Le grand écart, Chronique d’une démocratie fragmentée
206 pages, 19 euros.
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Thème
Les gilets jaunes ont bouleversé le paysage politique. Les vieux partis, déjà éreintés, sont hors jeu. Les réseaux sociaux ont remporté la partie. Le grand écart plonge dans cette demande des électeurs de davantage de démocratie participative et établit un bilan mitigé du grand débat, que l’auteur a suivi en première ligne.
Points forts
Le grand écart est une étude de l’inadéquation entre, d’une part la gouvernance française, ouvertement centralisatrice, se réclamant d’un projet universel (ce qui intéresse les Français, concernerait forcément la terre entière ; pour ce qui est des terres non encore concernées, c’est une question de temps ; ce que les Français ressentent et expriment, le sera à brève échéance par les peuples de toutes les nations, etc) et, d’autre part, la gouvernance européenne, d’inspiration fédérale. La construction européenne ne peut que décevoir en France : les autres nations sont habitées par des peuples qui s’acharnent à ne pas vouloir ressembler aux Français, et qui sont le fruit d’une histoire sans monarchie absolue, sans Révolution avec guillotine, et qui vivent dans un biotope moins centralisé que le nôtre.
Le grand écart est encore une analyse du macronisme, comme phénomène sans précédent dans l’histoire française récente.
L’ouvrage entre dans le détail de la CNDP (Commission nationale du débat public). Ayant suivi sur le terrain le fameux grand débat et participé au dépouillage de l’imposante masse de suggestions émanant des citoyens français, Pascal Perrineau évoque la contribution de ces millions d’anonymes, investis bénévolement dans le projet de changer la France. A voir comment Emmanuel Macron s’est emparé de la consultation et la manière dont il a apporté une réponse commode et pré-écrite au vaste questionnement populaire, on comprend la frustration et la colère des Français.
L’ouvrage rappelle encore la puissance du dégagisme. Alors que les extrêmes politiques (LFI, frondeurs du PS, Le Pen) en rêvaient avant la présidentielle de 2017, ce fut LRM d’Emmanuel Macron qui délogera les partis traditionnels, tout particulièrement ceux qui, jusqu’alors, se revendiquaient de la colère populaire. De ce point de vue, la métamorphose de l’Assemblée nationale en 2017 est sans précédent.
Tout roulait si bien pour Emmanuel Macron et sa bande de quarantenaires que, nous rappelle l’ouvrage, aveuglés par leur succès, ces jeunes gens, et notamment leur patron, n’ont pas su voir qu’en matière de gouvernance, l’outrance centralisatrice (la gouvernance jupitérienne), assumée par le jeune président de la République sur un mode quasi-wagnérien, se heurtait désormais à la puissance des réseaux sociaux.
Si les gilets jaunes ont prouvé la puissance des réseaux sociaux, ils ont aussi témoigné des limites de la démocratie représentative, les élus LRM étant coupables de n’avoir pas su bloquer le gouvernement quand il a décidé des mesures coûteuses (durcissement du contrôle technique des véhicules, hausse de la TIPP) et discriminantes (taxe sur le gasoil). Les déclarations humiliantes telles que « la France qui fume des clopes » n’ont fait qu’attiser les flammes.
Disons que si du Grand débat qu’a suivi Pascal Perrineau, seul subsiste la suppression de l’ENA, ce sera là une belle conquête que pourront revendiquer les gilets jaunes. Mais tout ça pour ça …
Quelques réserves
L’auteur est marqué par l’approche scientifique. Du coup, sa matière manque de chair. On aurait ainsi aimé lire l’ambiance dans les débats qu’il a suivis, la manière dont s’exprimaient les participants, les confrontations d’idées. Si l’auteur évite tout jargon, le style est sec.
On est également étonné par l’absence de toute référence aux expériences étrangères de démocratie directe, semi-directe, de contrôle citoyen, etc. Alors que les gilets jaunes se sont d’entrée référés aux droits référendaires suisses, à l’initiative populaire (RIC), on reste sans voix de ne voir aucun universitaire français y faire référence.
Encore un mot...
Si les Gilets jaunes ont cessé leurs rassemblements, si les contestataires de tous ordres ont arrêté provisoirement leurs manifestations, pour cause, en mars et avril 2020, de confinement à domicile pour limiter la contagion virale, il est vraisemblable que les colères et les revendications que cet ouvrage souligne et analyse en profondeur reviendront sur le devant de la scène.
Une phrase
« Il faut qu’à l’avenir les demandes des citoyens puissent s’exprimer davantage en direction des administrations locales et territoriales. Et que celles-ci aient davantage de pouvoir et les moyens d’y répondre. A ce prix, une réconciliation démocratique peut opérer et la confiance du peuple revenir.
L’avenir de la démocratie en France est d’arriver à sortir de l’exclusivité d’une démocratie présidentielle prétendant avoir réponse à tout et à qui le peuple confère le fait d’avoir réponse à tout. A terme, cela suppose une réduction des pouvoirs d’un président omniprésent et omnipotent, et que l’on accepte que l’institution présidentielle ne soit qu’une institution démocratique parmi d’autres. Cela nécessite que l’on réhabilite le pluralisme démocratique, c’est-à-dire le pluralisme des usages démocratiques- représentatif, direct, délibératif. »
L'auteur
Pascal Perrineau a été directeur du Centre de recherches politiques de Sciences-Po Paris (CEVIPOF), professeur à l’Institut d’études politiques de Paris. Il a été, entre janvier et mars 2019, l’un des cinq garants du grand débat national initié par Emmanuel Macron. Auteur de nombreux ouvrages sur le Front national.
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