Le Débarquement. Vérités et légendes

L’historien de la Seconde Guerre mondiale remet les pendules à l’heure en regardant plus loin que les plages de Normandie. Glaçant et captivant.
De
Nicolas Aubin
Perrin
Parution le 16 mai 2024
304 pages
13 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

Cet ouvrage, en cette année du 80e anniversaire de la bataille de Normandie et du débarquement du 6 juin 1944,  va bien au-delà de la description des scènes les plus caractéristiques et décisives de la bataille illustrée par le film hollywoodien Le jour le plus long de Darryl Zanuck d’après le livre de Cornélius Ryan. Nicolas Aubin, historien, fait le point sur les enjeux de la bataille, les succès et les échecs de commandement (et il y en a eu beaucoup) des deux parties. Le livre tente de répondre à une sélection des 25 questions les plus brûlantes que les témoins et acteurs de l’époque et chroniqueurs d’aujourd’hui  se sont posés et se posent encore  sur le Débarquement. Par exemple : la bataille a-t-elle été une étape décisive dans la victoire ?  Le mur de l’Atlantique était-il de papier ? La mise en cause des commandants suprêmes était-elle juste, en particulier Montgomery a-t-il manqué de peu un nouveau Stalingrad ? La bataille de Normandie a-t-elle été l’une des plus meurtrières de la guerre ? Les documents sont précis, les témoignages révélateurs. Les chiffres sont spectaculaires, l’analyse des traits de caractère très fouillée.

D’entrée de jeu l’auteur campe le décor et fait le décompte des forces en présence mais aussi des pertes en hommes et en matériel. Chaque déroulement est écrit minutieusement comme à Omaha et lors de l’assaut de la Pointe du Hoc. Les querelles d’ego tant du côté des Alliés qu’au sein de l’état-major de Rommel sont légion, les retournements de situation quotidiens ; d’un côté 450 000 soldats de la Wehrmacht, de l’autre 1 200 000 engagés américains, canadiens, anglais, polonais et quelques Français du commando Kieffer, sous les ordres du chef suprême, le général  Eisenhower, futur président (« I like Ike »), relayé bientôt par le britannique « Monty », le héros d‘El Alamein, controversé pour ses tergiversations pour la libération de Caen (2 mois !). La débâcle allemande est annoncée et pourtant elle tarde ! L’auteur avance deux explications : 1/Les atermoiements d’Hitler qui n’y croyait pas. 2/ Le formidable embouteillage des tanks et autres Panzer qui bloquaient les petites routes de Normandie. Le débarquement vu par l’historien ne manque pas de sel.

Points forts

  • Une écriture fluide et factuelle s’appuyant sur des faits concrets. L’historien de terrain devient un observateur, un correspondant de guerre,  un reporter.
  • Un ouvrage clair et très bien documenté qui se lit facilement un peu comme un livre d’aventures sans parti pris mais sans concessions : les hauts commandements et stratèges du côté des Alliés en prennent souvent pour leur grade.
  • Le style vivant, le ton enlevé, les descriptions des manœuvres et combats très imagées.
  • L’excellente idée consistant à découper cette épopée en séquences indépendantes d’égale intensité et écrites suivant un plan de thématiques déterminantes. Exemple dramatique : les « tapis de bombes » voulus par Montgomery ont-ils été efficaces ? Réponse : le 7 juillet,  647 bombardiers lourds larguent 2 700 tonnes de bombes sur Caen qui résiste mais sera rasé. Puis ce sera le tour de Saint Lô : 1 600 appareils, 3 200 bombes … sans résultat tangible si ce n’est de vastes champs de ruines ; l’objectif obsessionnel de l’apocalypse obscurcit  la vision de Montgomery.

