Les nouveaux enfants du siècle.
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Thème
Ces 10 dernières années ont vu monter puis s'exprimer, dans le camp des jeunes adultes, de nouvelles radicalités. Jeunes des banlieues défavorisées issus de l'immigration, jeunes d'origine européenne isolés dans les périphéries des grandes villes, jeunes bobos et cathos prompts à engager le débat et à se mobiliser pour une société plus juste et moins libérale… tous forment la toile des futurs dirigeants du pays. Pour autant, de grandes lignes de fracture les séparent, des tentations de l'extrémisme islamique aux réflexes nationalistes et xénophobes, la quête de valeurs et de sens à priori antinomiques (la communauté universelle de l'islam contre la revitalisation des valeurs chrétienne). Pourtant, la mise en cause du modèle libéral et de la vacuité du présent les rassemble.
Alexandre Devecchio leur donne la parole, dans leur radicalité autant que dans leur doute, avec la distance de celui qui observe et qui veut comprendre. Il nous propose une dissection méticuleuse de l'engagement de ces jeunes "activistes".
Points forts
1- Une introduction claire, qui pose bien le sujet.
2- Une enquête. Extrêmement documentée, argumentée, organisée, forte d'analyses qui peuvent ne pas plaire. Mais dont on ne peut reprocher le manque de fond et de sources - extraits de livres, articles ou tribunes qui illustrent et enrichissent le propos. On y croise, parmi les très nombreux auteurs cités, des "jeunes" : François Xavier Bellamy (les Déshérités), Fabrice Hadjadj (Qu'est ce qu'une famille), Mathieu Bocke-Coté (le Multiculturalisme comme religion politique), et des "moins jeunes", Boualem Sansal (2084), Eric Zémour, Michel Houellebecq, Alain Finkielkraut, Michel Onfray, Gilles Kepel, Olivier Roy et beaucoup d'autres. Ça remue !
3- Zéro langue de bois ! On donne la parole aux jeunes déracinés des cités, aux militants souverainistes, aux Veilleurs et aux Nuits debout. On parle des échecs de l'intégration et de ses conséquences, on donne la parole à ceux qui rêvent de l'Oumma, à ceux qui vivent le racisme antiblanc et se font traiter de "colons" et/ou de "Kouffar" (mécréant, non croyant). On y parle aussi d'un antisémitisme qui n'est pas ou plus d'extrême droite bien que le discours politique reste bloqué sur ce stéréotype.
4- Des "découvertes". Péché parmi d'autres points forts, on y apprend que la théorie du fondamentalisme islamique est née en pleine Allemagne nazie. Un peuple élu et pur, une nation (l'Oumma), un chef ou un prophète, une loi qui guide l'intégralité de la vie des hommes. La traduction en allemand n'est pas nécessaire pour se rendre compte de la filiation idéologique.
5- Une invitation à l'autocritique. Au delà de la révolte des jeunes d'origine magrébine (qui n'est pas le seul sujet du livre, mais son déclencheur), on s'interroge sur ces jeunes en quête de sens. De Marion Maréchal Le Pen aux Veilleurs et Nuits debout, Devecchio nous invite à réfléchir au leg de 1968, au culte de la jouissance, de la liberté, et au vide métaphysique du monde libéral. Ce monde, en paraphrasant ses termes, dans lequel la tension existentielle se limite (souvent ?) à attendre la nouvelle version de l'Iphone, la future émission de téléréalité, le prochain match de foot ou à se désespérer des fluctuations de l'euro.
Quelques réserves
Ce livre a les défauts de ses qualités:
1- Dense, dense, dense, mais pas indigeste.
2- On y parle de tensions, de fractures, de révoltes, des bonnes raisons de liquider les mécréants... Alors, attention, il n'est pas incongru de prévoir un solide remontant, ou de revoir "Les Choristes" ou "la Guerre des boutons", voire "Microcosmos".
