L'extinction de l'Homme, le projet fou des antispécistes
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Thème
L'antispécisme, le journaliste Paul Sugy le décrit comme un mouvement lancé par les militants de la cause animale qui refusent que les animaux soient l'objet de "discriminations" du fait d'être qualifiés d'espèces non humaines, et ainsi soumis à la violence des hommes par l'élevage, la chasse et autres traitements "dégradants". Ils réclament pour eux des droits au même titre que les être humains - la présupposition d'une essence différente de l'homme n'étant pas une raison légitime pour les maintenir dans cette situation de non droit. Pour bien comprendre ce mouvement qui émerge depuis une dizaine d'années dans le débat public, l'auteur explore la pensée et les écrits de ses fondateurs (Peter Singer, Donna Haraway, Mélanie Joy, Sue Donaldson, Will Kymlicka - Anglo saxons pour la plupart) autant que de ses apôtres actuels. Son cheminement part des racines végétariennes et végan du mouvement, analysé comme une dénonciation déjà ancienne de l'ordre établi, pour montrer sa filiation idéologique avec le concept de nouveau prolétariat - animaux privés de droits, exploités par les "carnistes" (mangeurs de viandes).
Cette approche laisse entrevoir les abîmes philosophiques qui séparent "spécistes" et "antispécistes" - les uns qui défendent la prééminence de l'Homme dans la définition des valeurs et des droits, les autres qui dénoncent un totalitarisme de la pensée "judéo-chrétienne, blanche et hétérosexuelle" - esclavagiste, raciste par nature. Comprendre cette opposition qui bouleverse aujourd'hui la philosophie, la politique, l'écologie, la morale est l'objet de cet essai.
Points forts
Le score aux européennes de 2019 des premières listes animalistes pouvait faire croire à un gentil mais réel mouvement de sympathie en faveur du bien-être animal. Paul Sugy démontre qu'il s'agit bien plus qu'un mouvement de "tendresse" envers le monde animal (et végétal), mais une pensée qui irrigue lentement les sociétés occidentales. Fondée sur une solide connaissance des mouvements philosophiques, sociologiques, anthropologiques de ces dernières décennies -marxisme, structuralisme, matérialisme, post structuralisme (Deleuze…) , il montre en quoi ces mouvements sont d'abord une remise en cause des sociétés modernes, aux fondements judéo-chrétiens et plus largement du libéralisme. Une tentative de plus de militer pour un monde idéal - qui n'est d'ailleurs pas fongible dans celui appelé par les mouvements écologistes.
Il souligne aussi que le mouvement antispéciste s'appuie sur les dénonciations de l'élevage industriel (portées par l'association L2 14 en France), dont on peut dire sans se tromper qu'il a atteint un paroxysme dans sa négation de la souffrance des animaux. Mais bien au dessous de cette surface assez consensuelle, l'exploration des théories antispécistes dévoile des raisonnements dont les médias se font peu l'écho, comme la comparaison entre les abattoirs et les camps de concentration, la mise en équivalence de la dénonciation de l'esclavage et de la lutte pour les droits des animaux (!!!), la revendication de possibles relations charnelles avec certains d'entre eux ou encore la question des essais thérapeutiques à pratiquer de préférence sur des personnes déficientes plutôt que sur des animaux en bonne santé.
Fort heureusement, une qualité de l'essai est aussi de ne pas faire un total amalgame entre les théories et l'adhésion aveugle des militants. Ses chapitres courts et bien structurés se terminent souvent par de belles "punchlines", réflexions bien senties, ironies ou constats - comme ces décisions authentiques "d'éloigner avec douceur les rats de la ville de Paris" ou de chercher le moyen de former les fauves à consommer des substituts à leur consommation de proies.
Quelques réserves
L'extinction de l'homme porte en ses titre et sous-titre un parti pris qui n'échappera à personne. Sa capacité à convaincre les militants n'est pas certaine, même si la qualité du travail de sourcing ne semble pas devoir être mise en doute - notamment au regard des nombreuses citations et références bibliographiques.
Encore un mot...
Avec cet essai, comme l'a fait avant lui le philosophe Jean-François Braunstein, la philosophie devenue folle : le genre, l'animal, la mort, Paul Sugy propose d'aller à la source d'une pensée militante "destructurante" plutôt que d'en rester le témoin passif.
S'il existe une heureuse distance entre l'idéologie antispéciste qui revendique un rééchelonnement de nos valeurs par rapport au "vivant", et la sensibilité de nombreux militants, l'histoire enseigne qu'il ne suffit pas de cette distance pour que les militants les plus extrêmes ne cherchent leur mise en application.
Il faut donc prendre cet essai pour ce qu'il est : une alerte sur les bouleversements qu'engendreraient à terme les thèses antispécistes, si elles n'étaient pas connues et comprises. Le refus, en tout, de toute différence, estomperait le propre de l'Homme - sa capacité à penser et accompagner l'évolution du monde - au nom de l'abolition d'une dictature "spéciste" dénoncée comme illégitime et intolérable. La tolérance n'exige pas moins de chacun de choisir en connaissance de cause.
Une phrase
A propos du Manifeste de Donna Harraway
"Elle a notamment résumé sa thèse dans un Manifeste à tout le moins surprenant, qui propose en quatrième de couverture de "prendre notre relation avec les chiens au sérieux et apprendre une éthique et une politique dévolue à la prolifération des relations avec des êtres autres qui comptent. Car la catégorie des espèces compagnes est bien plus vaste que celle des animaux de compagnie, elle inclut en effet le riz, les abeilles, la flore intestinale, les tulipes…". P 63
"Le postmarxisme et le progressisme n'éprouveront donc aucune difficulté pratique à parvenir, par des chemins différents, à la même conclusion quant à l'urgence d'une libération des animaux : il suffit pour cela que les premiers voient dans les animaux des prolétaires et que les seconds les considèrent comme des minorités. " P 87
"[…] le combat pour la libération animale est tout entier calqué sur le mouvement de libération des Noirs, qui servit selon Singer de "modèle pour d'autres groupes opprimés" tels les homosexuels, les indiens d'Amérique… ou les femmes. Comme pour chacun de ces combats, celui des animaux "exige un élargissement de nos horizons moraux", et "un retournement de point de vue". A chaque fois, il s'agit de faire prendre conscience au groupe oppresseur de ses pratiques oppressives. Certains apprécieront la comparaison." P 91
"L'"éternel Treblinka", c'est donc l'idée que le "génocide" des animaux tués dans les abattoirs pour produire de la viande serait un acte intrinsèquement similaire au génocide des Juifs : le préjugé selon lequel il existe des "espèces supérieures" n'étant que l'écho criminel à la croyance dans l'existence d'une "race supérieure" parmi les hommes. Antinazisme, antispécisme : même combat." P 98
"C'est dans cet oubli de tout ce que contient le nom de l'homme que prend racine le projet antispéciste, celui d'une annihilation de l'exception humaine- car c'est bien de cela qu'il est question, derrière l'éventail des droits des animaux." P 176
L'auteur
Paul Sugy est journaliste au Figaro. Diplômé de Sciences Po, ancien élève de l'Ecole Normale Supérieure, est un passionné de philosophie. L'Extinction de l'Homme est son premier essai.
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