La vie intense : une obsession moderne
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Thème
La société occidentale moderne ne promet plus aux hommes une autre vie mais seulement ce que nous sommes déjà en mieux et en plus.
Est intense ce qui est plus ou moins fortement, par auto-comparaison dans la durée.
Chacun doit se sentir exister fortement, grâce à sa subjectivité, en se dépossédant de son contrôle de soi, en recherchant l'intensification plutôt que la transcendance.
L'intensité est devenue le fétiche de la subjectivité, même en art où il n'y a plus de conventions esthétiques partagées.
Tristan Garcia identifie le début de cette valorisation de l'intensité à la notion de force (Newton) et à l'abandon des notions de puissance et d'acte d'Aristote. Et plus précisément aux notions de force intérieure et de flux que l'électricité a imagées.
Il demeure des valeurs morales, mais elles sont supplées par une éthique qui plonge dans les subjectivités individuelles.
Cela aboutit à une éthique majoritaire qui consiste à valoriser individuellement son intensité, son flux vital, comme l'ont fait dans le passé le libertin, le romantique ou l'adolescent rocker.
Mais cette voie est une impasse car chacun est condamné à la tiédeur, à la médiocrité bourgeoise… Et les ruses (changer de passion, moduler les expériences, accélérer, rechercher, comme Rimbaud, le "poison" de la première fois), pour éviter cet étouffement inéluctable de l'intensité par la routine, ne feront que ralentir le processus.
Sans retourner à Descartes, notre auteur soutient que si la vie est intensité, la pensée est égalité, car rien ne sort amoindri de la pensée.
La pensée isole, unifie, identifie et arrache au passage du temps. Elle s'oppose à l'intensité.
La quête de la sagesse et la recherche du salut sont incompatibles avec l'intensité.
Donc pensée et vie s'anéantissent mutuellement.
Comment alors concilier conceptualisation et subjectivité? En organisant la vie pensée et la pensée vécue de telle sorte qu'aucune des deux n'ait de position hégémonique. On ne se sent vivre qu'à l'épreuve d'une pensée qui résiste à la vie et on ne se sent penser qu'à l'épreuve d'une vie débordant la pensée.
Il faut donc refuser l'injonction de cohérence entre vie et pensée.
Points forts
Tristan Garcia reprend une question éternelle qu'il dépoussière et éclaire à la "lumière électrique".
Cela lui permet d'en faire un historique original et de la mettre au goût du jour.
La longue file des penseurs d'une matière sans intensité, d'Aristote à d'Alembert, en passant par les stoïciens et les médiévaux a été suivie d'une prise en compte nouvelle de l'intensité. Les premières traces datent de l'idéalisme allemand et sa valorisation a été a été faite par Nietzsche, Bergson, Whitehead et Deleuze, récemment et "intensément".
La tentative de démonstration que la vie intense tout comme la pensée "hors vie" sont des impasses est une démarche louable, et ce, d'autant plus, de la part d'un jeune et brillant normalien qui pourrait être tenté par une approche uniquement conceptuelle.
Quelques réserves
Tristan Garcia me semble parfois se laisser emporter par son intelligence et sa culture et du coup oublier le réel. Par exemple :
1 Sommes-nous réellement attirés par une vie intense ? Notre monde n'est-il pas plutôt celui de la monotonie, de la consommation uniformisée, de la globalisation pour 99% de la population ?
2 N'est-ce pas aujourd'hui le virtuel et la communication qui sont en passe de mener le monde et pas l'intensité ?
3 On lit page 116: "L'intensité est un idéal assez souple pour envelopper son contraire". La médiocrité qui n'est pas médiocrement rendue serait intense (Cf Houellebecq). L’éthique de la vie intense ne serait-elle pas alors une illusion ?
4 Pourquoi pense-t-on ? N'est-ce pas aussi pour avoir une vie meilleure ? Subjectivité et pensée sont-elles vraiment séparables ?
Encore un mot...
Cet essai met au goût du jour une question passionnante. Mais ne permet pas vraiment de pacifier la frontière entre rationnel et irrationnel où tensions et conflits ont encore de beaux jours...
L'auteur
Tristan Garcia, né le 5 avril 1981, est un très jeune et brillant écrivain et philosophe français.
A l'issue de sa khâgne au lycée Pierre de Fermat de Toulouse, il intègre l'École normale supérieure de la rue d'Ulm où il se spécialise en philosophie.
Sa thèse de doctorat s'intitule "Arts anciens, arts nouveaux. Les formes de nos représentations de l'invention de la photographie à aujourd'hui."
Il est maître de conférences dans le département de philosophie de Lyon-III.
Amateur de cinéma et de séries télévisées, Tristan Garcia codirige, depuis avril 2012, une collection sur les séries télévisées aux Presses universitaires de France.
Parallèlement à son travail philosophique, Tristan Garcia a publié plusieurs romans :
- "La Meilleure Part des hommes" (2008 chez Gallimard) retrace l'arrivée du sida au sein du mouvement homosexuel dans les années 1980.
- En 2010 parait "Mémoires de la jungle", qui explore la frontière ténue entre l'homme et l'animal et, à l'inverse du précédent, rencontre un accueil mitigé de la critique.
- "7" (2015 chez Gallimard – 570 pages). Ce chiffre symbolique correspond aux sept nouvelles autonomes et solidaires de cet ouvrage. Hybride de roman et d'essai philosophique sur le temps, le cycle de l'histoire, la répétition des faits, la religion, les idéologies et la technologie.
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