Le double visage de la biodiversité. La nature n'est pas un jardin d'Eden
Parution en Février 2023
290 pages
20 €
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Thème
La biodiversité ! Voici un terme passé dans le langage courant, symbole d'un monde qui aurait retrouvé sa beauté originelle. Dans cet essai, Christian Lévêque, chercheur émérite en agronomie (notamment) veut nous en montrer "le double visage". Pour la beauté du geste ? Non, pour en démythifier le contenu ambigu, en particulier depuis qu'il est devenu un slogan de campagne, fer de lance d'un discours écologiste qui prône sa préservation pour "sauver la planète". Mais pour Christian Lévêque, les choses sont loin d'être aussi simples. A force d'incantations à un retour à un monde antérieur aux outrages des hommes, on en oublierait que depuis des millénaires, l'homme se bat contre la nature.
En occident, on y a plutôt bien réussi, ayant développé l'agriculture, assaini et sécurisé les territoires, lutté contre les nuisibles dans les cultures, contre les maladies dans la population, bâti des habitats sûrs. Si les excès de l'emprise de l'homme sur la nature ne sont pas niés, attention au dogme "dangereux" qui ferait croire que la nature est "un jardin d'Eden". C'est ce que ce livre veut démontrer, confrontant les observations scientifiques aux affirmations des militants écologistes et "conversationnistes".
Si l'essai passe en revue un certain nombre de thèmes, dont le paradigme principal mais peu connu est celui du concept occidental d'une nature préservée car "anthropisée" (c'est-à-dire aménagée par l'homme depuis des siècles), il veut dénoncer les impostures des "bienfaits" de la biodiversité, dont la prise en compte littérale remettrait en cause la santé des populations et les ressources alimentaires. Sont abordés sous cet angle les domaines de l'agriculture, de la santé, de la gestion de l'eau et des zones humides, de l'aménagement du territoire, comme celui du concept de "préservation de la nature" pour les pays "en développement", à qui serait imposée une réglementation inique et punitive.
Cet essai invite à un débat basé sur des faits et non sur "des croyances", pour la définition d'un modèle de développement durable qui prenne en compte les besoins effectifs des populations, et non les fantasmes d'un Eden protecteur et nourricier, qui n'a jamais existé.
Points forts
Attention, dérogeant à la règle chère à Culture-Tops, la description à suivre est longue. Elle s'attache plus à développer les points d'intérêt de cet essai, plus que ses points forts.
D'abord, vous le percevrez vite, l'analyse repose sur un parti pris : la science et le temps long de l'observation sont les seuls garants d'une analyse objective de la situation de l'évolution des espèces, des territoires, des climats.
De ce fait, en appui de la thèse d'une biodiversité à deux visages, de nombreuses études issues de nombreux domaines, dont la philosophie et la sociologie, publiées au cours de ces 20 dernières années, composent la trame de la démonstration. Certaines font l'objet d'une petite synthèse hors texte.
Si Christian Lévêque n'est pas tendre avec les dogmes de l'écologisme actuel, il pose à raison la question d'une définition consensuelle d'un "retour à la nature". L'histoire et la science prouvent (si l'on accepte les sources scientifiques…) que la nature n'a jamais connu d'état "stable" (la notion de retour à un équilibre est "une affirmation fausse"), pas plus qu'elle serait "généreuse" (le confort des sociétés occidentales est le fruit de sa "domestication"). A titre d'exemple, une baignade dans un fleuve "préservé" sous des latitudes chaudes risque au mieux de vous voir augmentés de quelques parasites, au pire, de ne pas rejoindre la rive car vous aurez composé le repas de quelques reptiles ou poissons vraiment inamicaux.
Selon Christian Lévêque, sous l'emprise de "fantasmes d'urbains de pays riches", la mise en scène d'une terre mise en péril par l'homme sert des intérêts idéologiques et financiers, plus qu'humanistes et équitables.
Les différents chapitres de cet essai tentent donc de remettre de la vérité historique et scientifique sur un certain nombre de thèmes, dans la perspective de démontrer que beaucoup de thèses écologistes et environnementales "trompent l'opinion" :
- Non la Terre, avec la pandémie de Covid ne se "venge" pas du mal que lui font les hommes en bousculant ses équilibres. Ou alors, cela relève de la pensée magique. La Terre n'a ni "équilibre", ni intention !
