Les savoirs perdus de l’économie. Contribution à l’équilibre du vivant

Une approche originale de l’économie alternative et un nouveau rapport de l’homme au monde qui ne peut laisser indifférent
De
Arnaud ORAIN
Gallimard, NRF
Parution le 18 mars 2023
384 pages
22, 50 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

Le titre du livre ne peut laisser indifférents les théoriciens et les praticiens de l’économie. L’auteur se défend d’écrire une nouvelle histoire des idées économiques. Il adopte une approche originale de l’économie alternative, qui se distingue des  « idéologies à la mode » prônant la décroissance, l’alter-mondialisme, l’anticapitalisme, l’écologisme… Il rappelle que trois types de savoirs économiques se sont succédé depuis l’Antiquité : la théologie politique et le pastorat, puis la politique économique dominée par la raison d’Etat et enfin, l’économie politique fondée sur le libéralisme. Il estime qu’un nouveau rapport de l’homme au monde se met en place, justifiant une refondation de la science économique.

 Arnaud Orain estime caduc le « grand partage » entre l’homme et la nature qui fonde la science économique néo-classique.  Il dénonce les approches actuelles de l’économie de l’environnement fondées sur une modélisation de l’équilibre entre les ressources et les débouchés des organisations, intégrant leurs externalités négatives sous forme d’émission de carbone, de pollutions et d’atteinte à la biodiversité. L’auteur plaide en faveur d’une économie plus « globale » axée sur l’observation de la dynamique des écosystèmes (ou des milieux) dans leurs dimensions historique et géographique, ainsi que des interactions entre ces écosystèmes.

Ces derniers  sont  marqués à la fois par un certain déterminisme et par un processus fractal, dont la connaissance  permet d’en mieux prévoir et traiter les crises. Cette « science vernaculaire » mobilisant toutes les sciences de la nature, serait construite à la fois par les savants, les praticiens et le grand public. Elle devrait s’intéresser à tous les acteurs vivants (humains, animaux et végétaux) et à tous les facteurs (matériels et immatériels) qui contribuent à la création de valeur sous toutes ses formes, dans chacun des écosystèmes. 

Points forts

 L’auteur préconise le retour à une épistémologie plus sensible à l’environnement. Il souhaite réhabiliter certains « savoirs anciens  oubliés » qui étaient destinés à « satisfaire les besoins humains et l’ordre de la nature ». Ces savoirs « bricolés » (au sens de Lévi-Strauss) des « négociants, artisans, ouvriers et fermiers » ont été occultés par les théories économiques orthodoxes. L’auteur est ainsi conduit à rappeler les apports de la « science du grand commerce » pratiquée aux XVIIIe siècle par l’Angleterre et la Hollande et introduite en France par Gournay. Il rappelle les principes de l’homo oeconomicus d’Aristote et de l’homme de l’Encyclopédie : l’histoire naturelle de Buffon, le système de Linné, la physiocratie… Il reproche à Quesnay et aux physiocrates de dire « le vrai et le juste » en fonction d’un « ordre naturel » préétabli, ainsi qu’à Adam Smith et aux libéraux, de fonder l’économie sur des lois de marché tempérées par quelques principes moraux. Il considère que Say, Ricardo, Walras et Pareto ont tenté d’ériger la science économique en science exacte coupée des autres sciences.

Quelques réserves

Dans cet ouvrage à la fois original et monumental, l’auteur fait preuve d’une grande érudition parfois teintée de gongorisme (de préciosité).

Encore un mot...

L’économie a été réduite selon lui à l’économétrie – par la recherche de lois de causalités et de régularités – et dans l’expérimentation – par l’observation statistique de groupes témoins et de groupes tests. Cette dérive épistémique a alimenté les mouvements populistes anti-systèmes qui ne croient plus aux savoirs académiques et aux paroles d’experts.

Une phrase

"La science du commerce rejette toute connaissance produite dans le cabinet du philosophe. Ce sont les praticiens possédant des savoirs vernaculaires qui sont les vrais savants : artisans, fermiers, marchands et grands négociants. Pour tirer le parti maximum d’un déterminisme naturel donné – un « climat », ce que nous appellerions aujourd’hui un écosystème ou un milieu –, elle accumule les observations sur la géographie, les sols, les forêts, les végétaux, les animaux, les infrastructures et la marine. Elle pose les questions économiques par une discussion ouverte et invite le public à co-construire un savoir qui n’est pas le fruit d’une « découverte » par une élite seule.

La « physique oeconomique » est une physique appliquée au monde naturel, lui-même pensé comme un organisme autorégulé à l’intérieur de chaque climat. Par la connaissance des propriétés des végétaux et des animaux autochtones et par l’acclimatation de plantes venues d’ailleurs, l’être humain transforme ses milieux pour mieux satisfaire ses besoins et vivre en harmonie avec les autres espèces."

L'auteur

Arnaud Orain est professeur à l’Institut d’Etudes Européennes de l’Université Paris 8. Ses champs de recherche et activités scientifiques étudient l’ Histoire des savoirs,  l’Histoire économique et l’Histoire environnementale.

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