L'occupation du monde
1ere édition en 2018, 2nde en août 2024
340 pages
10,2 €
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Thème
L'occident, par sa philosophie, son esprit d'entreprise, son emprise matérielle et culturelle sur le monde, pourrait bien être à l'origine du "désastre écologique" qui nous menace, épuisement des ressources, réchauffement climatique… Chercheur et historien médiéviste, Sylvain Piron s'interroge et nous interroge sur les racines du mal. D’où cela vient-il ? De la domination économique, de l'appétit de progrès ou de puissance, ou encore d'un déterminisme propre à l'homo sapiens ?
A étudier l'Histoire et à comparer les civilisations, il semble qu'il manque à l'équation un terme. Et ce terme, Sylvain Piron estime que c'est la religion. Dans cet essai ultra documenté, il construit une analyse qui démontre, à partir du XIIème siècle, les liens entre le christianisme et "l'occupation du monde". Ce lien, à contre courant des études socio-ethnologiques du 20eme siècle, apparaîtrait au début du second millénaire, en particulier dans des exégèses des textes sacrés qui établiraient le bien fondé de la propriété, de l'aliénation des sols, de l'économie, et au bout du compte, du libéralisme et de son expression dominatrice, le capitalisme. L'étude de ces liens est l'objet de cet essai, comme révélateur de la difficulté, du fait de ces racines culturelles, de surmonter la crise écologique actuelle à paradigme constant - comprenez, sans remettre en cause la pensée libérale et son attachement au dogme de "la croissance".
Points forts
Cet essai extrêmement érudit nous entraîne dans les tréfonds de l'Histoire. Il y est question de la construction des idées de droit des contrats, de propriété, de capital, de commerce. Il y est question de la construction de la pensée occidentale, échappée des empires romains et autres soubresauts de l'Histoire, entre empires d'Orient et d'Occident, notamment germanique.
Il y est question de l'existence historique de Jésus, des divergences, et de leurs conséquences, entre judaïsme, catholicisme et protestantisme.
Il y est question de l'émergence de la notion d'écologie politique, comme des premiers penseurs des raisons de cette "occupation du monde", puis lanceurs d'alerte avant d'autres au XXème siècle, Lym White, Donella et Dennis Meadows (auteur du rapport Les limites à la croissance (dans un monde fini) publié en 1972), révélateurs du lien entre christianisme, capitalisme et crise écologique, révélateurs d'un inévitable épuisement des ressources sous le joug d'une illusion du bonheur, d'une appropriation et d'une monétisation sans limite de la nature.
Cet essai est aussi un immense agora dans lequel se croisent et se confrontent les idées et les œuvres (parmi beaucoup d'autres), des évangélistes, un certain et important dans la démonstration Pierre de Jean Olivi (au XIIIème siècle), Marx, Weber, Marcel Gauchet, Norbert Elias, Ivan Illich, Michel Houellebecq, EF Schumacher - auteur d'un Small is beautifull devenu aussi célèbre que ignoré en pratique, etc, etc.
Vous comprendrez les limites de l'énumération quand je vous aurai dit pour finir que cet ouvrage comprend 42 pages de notes et 15 de "bibliographie sélective" !
Quelques réserves
Comme un rebond sur le dernier commentaire, cet essai ne serait-il pas trop érudit pour le commun des mortels ? La tentation de dire oui est grande, en particulier du fait de la citation de tous les auteurs et de leurs apports comme "sources" de l'analyse. Réserve à pondérer car cette abondance de références développées dans le texte et complétées en annexe est la contrepartie d'un travail universitaire argumenté, et donc, par principe, possiblement critiquable dans des études ultérieures.
Encore un mot...
Sur ce sujet passionnant de l'emprise occidentale sur le monde et ses ressources naturelles, Sylvain Piron affiche une somme astronomique de connaissances ! Si le pitch est alléchant, la première partie seulement est assez nettement dans le sujet. Aux chapitres suivants, l'exploration spéléologique de la pensée de tous les auteurs qui ont permis l'émergence ou la critique du modèle occidental et capitaliste vous perd un peu.
Si l'analyse est aussi argumentée que possible, ce premier tome laisse l'impression de longs détours qui font un peu glisser le rivage derrière l'horizon. On pourrait espérer cette édition pour les nuls, qui s'affranchirait de la citation de toutes ces sources nécessaires à l'exposé universitaire, mais qui atténuent l'expression de la synthèse. On n'est pas obligé d'adhérer à la thèse, mais elle est intellectuellement intéressante, composite dans ses sources, étrange assemblage mais bien réel (“comme un ornithorynque” dit l’auteur), sans doute utile pour comprendre le dilemme qui frappe les consciences occidentales. Un tome sur 2 est à lire, matière nécessaire à l'assemblage d'un puzzle dont on peut se demander s'il tient du casse-tête ou du révélateur, au sens photographique du terme !
Une phrase
"La combinaison de ces différentes dimensions (militaire, juridique et mentale) suggère déjà que le mouvement historique qui a constitué le « peuple de la marchandise" ne se résume pas à une causalité unique. En franchissant une marche supplémentaire vers l'abstraction, il est enfin possible d'entendre l'occupation du monde en un sens métaphysique. La formule peut alors désigner la façon dont l'humanité, en déployant ses instruments de capture juridiques, politiques et techniques, en est venue à prendre possession de la planète entière pour en faire son monde propre. […]
L'occupation désigne alors les limites qu'atteint la construction d'un monde artificiel, qui bute nécessairement sur l'extériorité du monde naturel. Pour reprendre une formule de Pierre Montebello, la grande difficulté que nous avons à affronter aujourd'hui consiste à « recomposer un monde sans exclusive humaine et sans exclusion de l'homme »”. Pages 24 et 25
L'auteur
Sylvain Piron est médiéviste, historien anthropologue, directeur de recherche à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences sociales. Selon son profil de l'EHESS, ses recherches portent sur l’histoire intellectuelle médiévale, du XIIe au XIVe siècle, et plus particulièrement sur l’histoire de la pensée économique et politique, les débats philosophiques de la fin du XIIIe siècle, les intellectuels et artistes italiens de la génération de Dante, la papauté d’Avignon, les dissidences franciscaines, le prophétisme, les relations entre juifs et chrétiens, l’angélologie… Le second tome de l'Occupation du monde, dans son édition de 2020, porte le sous titre de Généalogie de la morale économique. Il développe quelques voies "par lesquelles s’est constitué l’imaginaire économique qui gouverne les sociétés occidentales et entrave l’appréciation de la catastrophe environnementale produite par l’expansion du capitalisme industriel et financier."
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