Les Rebelles magnifiques. Les premiers romantiques et l’invention du Moi

Un merveilleux livre à la découverte de l’extraordinaire vivacité de la pensée allemande au moment de la Révolution française
De
Andrea Wulf
Noir sur Blanc
Titre original : Magnificent Rebels (parution en 2022)
Traduit de l’Anglais (GB) par Marie-Odile Probst
Parution en août 2024
576 pages
26,50 €
Notre recommandation
4/5

Infos & réservation

Thème

En 1794, Iéna, proche de Weimar, capitale de la Thuringe située au centre du Saint-Empire romain germanique, est une petite ville tranquille réputée pour son Université fondée en 1558.  Pendant une dizaine d’années, elle va devenir le creuset de vastes échanges de réflexion philosophique, artistique, scientifique et sociale et d’expériences qui donneront naissance au mouvement révolutionnaire du Premier Romantisme dont le rayonnement et l’empreinte sont encore manifestes de nos jours dans de nombreux aspects de l’architecture de la pensée et de l’organisation sociale occidentales. 

La rencontre fondatrice du poète Goethe, auréolé du succès de son livre Les mémoires du jeune Werther, et du jeune poète Schiller est le prélude au recrutement de nombreux talents, dont les philosophes Fichte et Hegel, les frères Schlegel, le poète Novalis. Au centre de ce groupe, que l’Histoire retiendra sous le nom du « Cercle d’Iéna », se trouvait Caroline Böhmer, une femme libre et inspirante.

Le livre retrace la vie du Cercle d’Iéna : sa genèse, ses ramifications, son effervescence, ses querelles, ses contradictions, ses succès, ses histoires d’amour passionnées, ses avancées et audaces déterminantes pour la pensée moderne, au croisement des idées de liberté et égalité à l’origine de la Révolution Française, du désir de restaurer la place de la nature,  de reconnaître à l’individu un rôle essentiel dans la création, de trouver l’harmonie individuelle et collective entre raison et sentiment. Au cœur de cette construction, se conjuguent un nouveau regard sur le libre-arbitre  et une recherche fondamentale de la liberté.

Points forts

Cet essai surprenant se lit comme un roman. 

Formulé comme un récit, il nous plonge dans le quotidien de l’élaboration d’une pensée, faite d’amitié, d’intelligence, de controverses, de transgression, d’amour, en un mot, de toutes les composantes d’une vie en train de se dérouler sous nos yeux, avec ses suspens, ses joies, ses déceptions, ses fulgurances ses échecs, sa trace au-delà du temps.

Il expose avec fluidité des concepts philosophiques, littéraires, artistiques et scientifiques pourtant complexes, parfois ardus, s’offrant ainsi comme une mine de connaissances aisément accessible.

Outre sa facilité de lecture, son apport est marquant à plus d’un titre : 

- il explore et articule les fondements de la révolution intellectuelle et conceptuelle du Romantisme ;  il restaure ainsi le mouvement dans sa dynamique et son acception originelles, loin des clichés souvent doucereux attachés à cette notion. 

- il illustre brillamment la richesse et la pertinence des recherches interdisciplinaires,  loin des chapelles et des considérations en silo. 

- c’est un superbe témoignage du continuum historique du cheminement de la pensée.

Le premier Romantisme est idéaliste, à vocation humaniste et universelle, dans une convergence des différentes voies d’introspection et d’action au service d’une société meilleure. Cet objectif deviendra pour les décennies et les siècles suivants jusqu’à aujourd’hui, le socle de la création artistique et de la pensée philosophique en Occident. En particulier, les tenants de l’Art total en feront leur principale source d’inspiration, depuis Beethoven qui mettra en musique un poème de Schiller dans le dernier mouvement de sa 9e Symphonie connu sous le nom de l’Hymne à la joie, jusqu’au Bauhaus qui prend naissance à … Weimar au sortir de la Première Guerre mondiale, en passant par l'œuvre de Wagner et les artistes de la Sécession Viennoise.

- on est frappé par la modernité et l’actualité du Premier Romantisme en résonance avec les difficultés actuelles du monde occidental.  Se plonger de plus près dans sa connaissance pour y trouver des axes d’inspiration semble bienvenu pour trouver de nouveaux repères communs.

Quelques réserves

Aucune. Ce livre rend heureux d’apprendre et donne de l’élan pour agir.

Encore un mot...

Particulièrement bien documenté, l’ouvrage comporte un riche index de références auxquelles on se reportera pour approfondir, lire et relire les œuvres citées. 

Une phrase

  • « Schelling rassemblait ce que la révolution scientifique avait désuni : la nature et les hommes. Peu importait l’insistance que les savants mettaient à observer, à calculer et expérimenter, il y avait quelque chose d’émotionnel, quelque chose de viscéral et peut-être d’inexplicable dans le lien unissant les hommes à la nature. Quelle que soit la façon dont nous l’appréhendons, la nature est capable d’apaiser, de guérir ou simplement de nous emplir de joie. Schelling nous donna la justification philosophique. Et ce faisant, sa philosophie de l’unité devint le coeur battant du romantisme.» p 265

  • « Tous se mirent à penser à la religion. (…) Toutefois, ils adoptèrent la spiritualité comme un  élément de leur projet romantique plus général. Cette nouvelle source d’intérêt les incita à injecter des sentiments, de l’imagination et de la beauté dans un monde de plus en plus matérialiste. Il ne s’agissait pas d’une quête de Dieu mais d’une quête d’eux-mêmes en tant que partie de l’univers. » p.325

  • « le Cercle d'Iéna croyait que nous devions être conscients de nous-même – être « égoïstes » dans le sens d’être conscients et maîtres de nous-même et de notre libre-arbitre. De nos jours, lorsque nous  parlons d'égoïsme, nous voulons parler d’une personne obsédée par ses plaisirs et ses gains, qui ne pense qu’à son profit. Mais considéré dans son contexte historique et sa conception originelle, l’« art d’être soi » libéra le Moi dans le dessein de créer une société meilleure : une société fondée sur des individus qui n’étaient plus  assignés par des monarques  et des souverains à une place et une voie définies une fois pour toutes, mais qui étaient maîtres de leur identité et de leur destinée.» p. 457

L'auteur

Andrea Wulf est née en Inde, a grandi en Allemagne et vit aujourd’hui en Angleterre. Elle est l’auteure de plusieurs livres à succès, dont The Brother Gardeners (2009) et The Founding Gardeners (2011). Passionnée par le monde végétal, la géographie et la littérature, Andrea Wulf collabore à de nombreux journaux, dont le Guardian, le Los Angeles Times et le New York Times. Salué par de nombreux prix, The Invention of Nature : Alexander Von Humboldt's new world (L’Invention de la nature. Les aventures d’Alexander von Humboldt, Noir sur Blanc, 2017) a figuré dans la liste des dix meilleurs livres de 2015 du New York Times.

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