L’écologie ou l’ivresse de la table rase
Paru le 12 janvier 2022
220 pages
19 €
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Thème
L’écologie a été détournée de son objet soutient l’essayiste Bérénice Levet. En grec, Oikos signifie le foyer, la maisonnée et non la planète ou la terre. Depuis longtemps, l’écologie travaille à l’extension de son domaine. Elle est aujourd’hui au service de la déconstruction. Elle fabrique des dogmes. D’environnemental, son agenda est devenu politique.
Qui sont les écologistes ? Des indifférents aux traditions, des nihilistes pour qui ‘l’anéantissement n’est pas grave puisque tout peut être reconstruit’. Ils sont ‘plus affairés à changer les mentalités et les comportements, à remodeler nos rêves et nos imaginaires, qu’à restaurer la nature’.
Inspirés par la tradition anglo-saxonne protestante, les écolos exacerbent les identités particulières, à rebours de la tradition d’universalisme français. Dans leur esprit, la nature, au même titre que les femmes, les minorités ou les bêtes, est victime de l’homme occidental. Être écolo, c’est donc être contre toutes les formes de domination. Cette proposition se décline largement : remodelage de la langue qui est sexiste et raciste, expositions ‘genrées’, consécration des droits culturels au service d’une vision identitaire, l’universalisme étant le faux-nez des dominants, coupable d‘ « invisibiliser »’ les minorités.
Bérénice Levet qualifie ce mouvement de ‘totalitarisme vert’. Il ambitionne de fabriquer un homme nouveau qui porte “l’urgence climatique en bandoulière”. L’homme écolo est ‘sans épaisseur’, ramené ‘de sa condition historique et géographique à sa condition naturelle’. Une espèce parmi d’autres espèces en somme.
L’homme n’est pourtant pas celui que les écolos décrivent, s’insurge l’autrice. Contrairement aux autres espèces, il est doué de ‘logos, c’est à dire de raison et de langage mêlés avec la capacité de s’enquérir du bien, du beau, du juste’. Et la religion chrétienne, loin d’être le fossoyeur de la nature que décrivent les écologistes, a fait de l’Homme le gardien de la création et non son propriétaire. L’homme n’est donc pas une malédiction de la nature. Il la ‘commande en lui obéissant’.
Bérénice Levet relève que l’écologie n’est pas populaire dans notre pays, parce qu’elle ignore les attachements de l’homme à ses traditions et le besoin d’un univers familier. La France n’est ‘pas un espace sauvage’. Elle a ‘le génie d’aménager le séjour terrestre’ dit-elle joliment.
Alors, quelle autre écologie ? Un écologie dont le cœur ‘doit bien demeurer l’homme et la nature et pas l’homme dans la nature’. Une préférence pour la responsabilité et l’autolimitation, plutôt que la décroissance, et le souci ‘de tenir la bride à ses appétits et à ses désirs’. ‘Une écologie de l’œil et de l’esprit’ ensuite qui met fin à l’exil de la beauté et de la sensibilité. Une écologie ‘conservatrice’ enfin qui réhabilite la nostalgie et redonne au peuple et à l’individu son ‘droit à la continuité historique’.
Points forts
Bérénice Levet produit un texte dense et qui dénote une érudition maîtrisée. Elle déploie ses arguments avec un sens aigu de la formule. Les citations, nombreuses, trouvent leur place dans la démonstration. Une approche mono-angulaire, nulle rondeur, voire pas de nuance, comme le veut le genre de l’essai. La thèse de la perversion de l’écologie moderne en agent de déconstruction de notre civilisation et d’alliée des identitaires et wokistes de tous poils, est solidement argumentée. Le propos est parfois drôle ou acerbe, notamment lorsqu’elle illustre l’’insécurité culturelle’.
Le rappel, peut-être trop rapide, de l’histoire de l’ambition écologique, est également salutaire. L’écologie originelle, telle que celle défendue par Georges Pompidou dans son beau discours de Chicago en 1970, est ‘pensée et discours sur l’habitat, sur l’aménagement du séjour terrestre’ et pas cette entreprise qui vise à déraciner l’homme pour le ravaler au rang d’une espèce parmi d’autres ou à miner l’identité culturelle du pays.