    A l’heure des bilans et des commémorations, Nicolas Aubin remet les pendules à l’heure avec un constat sans appel : Oui, les 3 mois de la bataille de Normandie avec ses 20 000 civils normands, 27 000 soldats américains, 14 000 anglais tués, mais aussi 210 000 allemands, furent les plus sanglants de tous les champs de bataille européens. « Les bombes alliées ont tué et blessé plus de Français que les bombes allemandes d’Anglais pendant le Blitz (16 000 morts et 30 000 blessés) ». Rivalités, désaccords, erreurs stratégiques ? Le camp de la liberté n’est pas blanc. Les derniers mots du livre reviennent au général Eisenhower arpentant le « couloir de la mort » dans la tristement célèbre poche de Falaise ou 80 000 Allemands se sont trouvés pris comme dans une nasse mais nombreux sont ceux qui ont traversé les mailles du filet ou tenté de le faire (1 200 tués) « Un des plus grands champs de tuerie que la guerre ait connu !» reconnaît le chef suprême

Quelques réserves

Aucune, il y a des chiffres que l’on ne discute pas.

Encore un mot...

Nicolas Aubin met fin à certaines des idées reçues. Par exemple, il fait remonter les causes du succès du débarquement à 3 années auparavant, et surtout en souligne la raison essentielle : la supériorité énorme de la logistique alliée qui a littéralement balayé les premières lignes du mur de l’Atlantique en moins de deux heures. Il n’oublie pas de rappeler que les Alliés ont complètement raté le largage de milliers de parachutistes mal renseignés ou noyés dans le brouillard et qui se sont éparpillés à l'arrivée de Sainte Mère Eglise à Ouistreham. Heureusement les Allemands étaient soit isolés sans communication soit inaudibles par leurs chefs, soit encore en train de faire bombance à Rennes ou à Berlin (comme Rommel), lassés d’attendre ; les affaires sérieuses reprirent à l’intérieur des terres avec la mobilisation des Panzer divisions du côté de Mortain, du chaudron de Falaise ou d’Avranches.

Une phrase

-“L’échec devant Caen a-t-il prolongé la bataille ?

L’une des polémiques les plus durables entre Britanniques et Américains concerne la capacité de la deuxième armée britannique à libérer rapidement la ville de Caen. Les Américains ont estimé que le général Montgomery, commandant en chef des forces terrestres alliées, avait fait preuve dans cette bataille de forfanterie, d’incompétence et de malhonnêteté. Forfanterie pour avoir promis de libérer le jour du débarquement cette cité de 60 000 habitants, incompétence pour avoir piétiné à ses portes pendant plus d’un mois ; malhonnêteté, car pour sa défense Montgomery a soutenu qu’il n’avait jamais promis de libérer la ville le jour J. [En réalité sur 30 kilomètres étaient concentrées pas moins de 6 divisions de Panzers et à Carpiquet, les « Hitlerjugend » avaient transformé village et aérodrome en véritable camp retranché truffé de bunkers et de chars enterrés jusqu’à la tourelle]. Page 147

Le chef de char Wittmann a-t-il stoppé les Alliés ? L’un des récits les plus célèbres de la bataille reste celui de Michael Wittman, un chef de char de la Tiger du 100e bataillon de chars lourds de la SS division, qui aurait à lui seul, le 13 juin 1944, empêché les Anglais de prendre à revers la ville de Caen. Pour Carlo D’Este dans son Histoire du débarquement, un commandant de chars allemand audacieux et brillant avait réduit à néant tout espoir de progression et avait forcé la septième DB à se mettre en défensive. L’exploit sensationnel de Wittman avait grandement soulagé les Allemands et infligé une terrible humiliation aux Anglais. Depuis, Wittmann, héros national aux 114 trophées est devenu un mythe prouvant qu’à 30 ans un homme par la seule force de sa volonté pouvait l’emporter sur les masses mécaniques.” Page 159

L'auteur

Nicolas  Aubin est agrégé d’histoire. Spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, il collabore au magazine Guerre et Histoire et au périodique De la guerre. Il a déjà publié La course au Rhin - 25 juillet au 15 décembre 1944Pourquoi la guerre ne s’est pas finie à Noël?. Il a coécrit aussi sous la direction de Jean Lopez Infographie de la Seconde Guerre mondiale. L’ouvrage, publié chez Perrin, est traduit en 16 langues.

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