marquants des vies de parfaits inconnus pour moi. Où faisait il ses recherches. Comment accumuler tant de savoir ? Faut-il avoir lu de tout, y compris les livres que le temps a fait oublier. Parfois je comprenais les allusions, parfois elles passaient si loin de moi que je ne cherchais même pas à les saisir. Il m’eut fallu arrêter la lecture et je préférais avancer régulièrement.
Les propos sont elliptiques et certaines phrases peuvent être compliquées, jusqu’à ne pas révéler leur sens exact même à la relecture.
De toutes ces évocations du passé naissent cependant poésie et nostalgie, et puis une façon de raconter la France.
Le Parisien d’origine que je suis, installé désormais sur les bords de la Garonne, s’est laissé descendre avec le faible courant de la Seine. Seul point où je ne rejoins pas l’auteur, c’est le désintérêt de la ville et ses habitants pour son fleuve. Le sommet du parisianisme est d’habiter l’île saint Louis mais qui peut se le permettre !
On sent aussi dans ce livre l’affirmation douce, comme en creux, de la foi d’un croyant.
Une longue promenade hors du temps présent.
Sans une rencontre fortuite mais certainement pas anodine, je n'aurais sans doute jamais eu l'opportunité de découvrir l'écriture de François Sureau.
"...Tu devrais lire ce livre !" m'a dit récemment un vieil ami de mes parents, lors d'une promenade improvisée..." On y parle de ton père..."
Intrigué, j'ai commandé "l'Or du Temps". A ma première lecture je l'ai trouvé intéressant certe mais difficile à suivre. Pour un néophyte de la littérature comme moi, ce n'est pas l'oeuvre idéale... Cependant j'y ai effectivement pu lire quelques lignes sur mon père et cela m'a rappelé une époque marquée par l'hiver 1954 particulièrement rigoureux où mes yeux de 14/15 ans ne voyaient que la beauté des quais enneigés de la Seine, tandis que mon dessinateur de père, galvanisé par les appels de l'abbé Pierre descendait sur les berges, parfois dès cinq heures du matin, pour se mèler aux sans-abris et y "croquer' toute la misère humaine. Comment un François Sureau, né en 1957 a-t'il pu connaître ce détail... Alors que moi-même n'en ai plus que les feuiiles noircies par le fusain pour m"en souvenir ? Et qu'en est-il de toutes les anecdotes qui émaillent l'ouvrage ?
Cette érudition impressionante, étourdissante presque étouffante, se perd dans les méandres de son savoir... Quelle culture... Mais si parfois c'est passionnant... Que c'est difficile à suivre !
Néanmoins, merci à cet exceptionnel auteur qui me fait découvrir ce que je n'ai pas connu ou ce que j'avais oublié.
"qui veut briller n'éclaire pas " ce qui se conçoit clairement s'exprime clairement le fameux élitisme germano pratin
cela ne jure pas avec le pedigree il n'est que de lire le cv
Ajouter un commentaire