L’HOMME QUI TREMBLE
380 pages -
21 €
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Thème
Qui suis-je, moi, Lionel Duroy ? Tenter de brosser son propre portrait, tel est le projet du nouveau livre de Lionel Duroy qui a déjà consacré toute sa vie à éclairer l’énigme de son existence grâce à l’écriture de romans fortement autobiographiques et assumés comme tels. Convaincu qu’il a forcément « oublié quelque chose », que ses livres n’ont révélé que certains aspects de sa personne, il remet l’ouvrage sur le métier, cette fois à la première personne. En toute logique, le livre-portrait s’ouvre sur le fait fondateur et fondamental que, dès l’enfance, et pour toujours, il est « profondément contrarié par son visage », car sa mère ne le trouve pas beau. Le regard des autres - notamment des femmes - devient le fil rouge fragile d’une vie chaotique où l’on tremble toujours d’être mal vu, repoussé, décevant, abandonné, où l’unique manière de survivre est d’écrire sur soi pour rendre les coups reçus.
Points forts
Ce qui « a été », comme dirait Barthes de la photographie, ce qui est vécu et pas seulement narré, fait souvent mouche plus efficacement que la pure fiction quand bien même celle-ci touche tout un chacun par sa dimension universelle et allégorique. On sait quel succès rencontrent le « fait divers », et plus récemment ces « histoires vraies » dont s’inspire le cinéma à tour de bras comme gages d’émotion puissante. L’Homme qui tremble use du même procédé. Fait divers de l’intime, il propose d’éclairer une énigme humaine vécue et, malgré lui, pose la question : Et vous, quand tremblez-vous ?
Cela suffit-il à faire un bon livre ? L’Homme qui tremble est une bonne surprise par rapport à Nous étions faits pour être heureux, le précédent opus de Lionel
Duroy où l’on s’ennuyait ferme à regarder se réconcilier le clan autour d’un interminable déjeuner sur l’herbe. Mais on n’est pas non plus enthousiasmé par cet autoportrait qui (comme toute œuvre auto-centrée ?) ne cesse d’osciller entre la plainte et le mea culpa. Le plus intéressant, selon moi, est ce que nous dit l’auteur du long et lourd processus du désir d’écrire qui l’a constitué et tenu debout, depuis l’élan de l’adolescence, qui se cherche un objet et des encouragements, en passant par les affres du labeur de bœuf, l’angoisse vertigineuse du livre qui ne parvient pas à s’écrire, du jamais acquis jamais gagné, le détour par l’écriture du chagrin des autres (Lionel Duroy a été la plume de nombreuses célébrités) pour aiguiser l’analyse de soi et gagner sa vie, la volonté de bâtir une œuvre plutôt que d’enchaîner des productions diverses.
Pour Lionel Duroy, écrire n’est pas vivre, c’est survivre. Il décrit le retour cyclique de la peur de s’effondrer chaque fois qu’il termine un texte et craint de ne pas réussir à franchir la marche suivante. On pourrait presqu’avoir mal pour lui si certains aveux, échappés au détour d’un paragraphe, ne jetaient un éclairage embarrassant sur ses motivations profondes, telles qu’il les énonce. Par exemple, cette citation empruntée à Paul Gadenne dans La Plage de Scheveningen et qu’il fait sienne : « Heureux qui sait écrire et dévorer ainsi ceux qui le dévorent ». Ou bien : « Une voix à peine audible me souffle à l’oreille : ‘Maintenant la vie ne pourra plus jamais me désarçonner, elle a vu de quoi je suis capable, à chaque coup je répliquerai par un livre’. L’écriture comme résistance à l’accablement et à « la tristesse d’exister »… ou banal outil de vengeance ?
Quelques réserves
Aucun. On est dans un genre dont il faut accepter le pacte ou bien passer son chemin.
Encore un mot...
Livre qui ambitionne de contenir et compléter tous les livres précédents, L’Homme qui tremble donne tout de même une impression lassante de répétition et de mollesse. Où est le souffle ? Où est l’efficacité d’un Emmanuel Carrère, par exemple, qui sait renouveler et approfondir ses autoportraits en leur offrant toujours une rampe de lancement - un reportage en Russie, le yoga, une catastrophe naturelle, etc.-, permettant au conflit intérieur de se frotter à une réalité supérieure. Les fans de Lionel Duroy se glisseront avec une délectable familiarité dans L’Homme qui tremble. Les autres pourront lire les admirables Priez pour nous et Le Chagrin.
Une phrase
« J’écris enfin Priez pour nous, le livre de notre effondrement. Au début, le narrateur a neuf ans, vingt ans à la fin (…). Tout me revient et se bouscule, les mots tirent la mémoire et la pensée. Je suis au travail, le seul qui m’importe, et j’ai le sentiment de sortir de mon aveuglement, ignorant encore que c’est une œuvre de longue haleine et que trente-cinq ans plus tard je serai encore à la tâche en dépit des livres accumulés (…). »
L'auteur
Lionel Duroy est né dans une fratrie de onze enfants, d’un père aristocrate désargenté et fantasque et d’une mère neurasthénique rongée par sa folie des grandeurs déçue qui marquent durablement sa vie et son œuvre. L’envie d’écrire le saisit quand il découvre les livres de son père lors d’un déménagement, mais il ne concrétisera vraiment son désir que tardivement en rencontrant son premier éditeur, lequel lui accordera un soutien inconditionnel à la fois éditorial et moral. Brillant reporter, Lionel Duroy a été journaliste pour Libération et pour L’Evénement du jeudi. Il a été la plume de nombreuses célébrités, et il a publié une vingtaine de romans, souvent plébiscités par des prix.
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