- Les aléas climatiques ne sont pas systématiquement dus au réchauffement climatique, comme nous l'apprend l'étude des paléoclimats (Sapiens et le climat, de Olivier Postel-Vinay https://www.culture-tops.fr/critique-evenement/essais/sapiens-et-le-climat-une-histoire-bien-chahutee), et s'ils tuent parfois, c'est aussi parce qu'on construit sur des zones connues pour être inondables depuis des siècles,
- L'assèchement et/ou l'assainissement des zones humides a certes contribué à modifier les habitats des oiseaux qui y vivent, mais a eu, surtout, pour effet de faire considérablement baisser la mortalité par malaria ou paludisme,
- Dire qu'un monde sans pesticides ni éradication des nuisibles (sauterelles, rongeurs, "mauvaises" herbes, parasites végétaux et arthropodes…) est possible est "une illusion dangereuse", surtout quand il faut nourrir et protéger 7 milliards d'êtres humains.
Ces exemples paraîtront à certains outranciers, mais les lire en version originale dans le texte illustre les nombreuses contradictions du discours écologiste, que cet essai souhaite mettre en lumière.
Il évoque également, avec intérêt, la naissance du concept de protection de la nature (en France, le premier exemple étant la forêt de Fontainebleau au XIXème siècle), qui débouchera sur les parcs nationaux, d'abord territoires de chasse préservés des autochtones, accusés de dégrader le milieu de vie des animaux. Cet aspect de la pensée occidentale de milieux protégés et idéalisés est bien décrit par les travaux de Guillaume Blanc, cité dans cet essai : L'invention du colonialisme vert. Pour en finir avec le mythe de l'Eden africain https://www.culture-tops.fr/critique-evenement/essais/linvention-du-colonialisme-vert-pour-en-finir-avec-le-mythe-de-leden. Il est aussi au cœur de la thèse d'Alain Corbin sur L'histoire des loisirs, qui analyse la recherche de lieux de détente physique et spirituelle dans le courant du XIXème siècle également, à l'image du Jardin d'Eden, espace de béatitudes éternelles où travail et dominations sont exclus.
Il présente également la thèse de l'analogie dans la construction et l'expression de l'idéal écologique avec les grands récits religieux monothéistes : paradis perdus, punition pour la rupture de l'équilibre primordial, menace de l'apocalypse, nécessité de la révélation et de la conversion, émergence d'un peuple élu, prophètes de la vraie foi. Des chercheurs en sciences sociales comme Crichton, Fourquet, Gerondeau, Sorman, Durieux etc. soulignent la substitution d'une spiritualité environnementale à celle des religions monothéistes. Les uns affirment la primauté de la nature, les autres celle de l'homme - le consensus se situant vraisemblablement entre les deux.
Pour rassurer ceux qui se disent, "bon, et après ?", cet essai se conclut par des propositions, ce que Lévêque appelle "l'ingénierie écologique", une discipline naissante basée sur une gestion adaptative, échange dynamique entre l'analyse objective du réel et la mise en œuvre de solutions évolutives car évaluées et ajustées régulièrement.
Je ne peux résister, à l'issue de ce chapitre, de vous faire part de cette découverte, page 76 du livre : vous n'obtiendrez pas de réponse des moteurs de recherche si vous tapez les mots "se protéger de la nature". Celles qui vous seront proposées (des millions d'occurrences) portent sur le vocable "protéger la nature" et "non se protéger de…". A quelques exceptions faites des vendeurs de paratonnerres, de pièges contre les rongeurs et les chenilles processionnaires ou contre les rayonnements ionisants.
Un constat qui interroge sur le formatage des opinions...
Quelques réserves
Cet essai comporte un certain nombre de redites, qui reviennent comme une litanie, en particulier contre les positions des ONG environnementales, et du militantisme vert, dans ses formes extrêmes, que l'auteur, vous l'avez compris, considère comme dogmatiques, idéologiques, scientifiquement infondées.
Ces redondances traduisent un agacement dont on sent la montée en puissance au fil des chapitres, ce qui rend l'observation précédente particulièrement visible passée la moitié de l'ouvrage. Mais force est de constater que cet agacement est accompagné de très nombreuses citations biographiques qui étayent, point par point le propos.
Encore un mot...
Cet essai sur Le double visage de la biodiversité est une nouvelle contribution aux débats sur les formes à venir des politiques de développement durable, dont il ne faut pas déduire que ses attaques contre les vérités autoproclamées de la pensée écologiste militante, contestent les besoins de remise en cause de nos modèles actuels de développement. Cet essai traduit sans doute assez bien l'exaspération d'une partie de la communauté scientifique qui se sent exclue des débats car elle ne crie pas à la catastrophe mais appelle à prendre de la distance avec le court terme, et de faire peser dans la balance des décisions d'aménagement ou de préservation des espaces naturels, le bénéfice pour l'homme avant celui des animaux, des plantes, des oiseaux et des insectes. Ce bénéfice n'exclut pas la prise en compte de la biodiversité, de sa préservation quand elle est opportune.
