La terre a soif
Sept 22
440 pages
23€
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Thème
Ce sont des données sur 33 fleuves du monde, de taille fort inégale, que l'auteur nous fait partager à la fois par ses notes et ses dossiers, les reportages et voyages effectués sur place et ses rencontres avec des spécialistes des questions de l'eau. Il commence ce tour du monde fluvial par la douce France (qui semble épargnée, et pourtant...) puis la vieille Europe avec le Rhin et le beau Danube (pas toujours bleu), avant d'aborder le Levant et ses conflits historiques, l'Euphrate, le Jourdain... Un périple jusqu'en Asie le mène sur le toit du monde (Le Gange), au Laos (le Mékong), au Cambodge et au Vietnam et bien sûr en Chine sur les imposants barrages des Fleuves Jaune, Rouge et Bleu...
Le chapitre V est consacré à l'Australie, intitulé "le laboratoire de la rareté" tant l'eau est partout, mais salée, tandis que l'eau douce est rarissime. De l'autre côté de la planète, l'auteur visite le Saint-Laurent, autoroute fluviale, le Mississipi, le Colorado, et les deux fleuves de Panama. Et le voici en Amazonie, en Guyane, puis à la rencontre de ce géant méconnu qu'est le Parana. Traversant l'océan, il rejoint en Afrique, le Nil (en Ethiopie), le Niger, le Sénégal et le Congo. Le VIIIe chapitre voudrait répondre à une lancinante question : est-ce la fin des climats tempérés ? Quant à sa conclusion, je vous laisse la découvrir car il expose, pour l'avenir de l'eau, des solutions qui, si elles ne sont pas simples, existent néanmoins. Et surtout des convictions qui aboutissent à des "obligations" résumant tout ce qu'il faut (ou faudrait) faire pour sauver ces organismes "vivants" que sont les fleuves.
Points forts
Incontestablement, c'est le ton "reportage-choses vues" qui nous attache à ces pages, à ces fleuves évoqués, rencontrés, et à ces lieux visités, à la population, la faune et la flore qui en dépendent. Orsenna jouit de ce grand talent de transformer les notes qu'il prend sur place en des évocations prenantes, tantôt poétiques émerveillées, tantôt inquiètes alarmées.
Ni exagérément pessimiste ni franchement optimiste, il porte sur la réalité un regard lucide et ses propos sont francs. Il dit les choses comme elles sont.. Certes, l'état des fleuves est plutôt inquiétant et ne s'est pas amélioré depuis une vingtaine d'années, notamment au niveau des deltas ; les barrages qui ont l'avantage de réguler les débits, de produire de l'électricité, -deux avantages majeurs- ont aussi leurs inconvénients et l'auteur les expliquent clairement. Il n'hésite pas, pour chacun des fleuves, à mentionner les chiffres essentiels, géographiques et économiques et donc, humains.
L'une des qualités de son enquête est à souligner : la précision. Nulle affirmation n'est avancée sans qu'elle soit assortie d'indications chiffrées. Un exemple ? A Chicago, sur le Mississipi : "un convoi de 15 barges s'étend sur une longueur de seulement 402 mètres, quand son équivalent sur la voie ferrée occupe 4, 4 kilomètres et occupe sur la route 18,5 kilomètres en alignant 870 semi-remorques" (P. 227)
Les cartes sont bienvenues, car avouons que situer le cours d'un fleuve, les pays et régions qu'il traverse, n'est pas toujours chose aisée... On découvre même certains fleuves dont on peut tout ignorer, à moins d'être allé soi-même dans le pays, par exemple le Darling et le Murray, en Australie.
