Les nomades
Traduit de l’Anglais (Royaume-Uni) par Virginie Buhl
Parution le 14 mars 2024
427 pages
24,50 €
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Thème
L’Histoire est écrite par les vainqueurs, dit-on. Elle l’est surtout par les peuples qui, petit à petit, ont abandonné le mode de vie nomade qui était celui de l’humanité primitive pour se sédentariser, inventant au passage l’agriculture, l’écriture, les villes. Ce livre ambitionne de retracer cette mutation qui a abouti à la quasi-disparition du nomadisme aujourd’hui. Il évoque des épisodes peu, voire pas, connus, qui ont vu à certaines périodes se constituer des empires à vocation mondiale qui ont ensuite disparu, précisément parce que les vertus initiales du nomadisme avaient été abandonnées ; c’est en tous cas la thèse de l’auteur et elle est étayée par de nombreux arguments qui sont parfois convaincants même s’ils sont pour certains discutables.
Points forts
C’est là l’apport le plus intéressant de cet ouvrage. Deux chiffres illustrent cette évolution :
- Dix mille ans avant notre ère : population mondiale environ 5 millions, essentiellement des nomades.
- Aujourd’hui : population mondiale 7,8 milliards ; population urbaine 5,6 milliards, population nomade 40 millions.
Entre ces deux dates, se sont succédés des mouvements incessants de populations et s’est déroulée une lutte devenue de plus en plus inégale entre nomades et sédentaires, héritiers des chasseurs-cueilleurs d’une part et des agriculteurs devenus citadins d’autre part, antagonisme symbolisé dès la Genèse par le meurtre d’Abel par Caïn.
L’auteur évoque des peuples dont le souvenir est encore vivace - surtout à cause des destructions qu’ils ont causées - mais dont la réalité est largement ignorée : Scythes, Mongols, Huns. Il soutient que la puissance qui venait du nomadisme et des liens claniques de sang et d’allégeance qu’il supposait a fini par décliner en raison de la sédentarisation et de l’amolissement qui en a résulté, comportant la perte des valeurs morales. A cet égard, le récit de l’ascension et du déclin des Arabes est éclairant.
On apprend que les premiers bâtiments pérennes ont paradoxalement été créés par des nomades, qui n’y résidaient pas puisque c’était uniquement des lieux de culte, mais ce serait l’origine des villes car autour des monuments devaient se regrouper les servants, les prêtres puis les marchands, les hôteliers pour pèlerins, les artisans…
Quelques réserves
Elles sont malheureusement nombreuses, touchant le fond et la forme.
Monsieur Sattin est anglais, à ce que nul n’en ignore. Les Anglais sont allergiques à nos exposés cartésiens et à notre sacro-saint plan universitaire en deux parties ; un ami anglais nous disait : « Mais comment faîtes-vous pour établir un plan en deux parties quand vous avez trois idées ? » Monsieur Sattin en a plus de cent, ce qui donne non pas des chapitres mais une suite de capsules, certes intéressantes mais sans structure précise, même pas chronologique car on saute fréquemment d’une époque à l’autre avec des retours en arrière de plus en plus difficiles à suivre.
On confessera que le lecteur peu familiarisé avec l’histoire des contrées évoquées s’égare assez vite, d’autant qu’il n’existe en annexe aucun tableau qui aurait permis de se repérer par rapport aux faits plus connus survenus dans notre propre zone géographique.
A titre d’exemple, les épisodes sur l’Empire Romain d’Orient insérés dans le récit d’un temps où il n’était pas encore créé, la parenthèse sur l’histoire des Arabes et Ibn Khaldoun au milieu d’événements plus anciens, les digressions sur la révolution industrielle… nous font perdre tout repère.
Monsieur Sattin est anglais, toujours : hors du Royaume-Uni point de salut. Ses références sont exclusivement britanniques, jusqu’à la caricature. Le plus grand philosophe n’est ni Kant, ni Spinoza, mais Francis Bacon. C’est un Anglais qui déchiffre l’écriture cunéiforme (pour mémoire ce fut un allemand). Sont ignorés les travaux fondamentaux sur les empires nomades tels que ceux de René Grousset mais on a droit à trois pages sur Vita Sackville-West dont le seul mérite semble être d’avoir assisté avec son époux ambassadeur au couronnement du Shah de Perse. Le plus ancien musée du monde est le British Museum, etc…
Cette vision autocentrée se double du préchi-précha de plus en plus habituel du politiquement correct à la mode. Passons sur l’usage de temps à autre de l’écriture inclusive (on suspectera plutôt la traductrice) mais absoudre Tamerlan de ses crimes de masse (90.000 têtes coupées lors de la prise de Bagdad en 1401, disposées en 120 tours !) au motif qu’il acceptait la différence religieuse tandis que l’Occident subissait l’Inquisition, faire l’apologie du mode de vie nomade jugé écologique par opposition à l’agriculture prédatrice de la nature, ça ne passe pas.
