L'Islam est-il notre avenir ?
Novembre 2021
280 pages
17 €
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Thème
Cet essai à thèse est solidement appuyé par une riche documentation historique qui va de la naissance de l'islam à nos jours. L'auteur rappelle que la conquête musulmane soumit une grande partie du monde connu, de l'Atlantique à l'Inde, dès le haut moyen âge. En s'appuyant sur l'histoire qui est sa raison d'être, Jean-Louis Harouel souligne que l'opposition entre l'islam et l'occident ne peut être ni comprise ni gérée politiquement sans tenir compte d'un long passé au cours duquel, au delà d'apparences qui furent parfois trompeuses, presque tout opposa l'Orient islamisé à l'Europe chrétienne. Et qu'il en est toujours ainsi de nos jours !
Préparée par le classicisme gréco-romain et par deux millénaires de chrétienté, l'Europe accoucha progressivement d'institutions laïques autonomes conformes au dicton évangélique: "rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu". Elle s'est ainsi soustraite au pouvoir religieux. L'autorité politique affirma peu à peu son indépendance ; et cela permit aux Européens de porter sur le monde sensible un regard rationnel qui facilita l'innovation scientifique et le progrès technique, ses principaux avantages compétitifs depuis trois siècles.
Le monde islamique, en revanche, n'a jamais conçu le pouvoir temporel qu'afin de "servir sa religion" conformément à une vision holiste de l'ordre social que souligna le philosophe Raymond Boudon (p. 97): en terre d'islam, la seule légitimité temporelle, celle des califes, serait de servir et d'appliquer une loi divine révélée. Codifiée par les docteurs de la loi, cette règle de droit est d'essence divine; elle est dictée par de savants oulémas qui sont à la fois les dépositaires et les héritiers de l'autorité du Prophète .
Ce qui précède, écrit Harouel, explique qu'il soit vain d'imposer à l'islam de distinguer entre le sacré et le profane et de civiliser le droit. L'histoire démontrerait d'ailleurs qu'en terre d'islam, une telle tâche est condamnée à plus ou moins longue échéance: le retour actuel des Turcs à la loi islamique après un siècle de kémalisme quasi-laïc, en est la preuve (p. 147).
L'ordre terrestre musulman ne devrait donc relever que du sacré ; et les mots qu'emploient ceux qui se disent réformistes en pays musulman sont forcément trompeurs pour les Européens : en islam, réformer signifie tout autre chose que chez nous : non pas adapter l'islam au monde moderne mais rétablir "la toute puissance d'Allah sur terre" selon la prescription coranique résumée par Rémi Brague (p. 170) !
Selon une expression de Régis Debray, l'Europe contemporaine s'appuie désormais sur une forme de "religion civile" qui proscrit fermement toute discrimination entre les hommes qui vivent sur son sol (p. 209). Largement interprétée et étendue par les juges européens de Bruxelles et de Strasbourg, cette sacralité s'avère à double tranchant face aux prosélytes de l'islam agissant en Europe, qui sont eux-mêmes rétifs aux droits de l'homme.
Il suffit en effet qu'une communauté islamique prétende souffrir de discrimination religieuse pour que le droit européen la considère comme une victime. Il est facile d'en tirer parti pour refuser le droit local et pour entretenir chez ses co-religionnaires des rites qui finissent par s'imposer aux tiers (l'abattage hallal, par exemple).
Parfaitement asymétrique, cette situation permet d'imaginer des hypothèses comme celle que Michel Houellebecq développa dans son roman dystopique "Soumission": qu'un coin d'Europe se soumette au joug islamique à l'occasion d'une élection libre qui ouvrirait toutes grandes ses portes à un parti islamique autochtone ! Tel serait le dilemme sur lequel bute actuellement la société européenne !
Points forts
La thèse d'Harouel est étayée par un large éventail de sources et d'analyses historiques (R. Brague, F. Braudel, F. Furet etc.). L'auteur mobilise le droit (J. Carbonnier, M. Villey), la philosophie (M. Gauchet, P. Manent), la science politique (G. Kepel, R. Rémond), l'économie (J. Fourastié), la sociologie (R. Aron), l'anthropologie (M. Chebel) etc. Ce large panorama inspire évidemment le respect !
Quelques réserves
Comme il le fit dans d'autres ouvrages, l'auteur exploite une vaste bibliographie (plus d'une centaine de sources) qu'il cite au fil des pages. Mais ces sources ne sont pas aisément exploitables : une bibliographie récapitulative aurait allégé les notes et faciliterait la lecture. La richesse du corpus serait mieux appréciée avec un index des notions et des auteurs qui aurait utilement complété ce savant ouvrage.
Encore un mot...
L'essai de Jean-Louis Harouel soulève une question fortement connotée par l'actuel contexte politique et démographique. Paraissant à l'aube d'une période électorale qui est marquée par des flux migratoires spectaculaires, provenant de régions islamisées d'Afrique et d'Asie mineure, on pourrait le considérer comme un ouvrage de circonstance. Ce serait, à mon sens, une erreur!
Une phrase
p. 20: "les dirigeants de l'Union européenne...nient que l'islam soit non seulement une religion mais une civilisation... ils se refusent à voir l'évidence !"
p. 75-76: "le décollage de l'occident eut pour conséquence le déclassement de la civilisation musulmane… ce (fut un) choc traumatique...constater brutalement l'énorme supériorité de ces européens qu'ils...méprisaient depuis un millénaire."
p. 105: "le droit pénal islamique, archaïque, évoque par sa barbarie celui de la Gaule mérovingienne dont il est contemporain."
p.176: "En 1978, le grand imam d'Egypte avait déclaré: les droits de l'homme sont une invention humaine; les préceptes islamiques sont d'origine divine et possèdent donc la primauté".
p. 235-236: "pendant trois siècles...la France (fut) l'alliée de l'islam contre la très catholique Maison d'Autriche... monstruosité du point de vue chrétien, mais moindre mal...Ce pragmatisme dans l'intérêt du pays -passer avec le diable une alliance de circonstance- se trouve aujourd'hui interdit aux gouvernements européens !"
L'auteur
Professeur émérite à l'université Paris II (Panthéon-Assas), Jean-Louis Harouel est d'abord un historien du droit et des institutions (Histoire des institutions publiques, Dalloz, 1977). Porté pas son large savoir historique, il aborde aussi la science politique (Essai sur l'inégalité, PUF, 1984); l'économie (Productivité & richesse des nations, anthologie Jean Fourastié ,Tel Gallimard, 2005); la culture (Culture & contre-culture, PUF Quadrige, 1998); le développement (Le vrai génie du christianisme, J-C. Godefroy, 2012); l'aménagement (Histoire de l'urbanisme, PUF Que sais-je?, 1981) etc.
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