L'esprit français, de Madame de La Fayette à Jean d'Ormesson
Parution en octobre 2023
288 pages
16 €
Infos & réservation
Thème
Qu'est ce que l'esprit français ? "On pourrait dire [sur le sujet] ... oh Dieu… bien des choses en somme…" (tirade du nez, Cyrano de Bergerac).
Pour Axel Maugey, exégète de l'univers littéraire francophone, il n'y pas de doute, c'est dans la littérature qu'il s'exprime pleinement.
Pour nous en convaincre, il nous offre une promenade dans son beau verger littéraire, dont les plus magnifiques spécimens se nomment Voltaire ou Beaumarchais, Madame de Staël ou Jacqueline de Romilly, Sacha Guitry, Paul Morand, Jean d'Ormesson ou encore Jean Pruvost (un amoureux des dictionnaires) et Marc Fumaroli, un critique littéraire et un historien hors pair ! Un verger semé de membres de l'Académie Française, dont la première femme élue fut Marguerite Yourcenar, sur proposition de Jean d'Ormesson.
Pour nous en convaincre encore, il compose cet essai en 5 grandes parties dont on pourrait dire qu'elles embrassent l'esprit français d'abord sous un grand angle avant de focaliser notre attention sur des auteurs plus précisément analysés.
L'esprit français, c'est d'abord la singularité de l'effervescence intellectuelle du XVIIIe siècle, nourrie de la liberté et de l'impertinence des pensées de Voltaire et Rousseau, et riche de ses salons littéraires, qu'ils soient en France, en Autriche ou en Suisse. Ce sont ensuite des hommes et des femmes. Des femmes dont il ne faut pas oublier l'influence aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles : Mesdames de La Fayette et de Maintenon, Germaine de Staël. Suivront Colette, Louise de Vilmorin, Jacqueline de Romilly et quelques autres comme Lucie Aubrac, Geneviève de Gaulle, Simone Veil. Les hommes choisis sont de grands auteurs classiques comme Beaumarchais, Chateaubriand ou Victor Hugo, d'autres plus contemporains, Guitry, Paul Morand, Fabrice Luchini (et oui !), Alain Grandbois (un franco canadien), Maurice Druon, Jean d'Ormesson, un "roi soleil" contemporain dans ce panthéon.
En analyses transverses ou en courtes monographies, Axel Maugey nous raconte ce qui, dans leurs œuvres et dans leurs vies, témoigne de l'identité française, faite de liberté de parole, de gaité à décrire et à penser le monde, dans un langage si précis que d'autres nations, en d'autres temps, le préférèrent à leur propre langue. Autres temps, autres mœurs, cet essai cherche à nous convaincre de la force de l'identité française exprimée par ses grands auteurs, face à l'internalisation d'une culture de la consommation, portée par le globish - cette anglais simplifié, voire simpliste, parlé aux quatre coins de la planète.
Points forts
Cet essai propose des analyses transverses et savantes sur ce qui compose l'identité de la littérature française et l'esprit qui s'en dégage. Peu d'idées compliquées, mais plutôt des démonstrations simples, faites d'extraits d'œuvre et de nombreuses citations, servies par un contexte historique, politique et culturel précisément décrit.
Il propose également de courtes et souvent savoureuses biographies des auteurs déjà cités dans la première partie de l'ouvrage. Les anecdotes y sont nombreuses comme les liens entre les auteurs et leurs contemporains (politiques, gens des arts et des spectacles, autres écrivains et philosophes) et les citations, souvent drôles, de Sacha Guitry naturellement, et quelques autres !
L'écriture est vivante et enthousiaste.
Quelques réserves
Avertissement plus que réserve, les redites sont assez fréquentes, du fait du passage de l'analyse grand angle aux focus sur les ambassadeurs de l'esprit français choisis par Axel Maugey. Vous trouverez certaines citations comme certaines situations passer d'un chapitre à l'autre - témoignant certes de la cohérence du propos, autant que du fait que cet essai assemble des textes qui n'ont pas nécessairement été écrits dans la continuité.
