L’archipel des Solovki
26 euros – 820 pages
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Thème
Sur un archipel d'îles éparpillées dans la baie d’Onega, en mer Blanche, juste au sud du cercle arctique, se dresse un monastère fortifié du XVe siècle. C’est là que furent installés entre les années 1920 et 1930 les « Camps des Solovki à destination spéciale » (SLON), centres de rééducation antérieurs au goulag où des centaines de milliers de prisonniers russes de toutes origines et de toutes conditions ont connu le travail forcé au prix d’un taux de mortalité effroyable.
Interné pour parricide, le héros principal, Artiom Goriaïnoff, s’y débat au milieu d’une foule hétéroclite de détenus, truands ou tchékistes, intellectuels ou artistes, putains ou princesses, officiers de l’armée blanche ou soldats de l’armée rouge, scientifiques ou prêtres, tous confrontés à un enfer glacé où l’instinct de survie prime bien souvent l’esprit de camaraderie.
Points forts
- L’Archipel des Solovki , servi par une érudition sans failles fruit de plusieurs années de recherches documentaires, est d’abord un roman, mais les amours chaotiques d’Artiom et de Galia ne sont que prétexte à peindre un monde concentrationnaire méconnu, une société artificielle telle que peuvent en engendrer les convulsions de l’histoire, révolutions ou guerres civiles.
Les déportés peuvent ainsi organiser dans leurs cellules des « soirées athéniennes » où l’on parle littérature et philosophie entre aristocrates cultivés avant de se retrouver le lendemain à charrier des grumes dans une eau glacée en compagnie de moujiks illettrés sous la férule de gardiens sadiques.
Prilepine met en scène ce que taisent les témoignages, même sincères : C’était cela, les Solovki, un enfer, oui, mais où finissait de fleurir le « siècle d’argent », l’effervescence artistique et littéraire des premières décennies du XXe siècle.
-La complexité des protagonistes, tous capables du meilleur et surtout du pire, tour à tour exaltés et naïfs, cruels et joyeux, désespérés et croyants, indifférents et chaleureux… Le seul sentiment qui leur demeure étranger est celui de la pitié, pitié pour eux-mêmes ou pitié pour les autres.
Ainsi du chef de camp Eïkhmanis, (avatar transparent du directeur historique Eichmans, compagnon de Trotski) convaincu de diriger non pas une prison mais un laboratoire, une fabrique d’hommes nouveaux, arguant des réalisations scientifiques, éducatives et artistiques menées au sein des Solovki et gommant les normes de travail inatteignables, le froid, la faim, les tortures et les exécutions.
-Les descriptions hallucinantes de cauchemars semi-éveillés engendrés par un froid intense et un estomac racorni et qui confinent chez Artiom à la schizophrénie.
Quelques réserves
-Le titre qui renvoie à L’Archipel du Goulag parle évidemment plus au lecteur français que le titre originel Obitel (Monastère) mais il atténue la dimension transcendantale présente tout au long de l’ouvrage, en particulier lors de la scène fascinante où le Père Ioan entraîne une bande de mécréants affamés et glacés à une confession publique suivie d’une communion symbolique.
-Des longueurs, normales vu le nombre de pages, mais particulièrement sensibles dans l’interminable virée d’Artiom et de Galia en mer blanche au cours de laquelle ils manquent de s’entretuer.
Encore un mot...
Prilepine établit une filiation entre les périodes tsaristes et soviétiques, les premières ne le cédant en rien aux secondes en termes de cruauté, alors que demeure immuable la pérennité de l’âme russe. En ce sens, il se situe plus près de Dostoïevski que de Soljenitsyne : « J’ai voulu écrire moins sur les camps que sur les Russes » dit-il sur Arte lors de l’émission du 17 octobre 2017.
Une phrase
( P.713 Une commission de contrôle venue de Moscou fait un constat qui présage le développement du Goulag) :
La commission s’attendait à trouver, dans le régime des Solovki, le premier camp de travail de l’Union Soviétique, un ordre légal plus ou moins établi. La bonne mise en route apparente de la production, les travaux à grande échelle consommateurs de main d’œuvre, un vaste programme de construction de logements, la présence de cadres tchékistes relativement solides, tout cela semble-t-il, aurait dû assurer un aménagement normal du travail… En réalité, c’est le contraire qui s’est produit. Sur la base de données ne concernant que le processus du travail, la commission arrive à la conclusion qu’à multiplier les outrages, les passages à tabac et les tortures sur les détenus, on a fini par en faire un véritable système.
L'auteur
Né en 1975 dans un petit village de la région de Riazan, Zakhar Prilepine, se définit comme national-bolchevique c’est-à-dire qu’il a des idées de gauche imprégnées de l’histoire et de la littérature russes. C’est un écrivain de combat, au sens propre du terme puisqu’il a participé aux deux guerres tchétchènes en qualité de commandant et s’est engagé début 2017, lors de la guerre du Donbass, dans les forces militaires de la République populaire de Donetsk à la tête d'un bataillon de volontaires ; il s’impose à 45 ans comme l’un des plus grands romanciers russes contemporains avec L’Archipel des Solovki.
Le clin d'œil d'un libraire
Agnès Lafaye, librairie Fontaine, 28 rue de l’Annonciation 75116 Paris 01 45 25 86 03 passy@librairiesfontaine.com
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Texte et interview par Rodolphe de Saint-Hilaire pour la rédaction de Culture Tops.
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