L'arbre dans la cité, histoire d'une conquête XVII-XXIème siècle
Parution le 4 novembre 2023
392 pages
25 €
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Thème
Un arbre dans la cité ? Et alors ? Et alors, n'imaginez pas que la présence d'arbres dans nos villes et dans nos villages aille de soi depuis toujours ! C'est bien l'histoire d'une conquête, du XVII au XXIème siècles, que nous raconte Andrée Corvol dans cet essai. Les arbres, les hommes les ont toujours aimés. Pour l'isolation, la menuiserie, les outils, le chauffage, la charpente, l'armement. Dans les villes et les bourgs construits pour protéger, héberger, rassembler, il n'avait pourtant qu'exceptionnellement sa place. Il gênait plus qu'autre chose. Mais il avait une dimension symbolique - arbre de mai, arbres du mail, renforcée par la Révolution de 1789, qui en fit un symbole de renouveau et de liberté. Mais cette histoire-là subit les vicissitudes des retournements politiques.
De l'An I à la Restauration, il en fut plus d'un arraché et replanté, par convictions politiques divergentes ou alternatives. Dans le courant du XIX° siècle, il devient la première expression d'une volonté d'urbanisation au service du bien être. Il prend place dans les avenues, les remparts comblés, les "cours", ouverts par le remodelage des quartiers, moyen de ressourcement, verdure en milieu minéral, ombrage, promenades. Mais ce que l'on croit immuable est loin de l'être : l'arbre dans la ville du XIXème siècle souffre des maux qu'on lui prête (propice à la débauche, aux rapines) et des maux dont il souffre - mauvaise connaissance de sa culture, pollution par les eaux usées, les gaz, les charbons et arrachages successifs pour élargir les voiries.
Pourtant, la connaissance des arbres progresse, les essences "exotiques" sont de mode, on en fait venir d'Amérique, d'Inde, d'Angleterre, de méditerranée… Et les édiles s'entichent de tilleuls, de marronniers, de cèdres, de caroubiers (faux acacias), de platanes. Ils font planter et changent d'avis ; les agents municipaux étêtent, émondent, élaguent. Et les spécialistes préfèrent les arbres aux feuilles qui sèchent à celles qui se décomposent, les écorces qui se renouvellent à celles qui noircissent, et les spécialistes des transports les veulent compatibles avec le halage, puis avec le tramway, puis avec le trafic "automobile". Vous devinez la complexité, qui conduira, expériences ratées puis réussies, à apprivoiser l'arbre dans la ville et à en faire, au tournant des années 1970, le symbole de l'humanisation des quartiers périurbains avant d'être considéré comme un salvateur puits à carbone.
Bref, toute cette histoire est composée avec force méthode, références et exemples, par “La” spécialiste de la relation des hommes aux arbres, Andrée Corvol.
Points forts
Cet essai est d'abord incroyablement documenté. Il fourmille d'exemples tirés des archives municipales en France, mais aussi en Angleterre ou en Belgique - événements informatifs, débats, décrets de l'introduction progressive, politique, citoyenne ou écologique, avant l'heure, de l'arbre dans la ville.
Il expose aussi les usages traditionnels du capital forestier, dans les domaines domestiques agricoles, industriels et militaires. Il nous donne à en comprendre les usages, le choix des essences, l'intérêt pour l'introduction de nouvelles variétés issues des continents lointains, les heurs et malheurs de leur culture, et des soins souvent inadaptés qui leur étaient portés.
Il vous apprend l'histoire des trottoirs, du revêtement des rues, des modes pour couvrir les cours, les places et les mails. Il vous fera découvrir les têtards (têtes des fûts et des branches élagués), respecter les vénérables (arbres multi centenaires), identifier les baliveaux (arbres élevés en pépinière), distinguer la tige de la canopée, les essences caducifoliées des essences sempervirentes… Un voyage au pays des arbres !
Andrée Corvol nous propose aussi en exercice de pensée, de nous référer aux œuvres des artistes peintres des époques étudiées, souvent cités, seuls témoignages restant de ces analyses.
Elle propose enfin un intéressant glossaire qui vous en apprendra beaucoup sur le vocabulaire forestier, sylvicole et horticole.
Quelques réserves
Cet essai a les défauts de ses qualités : il est extrêmement précis et détaillé. Les exemples sont très nombreux, références à des décisions politiques, administratives, communales. Et leur accumulation vous rend impatient de suivre le fil de l'exposé.
Si l'on décomposait le livre en deux parties, la seconde serait plus accessible que la première, qui expose avec force détails la gestion de l'arbre comme symbole politique. La partie révolutionnaire en est l'exemple le plus extrême, qui accumule les dates, les lois, les pouvoirs, laissant l'arbre un peu perdu dans les méandres des luttes politiques.
