L'Age d'or de la Perse, l'épopée des Safavides (1501-1722)
Février 2023
440 pages
25 €
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Thème
Depuis Cyrus et Darius, l'Iran a compté 446 shahs. L'auteur aborde ici l'histoire des 9 shahs safavides qui ont fondé l'Iran "moderne" (au sens où les historiens entendent ce mot c'est-à-dire ici entre les XVIè et XVIIIè siècles).
Il commence par relater les origines de la dynastie safavide qui remontent au XIIIe siècle et il analyse, avec les nuances qui s'imposent, l'impact de cette "épopée" sur l'Iran actuel. Son étude historique est divisée en plusieurs parties :
- D'abord, les prémices de cette dynastie : la rencontre en 1276 entre Sheikh Zahed Gilani, "Maître parfait" d'un ordre soufi, alors âgé de 60 ans, à l'autorité spirituelle très respectée par ses milliers de disciples, et un jeune homme de 24 ans Safi al-Din, musulman érudit assoiffé de piété. Une rencontre capitale qui donne naissance à une confrérie soufie la Safaviyya (d'où le nom des Safavides). Ainsi résumées les choses paraissent simples ; elles étaient loin de l'être, et l'auteur entre évidemment en détails dans les précisions nécessaires pour comprendre comment la Safaviyya a assuré la difficile émergence d'un pouvoir safavide en en posant les bases spirituelles, administratives, militaires et financières. Tout est en place pour qu’Ismaïl 1er fasse naître l'empire, non sans avoir à surmonter de nombreux obstacles. Surnommé le "Shah aux yeux bleus", couronné en 1501 à l'âge de 14 ans, il pose un acte majeur de l'histoire de l'Iran, pour jadis et pour aujourd'hui encore : la proclamation du chiisme duodécimain comme religion officielle. La théocratie est installée.
- La 2ème partie couvre une période de 63 ans qui voit le long règne de Shah Tahmasp, couronné en 1524, durant lequel s'affirme le pouvoir d'une force guerrière : les Qizilbashs, dont il est beaucoup question. Une période remplie de conflits, de territoires perdus, de guerres et de milliers de morts. La dynastie semble menacée.
- Cependant elle va brillamment survivre en la personne du "plus grand des Safavides", Shah Abbas, couronné en 1587. Les 3ème et 4ème parties lui sont consacrées : son ascension, ses victoires militaires, sa politique et sa diplomatie (envers les Européens et les Indiens), ses choix novateurs, son absolutisme allant parfois jusqu'à la cruauté, sa paradoxale tolérance envers les autres religions (Arméniens chrétiens et Juifs), son goût pour le faste (on lui doit les beautés d'Ispahan) bref, un monarque qui fait entrer l'Iran dans la sphère des grands empires.
- Le déclin cependant est amorcé (1611-1722) : la dernière partie présente les quatre derniers shahs, le cruel Safi 1er, les faibles Abbas II, Séfi II-Soleiman et Sultan Hoseyn. L'auteur se penche également sur les voyageurs étrangers (Vénitiens, Portugais, Anglais et quelques Français) qui rédigent leurs observations et sur les relations diplomatiques de l'Iran, notamment avec Louis XIV, lorsque l'on parlait des "Grands Sophis". Quant aux derniers Safavides, ils ne furent plus que les fantômes d'un passé brillant.
Les Safavides ont construit un empire ambitieux, certes, mais fragile. La capitulation d'Ispahan par les Afghans le 22 octobre 1722 marque la chute de la monarchie safavide. Néanmoins, au-delà du déclin, le bilan reste positif, comme le conclut l'auteur.
Points forts
Incontestablement, la qualité de l'écriture. Lorsque l'auteur, au début du livre, précise ce qu'est le soufisme et quelles sont les différences essentielles entre le chiisme et le sunnisme, le lecteur clairement informé n'a aucun mal à suivre.
Yves Bomati ne se contente pas en effet de dresser des portraits ; sa plongée dans les racines de la dynastie constitue l'intérêt majeur de cet ouvrage. Il approfondit les différentes périodes sans hésiter à décrire les innombrables batailles que les shahs ont gagnées ou perdues (on finit par distinguer leurs deux principaux ennemis : à l'ouest, les Ottomans (sunnites), à l'Est, les Ouzbecks. Et bien d'autres !)
Yves Bomati a découvert parmi les sources -nombreuses-, de nouvelles informations, et c'est en cela que son livre fera date. D'autant qu'il existe peu d'ouvrages complets écrits en français sur cette période, mais seulement quelques études sur des moments des Safavides.