Celle-ci vaut la peine d'être défendue, affirme Christian Lévêque, à partir d'analyses reposant sur des faits et sur un consensus quant au but visé, et non sur des croyances, des manipulations ou des buts idéologiques. Vous y trouverez de très nombreuses thèses évoquées par des auteurs cités dans nos pages comme Jean de Kervasdoué, Sylvie Brunel, Bruno Durieux, Yves Coppens, Gérald Bronner, Guillaume Blanc, Olivier Postel Vinay, parmi beaucoup d'autres, des chercheurs qui ne font pas de l'extinction des espèces et de la mort de la planète leur fond de commerce. Essai "bastion" de "climatosceptiques", irréductibles combattants de la bien pensance écologiste ? Pas sûr. " La liberté d'opinion est une farce si l'information sur les faits n'est pas garantie et si ce n'est pas les faits eux-mêmes qui font l'objet de débats" disait la philosophe Hannah Arendt en 1972.
Une phrase
- "La nature est ainsi le produit historique de l'évolution et des aménagements des systèmes écologiques que les humains ont réalisé pour en faire usage, en obtenir des services, se protéger des dangers que cette nature représente aussi. Le terme "aussi" est fondamental car il s'agit bien d'aborder nos rapports à la nature sans l'idée préconçue que toute action de l'homme est nécessairement un outrage à une pauvre nature qui ne nous veut que du bien." P 34
- "Laissez donc faire la nature et je vous souhaite de beaux jours en matière de santé publique ! " P 69
- "Dans nos sociétés occidentales surprotégées on perd peu à peu la culture des dangers issus de la nature, ce qui donne un sentiment de fausse sécurité. Nombre de maladies comme la variole, la tuberculose, la poliomyélite ont quasiment disparu de nos radars grâce à la vaccination, que certains irresponsables politiques ou syndicaux se plaisent aujourd'hui à dénigrer." P 143
- "Oui, il faut qu'il y ait débat, mais pas en utilisant de faux arguments ou en se basant sur des croyances. Auquel cas, la science devient inaudible. Hannah Arendt (1972) disait: "Les faits et les opinions, bien que l'on doive les distinguer, ne s'opposent pas les uns aux autres, ils appartiennent au même domaine. Les faits sont la matière des opinions, et les opinions, inspirées par différents intérêts et différentes passions, peuvent différer largement et demeurer légitimes aussi longtemps qu'elles respectent la vérité des faits. La liberté d'opinion est une farce si l'information sur les faits n'est pas garantie et si ce n'est pas les faits eux-mêmes qui font l'objet de débats". P 124 -213
- "L'écologisme angélique qui ne voit que nature fragile et brutalisée par les hommes est au mieux une erreur d'aiguillage culturelle, au pire une représentation mystique qui fait fi de la réalité. [….] la voie royale qui nous conduit à la catastrophe pour l'espèce humaine si nous la prenons au premier degré. " P 234
- "Pour Azihari (2021), la puissance du fantasme du retour à la terre croît à mesure qu'on s'éloigne d'elle et qu'on en ignore tout. Il est plus facile d'adhérer à des croyances défectueuses quand on n'a pas à en supporter les coûts. Ainsi, le citadin peut plaider en faveur de la réintroduction du loup dans les montagnes, contester l'usage des machines et des pesticides depuis son salon tant que ce ne sont pas son troupeau, son dos et son champ qui seront ravagés." P 242
L'auteur
Christian Lévêque est ce que l'on peut appeler "un grand scientifique". Docteur en sciences, hydrobiologiste, il se définit comme écologue, spécialiste notamment des écosystèmes aquatiques africains. Directeur de recherche émérite à l'Institut de Recherche pour le Développement (IRD), il est membre de l'Académie d'Agriculture et son Président honoraire, et membre de l'Académie des Sciences d'Outre-mer. Il a écrit de nombreux essais sur la biodiversité et les relations homme -environnement- nature, mettant dans ces ouvrages un point d'honneur à donner un cadre scientifique aux débats sur l'écologie et sur les finalités des politiques de développement durable.
Commentaires
Je partage entièrement votre analyse, ce livre mérite d'être lu par une grande majorité de personnes, mais prendront elles le temps de le lire ? C'est malheureusement le problème d'un majorité de nos concitoyens qui veulent tirer des conclusions sans prendre de le temps de se forger une opinion éclairée...
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