Les statues de la discorde
238 pages - 17 €
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Thème
Cette étude expose les attaques contre des statues (vandalisées, déboulonnées, taguées, détruites, remisées, déplacées...) lorsqu'elles sont censées représenter de "grands hommes " (en majorité blancs) dont l'action est, de façon directe ou indirecte, liée à l'esclavage ou la colonisation.
En historienne, c'est- à-dire avec recul et sans porter a priori d'appréciation, elle se livre d'abord à un tour du monde des actes iconoclastes contre les statues (Amérique du Nord, Royaume Uni, Belgique, Pays Bas, Danemark, Allemagne, Suisse, Italie, Portugal, Afrique, monde Pacifique). On découvre alors avec surprise qu'ont été mis à mal, entre autres, les monuments élevés à la gloire de Christophe Colomb (considéré comme initiateur du "génocide" des autochtones), celles des présidents Roosevelt et Lincoln (dont les monuments laisseraient entendre que Noirs et Amérindiens sont assujettis et inférieurs), celle de James Cook (qualifié de "découvreur criminel"...), de Louis XVI (à Louisville), de Cervantès... A Londres, Churchill a été "tagué" comme raciste, tout comme Gandhi ; à Bruxelles, Léopold II (à cause du Congo) fut traité de Serial Killer, et César lui-même, en Flandre orientale, fut vandalisé au prétexte que ses Commentaires sur la guerre des Gaules décrirait les Belges de manière méprisante. La pauvre petite Sirène de Copenhague est traitée de Racist Fish... Et Charles de Gaulle considéré comme "fugitif face à la débâcle française "... La liste est longue tant la furie iconoclaste sévit partout, et particulièrement durant l'année 2020 (bien que certaines contestations soient plus anciennes).
Dans la majorité des cas, ces actes de vandalisme sont revendiqués par des associations (telles Black Lives Matter mais pas que, une bonne dizaine de ces groupuscules sont cités...), hormis quelques cas dus aux White Lives Matter qui eux, veulent défendre la suprématie blanche. L'auteur établit un rapprochement entre le bruit médiatique déclenché par la mort de l'Afro-américain George Floyd et le déchaînement iconoclaste contre les statues.
Le deuxième chapitre traite du sort des statues liées à l'esclavage dans les départements français d'Outre mer. Quel étonnement d'apprendre que celles de Victor Schœlcher, considéré comme le "père" de l'abolition de l'esclavage, ont subi, elles aussi, des dégradations en mai 2020. Même Toussaint Louverture ne trouve pas grâce aux yeux des iconoclastes.
Quant aux statues d'hommes liés à l'histoire de la colonisation, on se doute qu'elles ne reçoivent pas meilleur traitement (Bugeaud, Faidherbe, Gallieni, Lyautey). Jacqueline Lalouette prend soin d'expliquer les reproches qui leur sont adressés. De même pour Colbert, accusé d'être l'auteur du Code noir, ce qui oblige à préciser les données historiques qui contredisent cette accusation.
Que faut-il faire alors de ces statues ? Les maintenir ou les ôter de l'espace public ? Les accompagner d'une plaque explicative ? Jacqueline Lalouette détaille les arguments de ceux qui sont favorables au retrait, de ceux qui plaident pour les laisser en place en les transformant, et de ceux qui refusent tout retrait... Une autre solution serait d'instaurer de nouveaux héros, les Guadeloupéens de 1802 par exemple ou encore les esclaves insurgés de l'île Bourbon... Pourtant les statues d'hommes noirs ne manquent comme le rappelle l'auteur : Félix Eboué (né à Cayenne) et Aimé Cesaire ont des monuments qui leur rendent hommage mais cela ne les empêche pas d'être la cible de militants acharnés.
En conclusion, Jacqueline Lalouette souligne, -ce qui apparaît à première lecture-, combien la mauvaise foi et l'ignorance historique contribuent à diffuser des idées fausses, anachroniques, exagérées.