L'appareil en fin de volume est très soigné : notes, index, chronologie, glossaire et bibliographie, forment un imposant et fort utile outil pour qui veut approfondir le sujet.
Quelques réserves
Soyons clairs : comme il ne s'agit pas de survoler de manière plaisante les portraits de ces 9 maîtres de l'Iran, mais de mener une étude historique détaillée et approfondie de l'époque (1501-1722), du contexte, des amis et des ennemis, autant dire que la lecture exige sinon une excellente mémoire (car les noms des personnes évoquées - hormis les shahs- sont difficiles à retenir), du moins une sérieuse attention.
Un léger regret : certains lieux majeurs, comme Hérat ou Bitlis, où se sont déroulés des événements importants pour l'histoire de l'Iran (victoires ou défaites) ne figurent pas sur la carte à laquelle on se réfère sans cesse, vu la complexité de cette partie du globe... Elle a néanmoins le mérite d'exister p. 17
Encore un mot...
On apprend avec surprise que les Français ont plus volontiers utilisé le mot "Perse" alors que les Iraniens parlent depuis toujours de l'Iran... et que c'est depuis 1935 seulement que les textes officiels reviennent au mot "Iran"...
Enfin, ajoutons un mot en forme d'interrogation : parler d'un "Âge d'or" de la Perse ? Alors que les violences furent incessantes durant tant d'années : meurtres, assassinats, emprisonnements, tortures (yeux crevés, langues coupées etc), guerres et batailles (certaines engageaient 200.000 hommes), ambitions démesurées et goût du sang, villages incendiées, famines, transfert de population... et j'en passe. Cet "Âge d'or" fut souvent tragique...
Une phrase
- "On qualifie souvent le temps de cette dynastie d'"âge d'or" pour l'Iran. Il est vrai qu'il ponctua une longue période d'incertitudes où les multiples dynastes locaux s'étaient disputé des territoires à géométrie variable et où la confiance dans l'avenir s'était émoussée malgré quelques trouées de lumière ici et là. Pour la première fois depuis des siècles, un pouvoir fort et centralisé se dessinait fermement et tentait de fédérer un pays composite, de stabiliser des frontières face aux forces étrangères..., de redéfinir juridiquement les rapports entre les pouvoirs internes, de s'ouvrir enfin au monde tout en imposant son identité" (p. 10)
- "L'Iran safavide... amalgama autour de son noyau historique, la Perse -le Fars- et la Médie, une mosaïque de peuples aux coutumes et aux langues diverses, à savoir près de quatre-vingts ethnies différentes parlant des langues iraniennes ou altaïques. Ces ethnies furent rejointes par des Arméniens, des Juifs, des Géorgiens ainsi que des Arabes. Faire de cette multitude de peuplements, de coutumes et de langues -véritable tour de Babel- un rassemblement dans une même entité.. fut une gageure" (P. 338)
Quant à l'anecdote sur le fameux "Cylindre de Cyrus", je vous le laisse découvrir pour ne pas entamer votre surprise ! (p. 347)
L'auteur
Yves Bomati, diplômé de l'Ecole Pratique des Hautes Études, docteur ès lettres et sciences humaines, est spécialiste de l'histoire des religions.
Avec Houchang Nahavandi, croisant leurs regards, ils ont rédigé plusieurs ouvrages qui font référence (chez Perrin) : Les grandes figures de l'Iran ; Mohammad Reza Pahlavi, le dernier Shah (1919-1980) ; Shah Abbas empereur de Perse (1587-1629) couronné du prix Eugène Colas en 1999 par l'Académie française. Et Iran, 4000 ans d'histoire.
Houchang Nahavandi a été recteur des universités de Shiraz et de Téhéran avant de devenir ministre du Développement et de l'Enseignement supérieur sous le règne de Reza Shah Pahlavi. Il vit en exil depuis la révolution de 1979. Il est correspondant de l'Académie des sciences morales et politiques.
Sur notre site, on peut lire plusieurs chroniques relatives à l'Iran, parmi lesquelles :
- Iran Révolution de Michel Setboun, (photographe reporter, auteur du fameux portrait de l'ayatollah Khomeiny), une BD surprenante selon Bertrand Devevey
- Désorientale, une saga de Negar Djavadi, trois générations à des moments différents de l'Iran du XXe siècle
- Les exilés meurent aussi d'amour de Abnousse Shalmani, une famille en exil qui ne s'en sort pas si bien.
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