Les faux jetons. Dans le secret des conseils d’administration
270 pages
19 €
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Thème
Le fonctionnement des conseils d’administration des grands groupes français (CAC 40) comme illustration du capitalisme hexagonal. La journaliste démontre que le capitalisme français, dans sa version CAC 40, présente des singularités introuvables dans les autres pays : ses dirigeants, et les administrateurs qu’ils se chargent de valider voire de nommer, bénéficient d’une protection qui ressortit d’un véritable privilège. Son ressort ? La réussite scolaire, entre 18 et 22 ans, qui offre à son détenteur un statut assimilable à une rente à vie.
Rente qu’il revient à l’intéressé de faire fructifier dans des délais courts, avec le concours de ceux qui, déjà dans la place, savent que tout service rendu à un membre de la confrérie du diplôme sera payé en retour quand les circonstances l’exigeront. En conséquence, les intéressés se retrouvent, attablés, autour d’un Monopoly qui sont les sociétés du CAC 40 (65% de la capitalisation boursière française est entre les mains d’énarques ou de polytechniciens), où leur participation au jeu capitaliste est grassement payée. Indemnes de sanctions (et lorsqu’ils sont exceptionnellement sanctionnés, -l’enquêtrice ne manque pas de le rappeler, chiffres à l’appui- ils le sont avec des primes et bonus éhontés). Les protagonistes de cette comédie sont autant de pièces à conviction dans le procès du capitalisme.
Points forts
Dans cette enquête fouillée, le lecteur croise les grands noms de la politique et du « capitalisme » français. Y sont notamment soulignés, avec des mots sans concession, leur puérilité (tel Alexandre de Juniac qui, sur sa fiche Wikipédia, à 57 ans, juge encore nécessaire de rappeler qu’il est le fils de l’Ambassadeur Gontran de Juniac !), leur fourberie, leur autoritarisme, leur cupidité hors norme elle aussi. A l’attention de ceux qui s’interrogent sur la nocivité de l’ENA à la vie économique et politique française, l’auteur décrit la puissance de cette caste au travers de son réseau tentaculaire, et sa nuisance sur la vie des entreprises.
Certes, les méfaits signalés dans l’ouvrage sont déjà renseignés, et la déclaration du président Macron annonçant la liquidation de la dite école confirme que, du point de vue d’un insider, l’ENA est bel et bien toxique. L’enquête de Sophie Coignard nous amène à croiser des chevaliers blancs (Colette Neuville), nous en fait découvrir (Pierre-Henri Leroy, Marie-Christine Lombard). Si certains patrons se singularisent par leur intégrité (Jean Peyrelevade), on trouve aussi des fossoyeurs de fleurons de l’industrie française (Anne Lauvergeon, Patrick Kron), voire des individus carrément “radioactifs” (Carlos Ghosn). Le livre fournit tous les détails sur l’empilement de rémunérations que s’attribuent les membres de ce petit club, au titre de leurs participations “somnolentes” aux conseils d’administration de sociétés présidées par un copain de promotion, un confrère, un ami. Tout cela serait anecdotique si, les mêmes, ne présidaient, trop souvent, des sociétés qui finissent en faillite.
A observer les agissements de cet assemblage, tous sortis de deux moules microscopiques (X/Mines, ENA/Inspection des finances), le lecteur retient l’incurie de ces brillants diplômés, dont la capacité à survivre à leur désastre semble être l’unique préoccupation.
Quelques réserves
L’ouvrage aurait gagné à être écrit à la manière d’un volume de la Série noire, tant les anecdotes sont croustillantes et les faits étayés par des chiffres qui donnent le tournis. On aurait encore aimé que l’auteur balise avec plus de soin son périmètre d’enquête. La population décrite, composée de ” voyous bien en cour” est celle du CAC 40 et cela seulement. Il existe en France des centaines de milliers de SA et SARL, dotées d’actionnaires qui, pour uniques dividendes, n’ont droit, lors de l’Assemblée générale ordinaire annuelle, qu’à un déjeuner gratuit.
Encore un mot...
Une fois refermé l’ouvrage de Sophie Coignard, le capitalisme français apparaît comme une sinistre farce, à savoir un terrain de jeu sans risque pour une caste dont l’unique fait d’armes est, au départ, non une réussite exceptionnelle sur fond d’innovations et d’idées géniales, comme le sont les parcours d’un Richard Branson, d’un Bill Gates ou d’un Nicolas Hayek , mais le succès à des concours que d’aucuns jugent d’une profonde indigence intellectuelle. Ainsi convaincue de sa supériorité, l’engeance sortant de cette colonne de distillation entend bien se gaver, de plus en plus jeune, par tous les moyens possibles. Et, pour ce faire, quoi de plus reposant que les conseils d’administration à la française ?
Rien annonçant un quelconque changement de ce statu quo mortifère, je recommande au lecteur la prise d’un fort remontant. Attention cependant à l’abus d’alcool !
Une phrase
« Derrière les portes capitonnées des conseils, la réalité qui demeure est celle d’une aristocratie d’Etat régénérée par ses alliances avec les grandes fortunes (…) Les entrepreneurs, les vrais, ceux qui mettent leur argent, sont quasiment inexistants parmi les administrateurs du CAC 40. Le risque, c’est bon pour les autres, notamment pour ces petits actionnaires qui peuvent subir des pertes en capital sans avoir voix au chapitre (…) Seuls les fonds vautours, chevilles ouvrières d’un néolibéralisme anglo-saxon pur et dur semblent en mesure d’ébranler les certitudes d’une nomenklatura sûre de son bon droit et pétrie de mépris social. »
L'auteur
Sophie Coignard est une journaliste de terrain, grand reporter au magazine “Le Point”, auteure d’enquêtes sans concession, étayées par d’amples ressources statistiques et entretiens. Contrairement à certains de ses confrères pour qui l’enquête, dans le meilleur des cas, se borne à un contact téléphonique, Sophie Coignard se déplace, aborde frontalement les dossiers épineux avec les personnes concernées. Mode d’action désormais suffisamment rare pour être mentionné.
Elle a publié une vingtaine d’ouvrages dont, parmi les plus récents : La Caisse, Enquête sur le coffre-fort des Français (avec Romain Gubert, Le Seuil) ; Un Etat dans l’Etat, le contre pouvoir maçonnique (Albin Michel) et Benalla, la vraie histoire (L’observatoire).
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