Quelques réserves
Bérénice Levet a focalisé son propos sur la fraction la plus radicale, souvent caricaturale, des écologistes. Ce choix ne rend (volontairement) pas compte d’un mouvement plus divers et qui compte des éléments moins radicalisés, à l’image des Realos allemands. Tous les écolos en somme ne sont pas des ‘khmers verts’ ; on veut croire qu’il existe aussi des ‘adultes dans la salle’.
Si l'auteure se défend d’une vision idéalisée et datée d’une France agraire, on peut regretter qu’elle n’ait pas justement mis en avant les formidables capacités de l’homme et de la science, à maintenir notre Oikos vivable pour les générations futures. Pour être crédible, l’écologie doit se débarrasser des oripeaux de la radicalité et du wokisme.
Encore un mot...
Une entreprise salutaire de déconstruction du message de l’écologie radicale.
Une phrase
‘Je ne peux pas me résoudre à voir nos civilisations réduites à un cortège de destructions quand elles permirent l’édification de sociétés flamboyantes et l’éclosion de ces maîtres en perception que sont les poètes, les peintres, les écrivains, les musiciens’ (page 23).
‘ L’homme des écologistes, et de toute la gauche d’aujourd’hui, n’a plus d’âme, il a une identité. Une identité et une obsession, un prurit même, celui d’ « exprimer » cette identité, de la rendre « visible » (page 117) ; or ‘en France, on n’exhibe pas son identité ‘ (page 119).
‘Pour le dire brutalement, il y a bien de la haine des hommes dans ce soudain amour de la nature ‘ (Marcel Gauchet cité par l’essayiste page 140).
‘Je ne milite pas pour la décroissance, je milite pour un homme qui se fixe à lui-même des limites’ (page 192).
L'auteur
Bérénice Levet est universitaire, philosophe et essayiste. Son livre Le Musée imaginaire d'Hannah Arendt, publié en 2011, explore la place qu’occupent les écrits et l’art dans l’œuvre de la philosophe allemande. Parmi ses autres ouvrages, on peut citer :
À l’attention des hommes qui aiment les femmes et des femmes qui aiment les hommes (François Bourin, 2013).
La Théorie du genre ou Le Monde rêvé des anges : l'identité sexuée comme malédiction, (Grasset, 2014).
Le Crépuscule des idoles progressistes (Stock, 2017).
Commentaires
Merci pour votre chronique qui m'a donné forte envie de lire ce livre.
Le prologue, assez long (17 pages) m'a paru indigeste, j'ai failli laisser tomber. Mais j'aurais eu tort, car au milieu du livre, le sujet devient vraiment intéressant, c'est à dire qu'il nous fait prendre conscience à quel point le discours écolo ambiant nous imprègne malgré nous. J'ai particulièrement apprécié qu'elle cite souvent Hannah Arendt et d'autres penseurs qui ont, très tôt, alerté sur les dangers de faire table rase de la culture et du passé.
Son livre est divisé en 3 parties.
Dans la première, elle présente "le monde rêvé des écologistes (radicaux), soulignant leurs attaches à la mentalité woke, féministe, cancel culture, anglo saxonne,... pour aboutir à des Khmers Verts totalitaristes. Il faut dire que les gens de gauche ne vont guère apprécier son point de vue, mais pourquoi l'écologie serait-elle de gauche ? Elle dénonce les ahurissantes décisions de certains politiques verts.
Dans la deuxième partie, elle s'interroge sur la relation entre l'homme et la nature, sur le rôle de l'homme occidental particulièrement puisque c'est lui qui doit, selon les écolos, être abattu. Car derrière tout le discours écologique radical, elle décèle un seul but : abattre la civilisation occidentale. Alors qu'il ne faudrait qu'en corriger les excès. Vous l'avez fort bien expliqué.
Dans la troisième partie, elle avance 4 "autres écologies". Notamment en insistant sur le besoin profond des hommes à s'attacher à un lieu, à s'enraciner.
Tous ses arguments sont solidement étayés sur des documents précis, comme vous le soulignez justement.
Son style exige tout de même un effort car il est truffé de références culturelles (tant philosophiques qu'historiques ou artistiques).
Sa conclusion : "Formons chez l'enfant et cultivons chez l'adulte, la passion de voir, de s'étonner, d'admirer ; je ne sais de plus vertes dispositions".
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