3- Le livre passe un peu à coté de la jeunesse de sensibilité de gauche. On y parle bien des "Nuits debout" et de leur sens si particulier du dialogue participatif (qui valut à Alain Fienkelkraut et quelques autres un accueil des plus inamicaux), mais on reste un peu sur sa faim sur ce sujet.
Encore un mot...
Ce livre est provocant, dans le bon sens du terme. Devecchio y parle sans complexe de territoires perdus, d'aspirations identitaires, de traditions et de clochers, de quête de sens, de famille, d'histoire de France, de religions, d'éducation, d'engagements ou de réveils. Porté par les témoignages, on navigue entre l'étonnement et la consternation, entre l'incrédulité, la déprime et l'espoir. C'est un livre, que certains diront de parti pris, mais vraiment essentiel pour comprendre les complexités de cette génération née autour des années 90.
Son regard sur la jeunesse d'aujourd'hui éclaire sur les conséquences de la victimisation et de la repentance, et d'un système éducatif "déraciné", géniteurs des générations Dieudonné, Zemour et Michéa (philosophe moraliste défenseur d'un socialisme "réellement" solidaire).
Aux cotés des héritiers de mai 68, Papy Winner et Baby loosers, frontistes, Identitaires, jeunes chrétiens activistes, entristes ou nouveaux pourfendeurs de la classe politique traditionnelle, il nous propose un regard neuf sur une génération qui balance entre engagement et affrontement.
"Là ou croit le péril, croit aussi ce qui sauve", dit Hölderlin. Il se dessine un nouveau discours, fait d'enracinement dans des valeurs, religieuses ou athées, républicaines, antilibérales, mais pas antidémocratiques. Un vent de renouveau que la classe politique a peut-être déjà découvert à ses dépends?
Une phrase
- "La sempiternelle mise en accusation d'une France "raciste et islamophobe" est… non seulement fausse, mais également irresponsable. Les discriminations systématiques dénoncées par certains représentants de la communauté musulmane et une partie de la gauche et de l'extrême gauche, qui voit dans les populations d'origine immigrée un prolétariat de substitution, n'ont jamais été étayées. Les chiffres avancés… étant régulièrement contredits par ceux du Ministère de l'intérieur". (P 103)
- "Olivier Roy n'a pas tord d'évoquer la révolte d'une génération sans but, souvent ignorante de l'islam réel… Daesh, "un produit de notre modernité". Oui, le malaise d'une civilisation sans espérance fait que l'anéantissement de Daesh ne suffira pas à éteindre la violence de cette jeunesse". (P105)
- "Comme le dit Alain Finkielkraut, la Manif pour tous aura au moins montré que "la jeunesse de France n'est pas réductible à Canal+ et aux banlieues". ( P 220)
- "A partir de 1968, tout héritage devient réactionnaire. Il faut tuer les pères et les maîtres, bannir l'histoire et la mémoire, conjurer le passé, en finir avec une transmission forcement bourgeoise et fascisante".(p284)
- "En 1996, dans "Le droit au sens", un ouvrage méconnu qui mérite d'être relu à la lumière d'aujourd'hui, François Bayrou avait pressenti : "… et si en analysant cette crise, nous nous trompions de verbe ? Et si la crise était une crise du verbe "être" au lieu du verbe "avoir ?" ... (P303)
L'auteur
Alexandre Devecchio a 30 ans. Journaliste au Bondy blog puis sur le site Atlantico, il anime le site FigaroVox. Son livre, qui est sa première "grande" publication, s'intéresse à une jeunesse qu'il connait bien, celle des banlieues où il a vécu, celle des déclassés, des "petits blancs", praticiens de la mixité et de l'intégration.
Comme c'est un homme qui ne pratique pas la langue de bois, il n'a pas que des amis dans le microcosme journalistique. Pour défendre une expression pluraliste et non diabolisée des idées "non politiquement correctes", il a "cofondé", avec la journaliste Natacha Polony, le comité Orwel, dont l'un des buts est de redonner de la crédibilité au métier de journaliste.
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