Points forts
La documentation de l'auteur est impressionnante. Non seulement elle puise ses informations dans les archives historiques pour les cas de vandalisme anciens, mais elle y ajoute une multitude de références puisées dans la presse contemporaine, dans les tweets et sur internet où les sites des militants hostiles aux statues commencent à proliférer. Tous les arguments qu'elle reprend, qu'ils viennent des anti-statues ou des pro-patrimoine sont référencés de manière précise sur 35 pages de notes.
L'historienne, exposant les arguments défendus par les "attaquants", n'omet pas de reprendre les "nécessaires rappels historiques".
L'index des personnes mentionnées est bienvenu.
Quelques réserves
Le fait que l'auteur ait choisi, dans tous les chapitres précédant sa conclusion, d'exposer les faits sans prendre parti, donne à son style un ton neutre et monocorde. On croit lire une litanie d'actes de vandalisme. Le débat est pourtant passionné et passionnant... On a l'impression que l'auteur, si elle souhaite contribuer par ce livre à éclairer ce débat, révélateur des fréquentes oppositions mémorielles, se montre néanmoins réticente à affirmer son point de vue personnel.
Figurent dans ce livre plusieurs photos des statues mises à mal (dues au photographe Gabriel Bouyé) ... mais on aurait apprécié que toutes les statues longuement décrites par l'auteur (la statue elle-même, le piédestal, les plaques explicatives) puissent être visualisées par le lecteur.
Si cette étude peut être qualifiée d'excellente, elle est néanmoins brève. En effet, en excluant les 54 pages d'appareil à la fin du volume (sigles, notes, bibliographie, index, remerciements, table des matières), l'ouvrage ne comporte que 185 pages.
Encore un mot...
Les arguments des partisans de la lutte contre la statuaire ne sont certes pas tous irrecevables, et il est intéressant de les connaître. Mais quand ceux-ci côtoient la plus grande bêtise ou la plus profonde inculture, comment leur accorder le moindre intérêt ? Les bras vous en tombent...
Une phrase
Il s'agit ici d'établir un rapport entre les statues et les propos des décolonialistes, selon lesquels les effigies dressées sur les places publiques rendraient hommage à la colonisation et au cortège d'horreurs qui l'accompagnèrent trop souvent. Il est donc important de décrire plus en détail les monuments contestés et de préciser ce que leurs concepteurs et leurs auteurs ont entendu glorifier. (p. 113)
L'idée ne vient pas aux militants hostiles aux statues que leurs concitoyens puissent être attachés à leur patrimoine -sans pour autant penser que tout ce qu'ont fait les personnages statufiés est admirable ou respectable-, être irrités par l'irruption de petits groupes de militants prétendant modifier leurs paysages urbains, scandalisés pars le fait qu'ils viennent même réécrire leur histoire. La LDNA (Ligue de Défense Noire Africaine), qui appelle au "déboulonnage" des statues, ne déclara-t-elle pas dans un tweet le 23 mai 2020 : "Louis 9, dit Saint-Louis, Louis 14, Léopold 2, Charles de Gaulle et consorts doivent rejoindre les poubelles de l'histoire le plus rapidement pour une refondation saine du monde". ... Convaincus que leur conscience est plus éclairée que celle de leurs contemporains, ces militants ne doutent pas de la légitimité de leurs actions. (p.181)
L'auteur
Jacqueline Lalouette, professeur d'université (Clermont-Ferrand puis Lille) est historienne spécialiste des questions politiques et religieuses de la France du XIXe siècle à nos jours. Ce n'est pas la première fois qu'elle se penche sur ce thème puisqu'elle a déjà publié Un peuple de statues. La célébration sculptée des grands hommes. France, 1801-2018 ( Mare & Martin, 2018).
Et aussi
Sur Toussaint Louverture, lire la chronique de Bertrand Devevey sur l'excellente biographie que lui a consacrée l'historien britannique Sudhir Hazareesingh :
Sur les questions relatives à l'Afrique, lire la chronique de Paul Beuzebosc à propos de l'ouvrage d'Olivier Grenouilleau Quand les Européens découvraient l'Afrique intérieure (Tallandier)
L'ouvrage de Pascal Bruckner Un coupable presque parfait, la construction du bouc émissaire blanc, rejoint cette réflexion. Lire la chronique de Rodolphe de Saint- Hilaire.
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