La Silicolonisation du monde

Cri d'alarme et démystification
De
Eric Sadin
Editions L'Echappée
Notre recommandation
4/5

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Lu
par Culture-Tops

Thème

Les USA ont inventé à partir de leur credo capitaliste libre-échangiste un mouvement irrésistible. Dans le sens de la mondialisation. Ce mouvement est né dans la Silicon Valley où l’optimisme technologique et la perfectibilité indéfinie de l’homme ont rendu possible cet «esprit» qui mêle  visions zen et panthèiste du monde. Ces nouveaux zélateurs du progrès ont compris tous les bienfaits qu’ils pouvaient en tirer pour eux. Désormais, explique Eric Sadin, ils n’auront de cesse de clientéliser la planète entière à leur seul profit. 

Dans cette amnésie générale qui ruine toute appropriation personnelle du savoir et tout discernement, il est grand temps, selon lui, de faire s’insurger les consciences, ce à quoi il s’emploie quand il donne des recettes très pratiques pour résister au rouleau compresseur du «tout connecté», du «tout sous contrôle» de l’intelligence artificielle. 

Ce livre vise véritablement à une réappropriation de la liberté de jugement et de la décision des acteurs. De tous les acteurs.

Points forts

Un essai à la fois historique et critique, d’une très grande sagacité, sur des domaines familiers et récents mais dont le substrat ontologique et philosophique reste assez mal connu;

Un style d’une grande souplesse qui associe à la fois (mais pas toujours!) une grande clarté explicative des concepts abordés et une liberté de ton étonnante, y compris dans le choix de toutes les références de l’auteur: littéraires, philosophiques, historiques, et dans l’histoire des idées politiques (le revenu universel de Benoît Hamon est même évoqué...).

C’est un festival auquel cette intelligence brillante nous convie, au prisme d’une pensée très analytique et qui dénote une culture phénoménale (au sens propre du terme), mais aussi très synthétique, révélatrice de la formation philosophique d'Eric Sadin qui possède une véritable vision de son sujet.

On ne peut pas rester indifférent devant le phénomène du «tout numérique» et l’auteur nous donne toutes les armes critiques pour l’aborder. Et le combattre. L’exemple pris dans l’éducation nationale est particulièrement pertinent.

Quelques réserves

- Il y a des longueurs et du bavardage dans ce livre de près de trois cent pages qui pourrait être réduit d’un tiers.

- La table des matières et l’appareil critique des notes ne sont pas d’un emploi aisé.

- Il manque un glossaire pour les définitions (open data, quanta, algorithme, technologie de l’exponentiel et de l’intégrale, etc…)

- Il manque, à mon sens, un aspect spirituel auquel l’unique invocation humaniste en conclusion ne saurait seule se substituer. Avec une confusion, page 85, entre théologie et téléologie.

Encore un mot...

Un essai extrêmement pénétrant sur les enjeux de l’interconnexion généralisée. Enjeux proprement civilisationnels: c’est notre liberté de penser qui est en jeu ainsi que notre conception de la démocratie, battue en brèche par le «technolibertarisme» à la solde d’une oligarchie hors sol, sans morale et désincarnée sauf pour le calcul de ses profits. - Un témoignage impitoyable qui démystifie les «héros» très médiatisés des GAFA comme Steve Jobs, Mark Zuckerberg et consorts qui ne sont en réalité, selon Eric Sadin, que des créatures messianiques un peu monstrueuses.

Une phrase

«Ce qu’il faut saisir, c’est que les technologies de notre temps, celles des données et de l’intelligence artificielle, ne produisent pas des effets, mais se situent au point nodal de la crise de la démocratie; celui du déssaisissement de la décision humaine. Car elles y contribuent pour une large part. Ce sont les fondements de notre civilisation, l’autonomie de jugement et la liberté d’action, qu’elles sapent soudainement. »

L'auteur

Eric Sadin, né en 1973, est écrivain et philosophe.

Il a fondé la revue éc/artS (1999-2003), dédiée aux pratiques artistiques et aux nouvelles technologies, à travers des travaux de création, des articles théoriques.
Intervenant régulier à Sciences Po, il est présent dans de nombreuses universités et centres de recherches en Europe, aux USA et en Asie.
Il a été professeur à l’école supérieure d’art de Toulon, et visiting professor à L’ECAL de Lausanne et à l’université d’art IAMAS (Japon).
Il a publié plusieurs ouvrages, notamment une trilogie explorant l’état contemporain de nos rapports aux technologies numériques.

Il est le lauréat 2002 de la Villa Kujoyama (Kyoto, Japon).

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