Le nouvel antisémitisme en France
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L'assassinat de Sarah Halimi, torturée et défenestrée au nom d'Allah le 3 avril 2017 à Paris dans le quartier de Belleville, par un jeune voisin originaire du Mali, a été suivi d'un long silence médiatique. Il a fallu plusieurs mois pour que dix-sept intellectuels signent (le 1er juin 2017) une tribune appelant à faire la lumière sur ce crime. Seule Elisabeth Badinter l'a dénoncé, lançant un cri d'alarme pour que tous les Français, quelle que soit leur confession, se sentent concernés. La justice a mis plus de onze mois avant d'en reconnaître le caractère antisémite (27 février 2018). Cet assassinat a été précédé et suivi de bien d'autres... (plusieurs auteurs rappellent les noms et les circonstances) comme le bilan du Ministère de l'Intérieur (janvier 2018) le confirme : 30 % des actes haineux en France le sont contre la communauté juive qui ne représente qu'1% de la population. Cette situation a conduit les éditions Albin Michel et l'Association interuniversitaire Schibboleth-actualité Freud, sous la houlette de Michel Gad Wolkowicz, à regrouper ici plusieurs études et réflexions de contributeurs souhaitant porter le débat sur la place publique.
Les titres des différentes parties sont éclairants : I - L'assassinat ; II - Le déni puis le début de la reconnaissance comme acte antisémite, III-En finir avec l'antisémitisme islamiste; IV-Symptôme du contemporain : deux antisémitismes.
Cette pluralité de regards et d'analyses invite le lecteur à prendre conscience ou à examiner de plus près la question d'un "nouvel antisémitisme" dans notre pays.
Ce livre est paru au même moment que le "Manifeste" signé par 250 intellectuels français publié le 21 avril dernier dans Le Parisien-Aujourd'hui en France, peu après que Mireille Knoll, juive de 85 ans rescapée du Vel d'Hiv, ait été retrouvée lardée de 11 coups de couteau (certains médias s'interrogent encore: s'agit-il vraiment d'un acte antisémite ? ou d'un geste d'un déséquilibré, argument régulièrement avancé pour ne pas risquer d'être qualifié d'islamophobe...)
Points forts
- Quinze approches différentes, par des auteurs venant de diverses disciplines (voir plus bas) et dont certains ne sont pas juifs, mais qui, tous, ont "le courage des mots", offre un éventail d'analyses enrichissantes.
- Certains chapitres décortiquent des notions indispensables : le déni (par Monette Vacquin et Jacques Ternaro), qui se décline à plusieurs niveaux (collectif ou individuel), par le vocabulaire (notamment des psychiatres repris par les juges) et même par l'Etat (quand il condamne l'historien Georges Bensoussan pour avoir dénoncé des violences antijuives dans les écoles, dès 2002). On lit donc le chapitre de ce dernier intitulé "Sur un lâche soulagement" avec d'autant plus d'attention. Autre notion à comprendre, détaillée par Lina Murr Nehmé : le passage à l'acte du jeune radicalisé à cause d'un "djinn" et du "sheytan". Intéressants à étudier également les textes de Daniel Sibony et de Caroline Valentin, s'interrogeant sur l'adjectif "nouvel" antisémitisme alors que "la vindicte antijuive" (sic) figure dans le Coran depuis 13 siècles... Quant à Pascal Bruckner, avec son talent d'écriture, il déplore qu'une éventuelle islamophobie soit considérée comme plus importante qu'un antisémitisme recensé et récurrent. Ceux qu'intéressent l'histoire liront l'étude de Philippe Val, soulignant la différence d'écho entre l'affaire Dreyfus et, 137 ans plus tard, le meurtre de Sarah Halimi.
Quelques réserves
- Elisabeth de Fontenay, dans sa préface, prend tellement de distance et de précautions que celle-ci perd un peu de son intérêt.
- La répétition de la description de cet acte de barbarie figure dans plusieurs chapitres. Le tout premier, signé de Noémie Halioua, "Enquête sur une histoire française", livrant tous les détails, durs à supporter, aurait suffi à nous horrifier.
- Dommage que le texte de Michel Gad Wolkowicz, voulant éclairer la "psychopathologie" d'un meurtre et "l'anatomie" d'un silence (celui des voisins et des médias), si bien commencé avec de justes remarques ("tous les totalitarismes partagent l'antisémitisme"), se termine par des pages au vocabulaire "psy" méditant sur "le nom de personne" difficiles d'accès.
- Dommage également que "pour des raisons indépendantes de notre volonté", on ne puisse retrouver parmi les contributeurs Alexandra Laignel-Lavastine, dont l'article sitôt après l'assassinat de Sarah Halimi, fut publié par Atlantico le 25 mai 2017. Heureusement on peut le consulter sur le site.
- Le lien, souvent avancé, entre la politique d'Israël et l'actuel antisémitisme aurait mérité d'être mieux développé.
Encore un mot...
Ouvrir les yeux, ne pas se voiler la face et, lucidement, nommer des assassinats de Juifs pour ce qu'ils sont, c'est repousser le racisme. Comme disait Camus "Mal nommer un objet, c'est ajouter au malheur du monde" (citation reprise par le journaliste du Figaro Alexandre Devecchio, l'un des premiers à déplorer le refus de nommer la réalité).
Une phrase
"Que cet ouvrage soit la preuve vivante qu'un cri d'alarme peut être entendu et participer d'un réveil de tout un pays pour mener ce combat pour sa démocratie et à ne pas céder sur ses principes républicains fondamentaux".
L'auteur
Ils sont 15, et avant même d'entamer la lecture du premier chapitre, on se reporte d'emblée au dernier qui présente leur biographie succincte. Résumons : il y a des professeurs d'histoire et des enseignants (Georges Bensoussan, Lina Murr Nehmé, Barbara Lefebvre, Eric Marty), des philosophes (Pascal Bruckner, Luc Ferry, Elisabeth de Fontenay), des journalistes (Noémie Halioua, Philippe Val, Caroline Valentin), un écrivain (Boualem Sansal), des psychanalystes (Monette Vacquin, Jean-Pierre Walter, Michel Gad Wolkowics), et des scientifiques (Daniel Sibony, Jacques Tarnero).
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