Le verbe dans le sang

Personnage déroutant, écrivain flamboyant
De
Leonardo Castellani présenté par Erick Audouard
Editions Pierre Guillaume de Roux - 284 pages
Notre recommandation
3/5

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Thème

Erick Audouard,  traducteur et poète français, auteur  en 1996  des « Fragments de Trébizonde »,  a fait le pari de tirer du néant un génie argentin dont l’œuvre considérable est restée ignorée jusque dans son pays.  Avec une sélection de textes touchant à toutes les disciplines, philosophie, critique littéraire,  théologie, morale, politique,  il présente donc au lecteur ce prêtre catholique, Leonardo Castellani,  mort dans la misère et l’oubli, qui a payé très cher  « sa mauvaise volonté à souscrire au nouvel esprit du temps ».

D’une foi moyenâgeuse, créationniste convaincu quand tous désormais s’accordent sur l’évolutionnisme, pourfendeur inlassable du christianisme bourgeois des pharisiens, il est intraitable avec ceux qui prennent tout de l’Evangile sauf le drame, tout du Christ sauf la croix. Pour lui, la souffrance du chrétien marqué par le péché originel découle fatalement de l’existence  du Mal et du Malin, réalités édulcorées par des pasteurs dégénérés.

A la suite de Léon Bloy, il demande  «d’autres prêtres » et s’en prend violemment à l’Eglise moderne qui n’enseigne plus la parousie (la résurrection cosmique avec la seconde venue du Christ) et privilégie le rite plutôt que la doctrine.

Points forts

- Une souveraine liberté d’esprit servie par un humour  sarcastique, une puissance de synthèse hors norme, une santé spirituelle au-dessus de la moyenne, c’est ainsi qu’Audouard nous présente un Castellani traqué par la vérité, un « curé en guerre » dont la droiture fait scandale parmi les « croyants demi-sel » et les « semi-lettrés ».

- La pratique de plusieurs langues, dont le grec et le latin,  ainsi qu’une érudition digne d’un Pic de la Mirandole permettent à Castellani d’aborder un nombre prodigieux d’écrivains, de théologiens et de philosophes, dont il cristallise la pensée en relevant leurs accointances et leurs divergences.

D’Aristote à Thomas d’Aquin (dont il a traduit la Somme Théologique), du criticisme de Kant à la dialectique de Hegel, Castellani livre à son lecteur des exégèses bien étayées quoique très tranchées : proche par l’esprit de Chesterton, il vomit Wells pour son universalisme ; Kierkegaard est un  théologien selon son cœur mais Rousseau le révulse par son « obsession libérale »… 

- La curieuse tendresse de Castellani pour Nietzsche, « l’Antéchrist », avec ses deux morales, celle des maîtres qui développe la volonté de puissance et celle des esclaves qui se nourrit du ressentiment, et chez lequel il retrouve ses propres outrances sur « les valeurs perverties de notre temps » (l’inversion des valeurs chez Nietzsche).  Il reste hérissé par la notion d’ « éternel retour » qui est négation de la vie éternelle mais, comme Thibon, il voit en lui un vrai réformateur du pharisianisme régnant : « Au fond, il aspirait de toute son âme au surnaturel, mais il voulait l’impossible, que le surnaturel fut naturel » (p. 206)

Quelques réserves

Une rancœur indéniable vis-à-vis de la notoriété  de certains apôtres,  théologiens ou écrivains réputés :

- Albert Schweitzer, prix Nobel de la Paix en 1952, qu’il critique durement avant de terminer par  : « Qui suis-je pour me mêler de la gloire d’un homme qui a si bonne presse, moi qui n’ai ni l’une ni l’autre ? » (p.227) ;

- Teilhard de Chardin dont le « Christ Universel » lui « donne la nausée », dont l’universalisme et -surtout- l’évolutionniste le scandalisent et qui « ne s’occupe pas du salut éternel », est apostrophé ainsi: « tu as déjà cessé de croire en Dieu, Teilhard! » (p.208) alors que ce même Teilhard reconnaît humblement dans  L’Apparition de l’Homme (en 1956) « Tous ceux qui veulent dire une vérité avant son heure risquent de se retrouver hérétiques ».

- Quant à Jose Luis Borges, le plus célèbre de ses contemporains argentins, il n’hésite pas à le traiter de « bluffsphémateur », quitte à dénaturer la virtuosité de ses écrits et attribuer à l’auteur les opinions de ses personnages ;  pour preuve de ses dires, il rapproche  deux Fictions qui n’ont rien à voir « Tlön,Uqbar, Orbis Tertius » et « Trois images de Judas »… 

A partir de ces cas précis, on peut légitimement se demander si d’autres analyses ne sont pas légèrement biaisées…

Encore un mot...

La foi à l’état pur, servie par une érudition encyclopédique et tempérée par une certaine mauvaise foi.

Une phrase

Ou plutôt deux, deux paragraphes qui se complètent et qui donnent une idée de la pensée politique de Castellani :

- p. 164 « Nous ignorons si le monde reverra un jour quelque chose comme la monarchie chrétienne ; il se peut que non. Absolue en théorie, la monarchie chrétienne était dotée de quatre freins qui étaient en même temps ses colonnes : les corporations possédant l’argent ; l’université possédant le savoir ; la magistrature possédant les lois ; et enfin l’Eglise possédant le pouvoir spirituel."

- p. 165 « C’est cette société qui, en dépit de ses péchés et de ses crimes, fit les cathédrales et les épopées, qu’elles fussent écrites ou tacites. C’est cette société qui fit les croisades et la Conquête après avoir fait la Reconquête. En éprouver la nostalgie n’est pas vain. Et ce n’est pas de l’idéalisation non plus. Ses fruits sont parmi nous. »

L'auteur

Né  en novembre 1899 en Argentine, Leonardo Castellani est ordonné prêtre en 1930, avant de terminer ses doctorats de philosophie et de théologie. Exclu de l’ordre des Jésuites en 1949 pour insubordination, il ne récupère son ministère sacerdotal qu’en 1966 mais décline sa réintégration dans la Compagnie de Jésus pour finir sa vie comme Ermite Urbain à Buenos Aires. 

Surnommé « le curé fou » par ses ennemis, il est l’auteur de plus de 50 ouvrages, romans, nouvelles, contes et essais (sans compter ses articles) qui pourfendent les idéologies et les fausses gloires du XXe siècle. 

Réduit à la misère, marginal jusqu’à son dernier souffle, il s’éteint en 1981, oublié, même des Argentins.

 

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