Il faut dire que le livre se conclut, après les diatribes d’usage sur la colonisation, sous le patronage de ce cher Thoreau et même du mouvement radical Extinction Rebellion (mais oui). Voltaire écrivait à Rousseau : « Il prend envie de marcher à quatre pattes quand on lit votre ouvrage ».
Monsieur Sattin ne craint pas de parler au sujet de l’Empire Mongol de « démocratie certes limitée » (sic). Pour un peu le polygame Gengis Khan qui a essaimé son ADN dans le vaste monde aurait été féministe. On n’en est d’ailleurs pas loin puisque l’expédition d’extermination du clan qui avait enlevé sa fiancée est comparée… à la Guerre de Troie !
On est aussi en droit de trouver incongrues dans un livre d’histoire ayant de telles ambitions des pages personnelles dans lesquelles l’auteur se met en scène au campement le soir dans la nature sauvage, passages qui s’apparentent plutôt au journalisme gonzo qui a la faveur des anglo-saxons ; le record étant atteint par le dessin intercalé au milieu de l’ouvrage entre des motifs d’objets ou de tapis assez esthétiques et intéressants, de « mon chien Sacha en train de jouer sur la plage de Winchelsea dans le Sussex » (sic).
Passons sur les notes de bas de page, traditionnelles pépites des travaux universitaires ; ici elles consistent pour l’essentiel à des liens renvoyant à des sites web. Du livre devenu une bande-annonce d’Internet…
Et enfin, last but not least, pas un mot sur le peuple nomade par excellence, les Tsiganes, Gitans, Roms, Manouches et autres Travellers, dont pour le coup l’histoire reste à écrire et serait passionnante.
Encore un mot...
Voici donc un livre très tendance qui devrait réjouir les amateurs de déconstruction. Pour ceux qui apprécient l’Histoire globale dont les chefs de file sont Fernand Braudel ou le compatriote de l’auteur Arnold Toynbee, il faudra attendre. C’est dommage car encore une fois le sujet, rarement traité, était intéressant.
Une phrase
« Plus encore que la domestication des végétaux cultivables, la possibilité de monter à cheval a été une révolution. La révolution équine. Le cheval est le moyen de transport le plus efficace et le plus durable que l’homme ait jamais utilisé, et la possibilité de le monter a transformé la vie sur terre, dans la steppe encore plus qu’ailleurs, parce qu’elle y a rendu possible le pastoralisme nomade. A pied, un éleveur peut parcourir une vingtaine de kilomètres par jour. En montant à cru, comme faisaient les premiers cavaliers, ils pouvaient couvrir le double de cette distance, voire plus (…).» p. 71
« Quelque chose d’indéfinissable, comme l’écrit Ibn Khaldoun, une certaine incapacité à s’adapter face à leur déclin, a pris possession des Abbassides. Dès qu’ils furent installés à l’abri des enceintes de Bagdad, ou presque, le magnifique élan d’énergie nomade qui les avait tout d’abord portés au pouvoir et leur avait permis de fonder un empire à la gloire de l’Islam couvrant la moitié du monde commença à s’étioler. Aucun retour aux sources, aucune tentative de rétablissement de l’Arabe bédouin pur ou de l’héritage préislamique ne pouvait arrêter cette dégénerescence ». p.196
L'auteur
Né à Londres en 1956, Anthony Sattin est spécialisé dans les récits de voyage et notamment en ce qui concerne l’Afrique et le Moyen-Orient. Les Nomades a été élu « livre de l’année » par le Spectator et « meilleur livre d’histoire de l’année » par le Sunday Times. Ces distinctions interrogent sur le reste de la production dans ce domaine ou à tout le moins sur la définition de ce que doit être un livre d’histoire, mais qui sommes-nous pour juger ?
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