Quelques réserves
S'il faut émettre une (petite) réserve, je dirais que le titre du livre "La Terre a soif" ne laisse entendre qu'une partie de la réalité : certes, le niveau des fleuves diminue (4 milliards de personnes souffrent d'une pénurie d'eau), certes l'eau de ces fleuves est polluée de manière souvent très inquiétante, mais paradoxalement, une large part de la population mondiale souffre aussi d'un excès d'eau, d'inondations désastreuses et meurtrières générées par le débordement de ces fleuves ou par des pluies excessives... La Terre, par moment, crie donc "J'ai soif" mais à d'autres "Stop, assez d'eau", ce que l'auteur expose d'ailleurs fort bien.
Tous les fleuves du monde ne sont pas présents, on peut le regretter (mais comment serait-ce possible ?) et Erik Orsenna s'en explique : il manque la Russie entre autres, et le Brésil, la Birmanie, l'Inde... A lire les pages 399 et suivantes, on comprend pourquoi.
Encore un mot...
Erik Orsenna l'avoue : "l'amour des fleuves ne m'a jamais quitté, il a même plutôt tendance à grandir, l'âge venant". Il parvient à nous faire partager cet amour pour ces importants fournisseurs d'eau, matière première indispensable à la vie, que sont les fleuves, petits ou grands, car "tout fleuve est un personnage, un être vivant à nul autre pareil". Le grand mérite d'Erik Orsenna est de savoir transformer les fleuves en des personnages dont il raconte si bien l'histoire qu'on les admire, qu'on les remercie, qu'on se prend à les aimer parce que l'on craint pour leur vie... Voilà donc un livre qui est autant un cri d'alarme qu'un cri d'amour !
Une phrase
"La Chine ne dispose que de 6% de cette ressource essentielle (l'eau) pour 20 % de la population mondiale. Et cette eau est particulièrement mal répartie : 20% coulent au nord du pays où vivent... 42 % des habitants. Mais la Chine a toujours été un peuple d'ingénieurs. Et un ingénieur a toujours dans sa besace une solution technique. En l'espèce, transporter vers le nord l'eau du Sud, c'est-à-dire celle du fleuve Bleu, le Yangtsé. Les travaux sont en cours. Il est même prévu de creuser un tunnel pour que les flots passent sous... le fleuve Jaune. En dehors du coût -faramineux (plus de 40 milliards d'euros)- de ces dérivations, outre le besoin massif d'énergie pour pomper en permanence des milliards de mètres cubes, certains pensent tout bas -c'est ici la seule bonne manière de penser- que cette violence extrême faite à la nature (et à des centaines de milliers de personnes qu'il faudra déplacer) ne réglera pas les problèmes et risquera d'en créer d'autres : les nappes phréatiques méridionales commençant à s'assécher... (p. 161)
"Les fleuves eux aussi polluent parce qu'ils servent de poubelles. Eux aussi souffrent de toute leur eau gaspillée, de toute leur eau capturée en amont, de tous leurs deltas asséchés. Eux aussi sont le problème. D'eux aussi viendront les solutions si l'on prend enfin suffisamment soin d'eux" (p. 406)
L'auteur
A la fois économiste de formation, fin connaisseur des questions financières, géopolitiques et culturelles, et passionné de géographie, Erik Orsenna est l'auteur d'une quarantaine d'ouvrages, dont la majorité a été distinguée d'un ou plusieurs Prix littéraires et sont repris au Livre de Poche. C'est avec son roman l'Exposition coloniale, paru en 1988, Prix Goncourt, qu'il entre dans la sphère des auteurs les plus lus et les plus appréciés. Il a été élu à l'Académie française dix ans plus tard au fauteuil précédemment occupé par Jacques-Yves Cousteau. Après avoir publié L'avenir de l'eau en 2008, il a fondé en 2014, avec Elisabeth Ayrault, l'association internationale Initiatives pour l'avenir des grands fleuves, grâce à laquelle il a en partie rédigé le présent essai La Terre a soif.
Sur notre site, on peut lire des chroniques consacrées à deux ouvrages :
Beaumarchais un aventurier de la liberté (Stock 2019)
Passer par le nord, la nouvelle route maritime, avec Isabelle Autissier (Paulsen, 2015) ;
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