Encore un mot...
S'il jette quelques ponts vertigineux entre des auteurs et des époques, cet essai qui réveille les neurones et témoigne d'un bel héritage, est aussi facile qu'amusant à lire. Il nous invite aussi à une réflexion peu commune : connaître et comprendre ce qui fait la différence entre une langue de "civilisation" et une langue de "communication". Vous l'aurez compris, entre les deux, il y a nécessairement l'Atlantique, et le Général de Gaulle ne refuserait sans doute pas qu'on le paraphrase encore une fois, en y ajoutant le Pas de Calais ! Axel Maugey nous incite à honorer une langue non pour ses mots mais pour ses univers culturels, éthiques et philosophiques. Vaste et pertinent programme qui transcende les débats sur la complexité de l'orthographe et de la syntaxe de notre langue autant que sur la façon de l'enseigner. Comme il le dit si bien, l'essentiel est de préserver dans la langue française la beauté et la précision de son expression autant que "sa promesse de bonheur".
Une phrase
" On peut affirmer sans la moindre hésitation qu'au XVIIIe siècle, la langue française est universelle, tout au moins au sein des élites du monde occidental et de certaines d'entre elles plongées au cœur du monde oriental." P 41
« Chargée de respectabilité », ce sont les mots que Jean Cocteau prononça lorsque Colette s'éteignit, en 1954, sans avoir donné de conclusion à son œuvre.
Elle fut, tout comme Sacha Guitry, un phénomène assez isolé au milieu des idéologies et des engagements trop souvent dramatiques de notre XXe siècle.
Lors de ses funérailles laïques et nationales, Aragon écrivit :
« Une aile va manquer au murmure français ».
Et Roland Dorgelès ajouta: « On dirait qu'elle nous a donné ses livres à respirer. » Oui Colette nous invite à respirer, à mieux respirer. " P 73"Dès l'an 2000, Maurice Druon souligne qu'après une période de déclin (due à notre propre faute) il se produit en regain d'intérêt pour notre langue.
À la même époque, il découvre qu'un écrivain brésilien, Sergio Corrêa da Costa, dans un ouvrage insolite, démontre que le français est le premier fournisseur de termes d'usage universel, ce qui le place en tête des langues d'influence. Les travaux de Monsieur Da Costa confirment l'intuition de Victor Hugo, auteur de cette belle formule :
«Le français est une langue qui s'est donnée à l'humanité. »
En vérité, notre secrétaire perpétuel est bien mieux renseigné que la plupart de ceux qui se prétendent des spécialistes du français.
Il conclut l'un de ses articles magnifiques parus dans Le Figaro par les mots suivants : « Notre politique de la langue française est indigne de la France.»” P 195
L'auteur
Après avoir été professeur des universités, notamment au Québec, Axel Maugey partage désormais son temps entre l'écriture et les conférences. Ses ouvrages consacrés au français et à la francophonie sont (très) nombreux et la plupart distingués de prix littéraires. Enseignant pendant de nombreuses années la civilisation française, le cinéma et les civilisations du monde francophone à l'Université McGill, il fait partie du petit groupe de chercheurs qui, dès le début des années 1970, a défendu la réputation culturelle du Québec.
On lui doit des portraits notamment de Giono, Gaston Miron, Jacques Treffel (ancien président de l'Amopa, Association des amis de l'Ordre des Palmes Académiques), de plusieurs poètes et de femmes de lettres. Le Succès de la Francophonie au XXIe siècle a reçu le prix de la Renaissance française en 2017. Son livre Désirs francophones, désirs francophiles a reçu le Grand Prix de la francophonie de la Société de géographie. L'ensemble de son œuvre a été couronnée du Grand Prix, médaille de vermeil, de l'Académie Française en 2006.
Axel Maugey tient, sur Culture Tops, la chronique consacrée aux auteurs francophones.
Ajouter un commentaire