Le goût du risque

“Alors nous ne craindrons plus les renards qui badinent sous la lune.” Un cri joyeux en défense de la liberté menacée par les excès du principe de précaution

Andrea Marcolongo, Patrice Franceschi, Loïc Finaz

Grasset
Parution le 20 septembre 2023
132 pages
16 euros

Notre recommandation

3/5

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Thème

« Le trop d’attention qu’on a pour le danger / Fait le plus souvent qu’on y tombe ». Comme les dindons de la fable de La Fontaine, l’Occident se défie du risque. Nous acceptons que la liberté puisse être anémiée au nom du primat de la sécurité. Nous sommes muets devant la peur de l’incorrect et les victimes d’une “précautionnite aiguë qui aveugle notre discernement". Et le trio d’auteurs de citer encore l’abus de normes, la solitude qui terrorise, la crainte de l’échec, le refus de l’inutile, ou ne plus oser être un homme ou une femme. Cette “terrible maladie” a des conséquences délétères : tristesse, dépérissement, surmenage, mutilation.

Face à cette épidémie, les auteurs appellent à la “mise en place d’une médication”. La défense de la liberté, la célébration de l’incorrect, celle de l’échec, ou encore la mise à mort du principe de précaution forment le remède. Alors, sur le monde “soufflerait encore une brise d’humour et d’ironie…où la curiosité et la connaissance remplaceraient dans nos vallées les barrières et les octroi”’.

Points forts

Ce petit essai célèbre la liberté et le risque, son corollaire. Il n’y a pas de liberté sans risque. Le renier ou le craindre, c’est vivre dans la peur et la soumission. Nos sociétés, qui veulent modéliser et encadrer le risque à coup de normes, nous infantilisent et construisent des prisons. Le déclin des civilisations, rappellent les auteurs, se produit lorsqu’elles perdent leur amour pour la liberté. Or celle-ci est menacée de toutes parts, par les dictatures, le crime mondialisé, la technologie ou l’extrémisme islamisme.

Le propos sonne comme une exhortation véhémente mais juste à défendre la liberté menacée en acceptant le risque, en rognant au besoin sur la sécurité qui lui est souvent antagoniste. Les auteurs s’inspirent des philosophies stoïcienne et épicurienne, comme le démontrent les chapitres consacrés à la réhabilitation du tragique et de la mort (“nous rendre forts et sereins face à elle”) ou celui dédié à l’éloge de l’inutile (ainsi Socrate qui, au seuil de sa mort, entonne un air de flûte, un geste “inutile, mais beau”).

Le goût du risque affiche aussi des inspirations libérales voire libertariennes. On y trouve des dénonciations familières mais salutaires de l’abus des normes (“qui nous tue") et du détournement du principe de précaution qui nie celui de responsabilité politique et conduit à la stagnation. Les vertus de l’échec (danser avec Zorba après l’écroulement du téléphérique), de l’engagement (“oser croire”) et du courage contre les volontés de l’impérialisme et les excès de la cancel culture, sont des nécessités utilement et souvent brillamment rappelées.

Quelques réserves

Les chapitres sont de qualité inégale. Les auteurs procèdent parfois à des raccourcis, déroulent leur argumentation a minima ou omettent de citer des éléments centraux du débat. Il est ainsi du thème de la crainte de la mort et de l’évacuation du tragique. Celles-ci conduiraient à la servitude. Nous sommes donc enjoints de “vivre, de penser comme si nous devions ne jamais mourir.” Comment ? Ne peut-on concilier à la fois l’espérance du salut des religions et une vie bonne ?

On regrettera également des incantations vagues ou des formules à l’emporte-pièce (“vivre sans délai et partir à temps”) ou l’absence de justification solide de certaines propositions (pourquoi célébrer l’échec, qu’est-ce que “susciter et développer l’anticonformisme” pour lutter contre l’inflation normative ?)

Encore un mot...

Un cri joyeux en défense de la liberté menacée.

Une phrase

« Gloire à l’incorrect, s’il le faut. Toujours au nom de la vérité. » (page 40)
« Les Grecs anciens avaient parfaitement compris le caractère tragique et donc formidable de la vie, qui doit être vécue comme une traversée joyeuse et reconnaissante vers la mort plutôt qu’un étouffant pèlerinage vers elle. » (page 57)
« J’ai dit souvent que tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir demeurer en repos dans une chambre. » (Pascal page 89)
« Puisque le bon sens nécessaire semble absent, contre les censeurs de la liberté d’expression et les inquisiteurs des pensées minoritaires, nous ne pourrons qu’opposer notre courage pour ne pas sombrer. » (page 117°

L'auteur

Andrea Marcolongo est une journaliste et essayiste italienne. Elle est notamment l’auteur de La langue géniale. 9 bonnes raisons d'aimer le grec (Les Belles Lettres, 2018) et de l’Art de résister. Comment l’Énéide nous apprend à traverser une crise (Gallimard, 2021).
Patrice Franceschi est un écrivain-aventurier français, lauréat du prix Goncourt de la nouvelle pour Première personne du singulier (Éditions Points, 2015). Il est aussi l’auteur de Éthique du Samouraï moderne (Grasset, 2019).
Loïc Finaz est vice-amiral, ancien directeur de l’École de guerre. Écrivain de marine, il est notamment l’auteur de Échouage (Éditions de la Table Ronde, 1995) et de Que seule demeure la poésie du Ienisseï (Éditions des Équateurs, 2014).