La seconde partie traite plus simplement de la transformation du couvert végétal des villes du fait de leur remodelage, de l'évolution des fortifications, des attentes de la bourgeoisie et du "petit" peuple. Plus concrète, elle évoque des lieux, des essences, des évolutions qui nous restent plus familières.
Encore un mot...
L'introduction de l'arbre dans la cité n'a pas été, et l'essai nous l'apprend clairement, un long fleuve tranquille. Pas plus que la stabilité écologique de nos forêts, qui ont connu des peuplements très divers - la diversité actuelle des essences n'étant somme toute que très récente - 4 à 5 siècles. Si vous en doutez, lisez cet essai. Dans une écriture élégante et accessible, il fourmille d'informations sur la relation des hommes aux arbres, dont l'histoire mouvementée des platanes est une belle illustration. Vouloir couper un arbre en milieu urbain soulève aujourd'hui des oppositions, quand il y a encore 100 ans - ou un peu plus, c'était une habitude. Pour autant, l'attachement de l'Homme à ses arbres est à l'origine des premières sociétés et associations de protection de la nature. "Oui, le végétal a triomphé de tout. Mais de nouveaux dangers le guettent qui entraîneront renonciations et adaptations" dit l'auteur en conclusion de son avant propos.
Une phrase
- "Les arbres plantés sur les mails et les tours de ville, les routes et les drèves de château, étaient souvent des ormes ou des noyers. Le bois des ormes était destiné aux affûts de canon: il résiste bien à la pression. Le bois des noyers était destiné aux crosses de fusil et leurs noix, fruits d'hiver, à l'obtention de l'huile. Tout l'Occident était concerné depuis le XVIème siècle. 1/ Parce qu'avec la permanence des guerres, les grandes puissances développaient leur artillerie. 2/ Parce qu'avec ses oliviers, le Midi avait de l'huile; avec leurs noisetiers, essence sauvage, et leurs noyers, essence cultivée, les autres contrées n'en manquaient pas non plus. A l'époque, le substitut oléagineux était impensable, le colza et le tournesol n'étant pas encore des plantes de Grande culture. Le choix de l'orme et du noyer était donc utilitaire." P 122
- "Survivre en ville.
Fin de siècle, les édiles qui désiraient ombrager les boulevards et les avenues, replanter les mails et les cours, embellir les parcs et offrir jardins et squares évoquaient volontiers « l'arbre qui édifie le citoyen».
Sous les frondaisons, les enfants faisaient leurs premiers pas et les vieillards, leurs derniers. Les générations passaient. L'arbre restait, témoin muet des rendez-vous manqués et des serments passionnés. Ancré dans la terre, il désignait le ciel, ce qui ne manquait sûrement pas d'élever l'âme au-dessus des contingences matérielles." P 171
- "Identifiables entre tous, des très vieux arbres sidèrent le cartographe en servant de bornes naturelles; contrairement aux bornes minérales, les populations ne les déplaceraient pas! Il était donc interdit d'abattre un «pied cornier » (arbre qui marque un angle) ou un «baliveau-lisière» (arbre qui ponctue une ligne). Ainsi, lorsque la forêt de Tronçais (Allier) fut cartographiée (1670), l'auteur retint comme pied cornier un chêne puissant et noueux : il le nomma la « Sentinelle» car l'arbre veillait sur le fossé qui séparait la «futaie» (destinée à produire du bois d'œuvre) et le «taillis» (destiné à produire du bois de feu)." P 226
- "En 1895, le réseau national (sans les départements perdus en 1870) comportait 3 millions d'arbres: 49% des routes étaient plantées. En 1995, le réseau national (avec les départements recouvrés en 1918) en comportait 250 000: 12 % des routes étaient plantées. C'est-à- dire l'hécatombe! Certes, la décennie 1985-1994 fut moins meurtrière que les précédentes (12 000 tués, contre 18 000 en 1965-1974). Était-ce dû au massacre des platanes? Fondé deux ans plus tôt, l'Observatoire interministériel de sécurité routière en doutait." P 267
L'auteur
Andrée Corvol est directrice de recherche au CNRS. Elle est sans doute la spécialiste la plus experte des relations que l'homme entretient avec l'arbre. Elle en a fait l'objet de ses recherches et a publié depuis près de 40 ans de nombreux ouvrages sur le sujet, rapprochant des disciplines diverses pour mieux comprendre l'évolution de la relation de l'homme avec son environnement, symbolique, usages, politique, sociologie des arbres et des forêts. Elle a fondé le Groupe d’histoire des forêts françaises (GHFF) et est membre de l'Académie d'Agriculture.
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