Parce qu'il permet de découvrir ou de redécouvrir un grand écrivain qui mérite mieux que sa réputation scandaleuse. Réputation qu'il a tout fait pour accréditer.
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Thème
Réédité en 2014 mais paru en février 1949, ce texte est celui d’une émission commandée à Genet en 1947 par Fernand Pouey, Directeur du Service littérature à la Radiodiffusion Française. Les choix de ce journaliste, souvent contestés, le portent vers Vian, Prévert, Sartre… et la réputation sulfureuse de Genet le séduit. Mais le discours de ce voyou délibérément provocateur, qui renverse les valeurs bourgeoises, fait systématiquement l’apologie du crime et présente même une vision esthétisante des camps nazis, ne passe pas : l’émission est interdite d’antenne.
Dans cet hymne à l’enfant criminel, « non sa plainte, mais son chant de gloire », Genet revendique la dureté, et même la cruauté pour les bagnes d’enfants reconvertis aujourd’hui en centres de rééducation. Car le pénitencier est l’apothéose du jeune criminel qui refuse l’indulgence et la compréhension d’une société qu’il méprise. « Il exige que le bagne qu’il a mérité soit féroce. Digne enfin du mal qu’il s’est donné pour le conquérir ». Il faut refuser toute pitié à des gosses qui n’en veulent pas, alors que «sous les coups d’un généreux imbécile » les bagnes comme Mettray ont disparu pour devenir des « patronages » où les éducateurs ont « la naïveté d’une salutiste ».
Points forts
La particularité de la démarche : Jean Genet se donne beaucoup de mal pour asseoir sa légende noire ; il feint de considérer comme une insulte qu’on lui ait permis « par je ne sais quelle erreur » de passer à la radio alors qu’il est « du côté du crime ». Il demande aux auditeurs qui n’auront pas encore tourné le bouton de leur poste d’assumer « l’infamie d’être de belles âmes » face aux « fiers assassins », « aux petits gars sans pitié » qui sont ses frères.
Quelques réserves
Ce n’est pas un essai au sens strict du terme, « le discours que vous lirez était écrit pour être entendu.». On n’y distingue guère cette obsession de la beauté du mot, qui fait la force du style de Genet.
Ce texte ne correspond qu' la seconde partie de l’émission telle que l’avait conçue Genet : « je l’eusse fait précéder d’un interrogatoire (…) à un magistrat, à un directeur de pénitencier, à un psychiatre officiel. Tous refusèrent de répondre » (Mais Jean Grenier, producteur de l’émission, ne se souvient pas d’avoir sollicité la moindre interview.)
C'est un texte date beaucoup. Genet se revendique comme « cambrioleur et pédéraste », emploie des mots aujourd'hui désuets. Beaucoup de choses ne correspondent plus à la mentalité actuelle.
Encore un mot...
65 ans après, alors que l’homophobie est devenue un délit et le laxisme la norme, ce plaidoyer pour une répression féroce est complètement dépassé. Aujourd’hui, le texte de Genet serait peut-être encore interdit d’antenne, mais parce que trop réac.
L'auteur
Jean Genet, écrivain, dramaturge et poète français, exalte l’inversion, le mal et la perversion à travers la célébration de héros ambivalents évoluant dans un monde interlope.
Né à Paris de père inconnu, en 1910, il est abandonné à 7 mois par sa mère. Elevé dans le Morvan par une famille d’accueil, il connaît ses premiers émois homosexuels, notamment avec le petit Lou Culafroy qui deviendra ensuite la « Divine » de « Notre Dame des Fleurs ». Le vol originel, qu’il commet à 10 ans, est l’acte fondateur de son éthique très personnelle. Après quelques délits et deux fugues, il est enfermé dans la colonie pénitentiaire de Mettray, de 16 à 20 ans. Commence ensuite une existence marginale et rebelle, la légion étrangère qu’il déserte, l’errance à travers l’Europe des commissariats, puis la prison à plusieurs reprises. C’est à Fresnes qu’il écrit son superbe poème Le condamné à mort. Plusieurs romans plus ou moins autobiographiques vont suivre : Notre Dame des Fleurs, le Miracle de la Rose, Querelle de Brest, Pompes funèbres, qui sont censurés pour pornographie. Mais Cocteau (qui le sauve de la perpétuité) et Sartre (qui démonte dans « Saint Genet, comédien et martyr » le mécanisme de ses provocations) lancent ce poète sulfureux et en font le premier truand à la mode. Du coup, à son grand désarroi, Genet n’attire plus les foudres de la critique mais continue ses exhortations sociales et politiques; à travers, entre autres, plusieurs pièces de théâtre, les Bonnes, Haute surveillance, les Nègres, les Paravents (on se souvient du tollé des bien-pensants quand cette satire de l’armée et du colonialisme fut montée à l’Odéon par la compagnie Renaud/Barrault en 1966). Au faîte de sa gloire, adulé par toute l’intelligentsia parisienne –il finira par recevoir le grand prix national des lettres en 1983- Genet n’écrit plus guère mais continue à militer pour de multiples causes : l’anticolonialisme, les indépendantistes algériens et palestiniens, les Black Panthers… se voulant toujours provocateur et scandaleux.
Rongé par un cancer de la gorge, il s’éteint le 13 avril 1986.
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