Le savoir en danger : Menaces sur la liberté académique

A l’Université, des professeurs victimes d’attaques ad hominem… Ce diagnostic sans fard sur les groupuscules activistes suffira-t-il pour curer un mal sournois et multinational ?
De
Olivier Beaud
PUF, Paris
Parution décembre 2021
340 pages
23 €
Notre recommandation
3/5

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Thème

Après les Etats-unis, la Grande Bretagne, l'Allemagne et le Canada, l'université française est à nouveau livrée à l'intolérance, à la brutalité et au sectarisme virulent de groupuscules activistes qui veulent imposer leur loi et leurs lubies au milieu universitaire, un peu comme l'avaient fait les gauchistes, à Nanterre et ailleurs, au printemps 1968. 

L'universitaire Olivier Beaud a vivement condamné la résurgence des attaques lancées contre des enseignants dont les propos, l'enseignement ou les écrits rebroussent le poil de quelques groupes bruyants et brutaux dont les méthodes rappellent fâcheusement les exactions commises en Russie, en Italie ou en Allemagne par des groupes révolutionnaires, au temps, heureusement révolu, que le grand historien Elie Halévy avait appelé « L'ère des tyrannies ».

C'est à une notion importée d'Amérique : academic freedom (que l'on traduit aussi par « liberté académique ») que l'auteur associe la menace qui plane désormais sur le métier de ‘professeur’ auquel Beaud attache une valeur hautement symbolique. 

Cette menace, dit-il, ‘met le savoir en danger’ car elle pourrait finalement interdire et la variété des idées et la confrontation pacifique et contradictoire des points de vue qui assure, depuis des millénaires, la progression et la diversité des connaissances ainsi que de la réflexion dont l'université est le gardien, le ferment et le véhicule naturel !

Points forts

Il est bon que les incidents récurrents qui perturbent la sérénité et les traditions du milieu académique soient repérés, dévoilés et condamnés, d'où qu'ils viennent et quel qu'en soit le motif. Le fait que le prétexte qu'évoquent les trublions des cours et des facultés soit parfois respectable (une croyance religieuse, par exemple) n'excuse ni leur brutalité, ni la délation, ni la stigmatisation d'un professeur, ni la chasse aux sorcières dont certains enseignants sont victimes. 

Au surplus, que des sanctions administratives ou pénales puissent encourager certaines de ces exactions est parfaitement odieux !.

Sans être téméraire, l'auteur relève, condamne et qualifie justement de tels comportements pour ce qu'ils sont : un grave trouble de l'ordre public et une perturbation indue de la fonction universitaire.

Les troubles actuels ne sont-ils, remarque l'auteur à raison, qu'un remake des années soixante ? Un constat de bien mauvais aloi !

Quelques réserves

Ce livre plaide pour que l'université française retrouve une sérénité académique qu'elle a perdu depuis plus de cinquante ans ; au delà de sa louable intention, l'auteur porte sur notre grande institution nationale un regard nostalgique, sans proposer vraiment de moyen durable et ferme pour curer le mal qu'il décrit, malheureusement ! 

Il souligne d'ailleurs abondamment que les racines et l'inspiration de ce phénomène pernicieux sont liées aux maux de la société contemporaine. Et que les troubles constatés en France sont aussi le reflet des dysfonctionnements de l'université française, comme il en est aussi ailleurs dans le monde. 

On aurait donc apprécié que l'auteur complète son diagnostic par une réflexion constructive et courageuse qui pourrait évoquer des remèdes, bien au-delà des lieux communs dont le milieu académique est prisonnier depuis que le happening des années soixante l'a mis durablement en danger.

Encore un mot...

Rarement soutenus par leurs collègues et par l'administration universitaire française, des professeurs sont fréquemment victimes d'attaques ad hominem qui rappellent fâcheusement les purges et les procès staliniens ou fascistes. Ce diagnostic est sans fard  mais suffira-t-il pour curer un mal sournois et multinational ?

Depuis 1960, le nombre des étudiants a été multiplié par huit en France ; doit-on regretter qu'en s'ouvrant  au monde, l'université en ait aussi importé les phobies ?

Une phrase

"Dans le monde entier...des attaques multiformes...ne proviennent pas seulement de régimes autoritaires, mais aussi de régimes libéraux ! " p. 13

« Dès que l'Etat intervient davantage dans la vie des universités, il devient un obstacle  de sorte que, selon Humboldt, « les choses iraient infiniment mieux sans lui » ! p. 32 

« Le droit de la fonction publique fait...le grand écart entre deux principes opposés, la citoyenneté du fonctionnaire et la neutralité du service public  et s'en sort par un compromis bancal » ! p. 96 

« Si cette vague de la cancel culture devait s'enraciner en France...l'air deviendrait irrespirable...des signes avant-coureurs de cette  petite tyrannie à venir, existent !» p. 256-7 

(à propos d'internet): « La leçon s'impose d'elle-même : la parole professée dans un cours...devient une parole publique...déformée et amplifiée par l'usage qu'en font les réseaux sociaux... Les vigilants de l'extrême droite comme de l'extrême gauche veillent au grain et entament des campagnes de haine sitôt que des prises de position leur déplaisent». p. 315

L'auteur

Olivier Beaud enseigne le droit public à l'université Paris II (Panthéon-Assas). Il co-dirige depuis plusieurs années l'Institut universitaire Michel Villey qui honore la mémoire de ce grand esprit du droit qui s'inscrivit dans la tradition civiliste française. Le professeur Beaud s'intéresse à la profonde transformation des libertés universitaires qui marque le début du XXI° siècle, notamment dans les pays anglophones et en Allemagne fédérale.

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