Leadership. Six études de stratégie mondiale
Traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Odile Demange
608 pages
29 €
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Thème
Voici un livre qui donne au lecteur l’impression - fugace - d’être intelligent ! “Dear Henry“, le professeur Kissinger, livre quelques recettes tirées de la vie des hommes illustres - que Mrs. Thatcher me pardonne ! - de la seconde moitié du XXème siècle pour cerner la notion de leadership. Les six sélectionnés ont en commun d’avoir changé en profondeur les Etats qu’ils ont régis et leur environnement international, mais par des stratégies de pouvoir bien différentes, de l’humilité qui fut le mot d’ordre du chancelier Adenauer, à l’excellence, portée au pinacle par Lee Kuan Yew, l’autocrate de Singapour.
Points forts
Kissinger est un tenant de l’école réaliste, de la realpolitik, concept hérité de Richelieu (la raison d’Etat) et de Bismarck. Il croit à l’ordre westphalien dans les relations internationales. C’est avec cette grille de lecture qu’il décrypte les politiques menées par ces six personnages politiques qui ont eu un effet majeur sur l’équilibre du monde.
Bien entendu le chapitre sur Nixon est particulièrement intéressant car il décrit, en termes cliniques et a posteriori, les stratégies de ce président mal aimé qui ont mis fin à la guerre du Vietnam, ouvert la voie à la pacification du Moyen Orient et créé les conditions de la détente avec l’Union Soviétique à travers la reconnaissance de la Chine communiste. C’est pour une large part un plaidoyer pro domo puisque l’auteur lui-même en fut le maître d'œuvre mais sa version est un chef d'œuvre de clarté et d’intelligence.
Sur de Gaulle et Adenauer, son propos est davantage celui d’un historien, car il a peu approché ces deux personnages; si en revanche il a bien connu Lee Kuan Yew, son analyse reste extérieure, car ni par ses conseils ni par quelque action, il n’est intervenu dans le destin de Singapour, devenu en cinquante ans l’un des pays les plus riches du monde.
Venant d’un homme aussi cérébral et rationnel que Kissinger, les portraits d’Anouar al Sadate et de Margaret Thatcher surprennent par l’empathie qu’ils révèlent vis à vis de ces dirigeants, tous deux en rupture par rapport à l’opinion dominante et de leur parti et de leur peuple. La leçon de courage politique que, de ce fait, il expose au lecteur pourrait à bon droit servir d’exemple à bien des chefs d’Etat contemporains.
Il est d’ailleurs audacieux de sa part de se lancer ainsi dans une apologie de la realpolitik à l’heure de la transparence de l’action publique. C’est ouvrir à ses détracteurs une voie d’autant plus large qu’il se réfère à des personnages qui demeurent maudits dans l’opinion de gauche, Nixon, Thatcher en particulier. Ainsi, que les Etats Unis ne soient pas intervenus en 1971 pour calmer le Pakistan, engagé dans un génocide au futur Bangladesh, parce que le Pakistan était un pivot essentiel du rapprochement avec la Chine, est une illustration éminente des implications de la realpolitik.
Quelques réserves
Le texte est truffé d’erreurs et d’impropriétés, ce qui est surprenant de la part de l’éditeur pour un ouvrage de cette qualité. Quant à la traduction, elle pourrait être améliorée pour supprimer obscurités et contre-sens.
Encore un mot...
Une formidable leçon de politique internationale par un des grands maîtres de la diplomatie du XXème siècle. Passionnant de bout en bout, attachant, Kissinger éclaire les choix qui, opérés au siècle dernier, emportent encore aujourd’hui des conséquences majeures sur la vie des Etats et celle de leurs citoyens.
Une phrase
« Les six leaders étudiés ici ont développé des qualités parallèles malgré de profondes différences entre leurs sociétés: l’aptitude à comprendre la situation dans laquelle se trouvaient celles-ci, la capacité d’imaginer une stratégie pour gérer le présent et donner forme à l’avenir, le talent de conduire leurs sociétés vers des objectifs élevés et la disposition à corriger leurs défauts. La confiance dans l’avenir leur était indispensable. Elle le reste. Aucune société ne peut rester grande si elle perd foi en elle-même ou si elle remet systématiquement en question son image de soi. Cela impose avant tout d’être prêt à élargir la sphère d’intérêt du soi à la société dans son ensemble, et à éveiller la générosité de l’esprit public qui inspire sacrifice et service.» Page 469
L'auteur
Diplomate, professeur à Harvard, consultant en relations internationales, Henry Kissinger fut surtout le conseiller à la sécurité de Richard Nixon, puis secrétaire d’Etat (ministre des Affaires étrangères) jusqu’à l’élection de Carter à la présidence des Etats Unis. A ce titre il porte une responsabilité essentielle dans les réalisations mentionnées supra (Vietnam, Chine, Moyen Orient, détente). Le prix Nobel de la paix lui a été attribué en 1973. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont le remarquable Diplomatie, paru en 1994. Il est aujourd’hui dans sa 101ème année.
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