La morale de cette histoire
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Petit par sa taille mais d'un propos ambitieux, ce précis de morale en trois parties est sous-titré : Guide éthique pour temps incertains. L'auteur prend acte du fait qu'aujourd'hui : « tout le monde veut plus d'éthique » alors qu'en réalité « personne n'aspire au retour de la morale » (p. 10). Ethique n'étant que le nom grec de la morale, notre temps n'est donc, en vérité,que nostalgique de l'ordre moral perdu ! Tavoillot suggère donc au lecteur – qu'il tutoie familièrement à chaque chapitre- de retrouver la morale autrement ; et lui indique que cette renaissance prolonge tout simplement une tradition philosophique qu'il rappelle au fil de ses pages...
La première partie du livre constate que nous n'admettons plus les principes qui fondaient l'ordre moral ancien, principes qui, au fil des siècles, s'exprimèrent ainsi : façonnée par la coutume et respectueuse de la tradition et des ancêtres, la morale traditionnelle était surtout fixiste et conservatrice ; prenant acte de l'ordre immanent des choses et du cosmos, la morale aristocratique antique s'efforça, par contre, de mettre le sage en harmonie avec le monde au sein duquel il espérait occuper une «juste place dans l'univers » (p. 36). Quant à la morale divine, celle du décalogue dicté par un Dieu tout puissant, celui de la Bible, des Evangiles ou du Coran, elle a façonné vingt siècles d'histoire ; sa puissance s'étant érodée en occident, elle n'inspire plus notre société laïque et sceptique que de loin !
La conclusion coule de source : à l'instar de Pascal qui paria sur l'existence de Dieu, Tavoillot parie qu'une méthode raisonnable peut restaurer la morale : délibérons, dit-il, tant avec nous-même qu'avec autrui, afin que l'échange et l'argumentation nous évitent de nous battre ! Une méthode que la suite du livre illustre et développe.
La seconde partie parcourt quelques questions que le monde contemporain voudrait encadrer par l'éthique : les préoccupations environnementales ainsi que les retombées des bio-technologies et du numérique, trois sujets qui débordent du champ politique, provoquent en effet des débats passionnés et internationaux ! Par une démarche méthodique, Tavoillot explique comment la morale s'installe sur ces « terres inconnues » ; il conclut cette partie par une longue citation de Tocqueville (p. 115-116) qui nous invite à ne pas « réduire chaque nation à un troupeau…dont le gouvernement est le berger », une remarque applicable aux événements de l'année 2020 !
La troisième et dernière partie du livre explique comment re-fonder l'éthique sur une base purement humaine : clé de voûte de cette nouvelle moralité, le respect des autres implique que chacun soit à la fois conscient d'autrui et respectueux des autres. Sur près de quatre-vingt pages, l'auteur donne des exemples concrets qui pourraient convaincre celui qui s'estime libéré de la tradition, de la dévotion et de la morale classique.
Cette question en entraîne d'autres car il faut évidemment s'entendre sur ce qu'autrui signifie : où commence où finit l'autre? L'animal, l'arbre, la terre, la mer, le virus ou le robot (présumés plus ou moins intelligents ?) appartiennent-ils à une famille élargie à qui l'on accorderait des droits analogues à ceux que ne méritent vraiment que des hommes ? La nature doit-elle recevoir des droits-créance comparables à ceux que la société politique n'alloue qu'au seul genre humain ?
Clairement, Tavoillot plaide pour maintenir une échelle de priorité qui considérerait l'homme sur un autre pied que les choses et les êtres sans conscience. Cinq appendices complètent ce petit traité ; deux d'entre eux (n° 4 & 5: généalogie de la morale et générosité individuelle) constituent de brefs mémos... mémorables !
Points forts
Truffé d'illustrations vivantes et actuelles, vif et plaisant à lire, ce petit livre a plusieurs utilités : il offre à ceux qui veulent échapper au relativisme quelques munitions pour réfléchir sur l'intelligence artificielle ou sur la génomique. Il souligne la filiation perverse entre ceux qui militent aujourd'hui pour une lutte des races et ceux qui menaient autrefois la lutte des classes ; il raille le particularisme et le communautarisme qui veulent effacer le reliquat d'universel qui traîne encore dans notre héritage ; il dit aussi pourquoi ceux qui, portés par une sensiblerie maladive, veulent élargir aux objets inanimés et à la biosphère le respect que nous devons au genre humain etc. Ce livre servira enfin d'aide-mémoire pour raisonner sur des sujets sérieux sans mot-valise, ni lieu commun ni bien-pensance convenue ! Le style, naturel et vivant, appuie toujours le propos, sans ambiguïté !
Quelques réserves
L'auteur se laisse parfois entraîner par sa facilité d'écriture : mais ceux qui l'ont entendu le savent, cette facilité va de pair avec sa faculté d'élocution ! Quant à sa familiarité avec ses lecteurs, on la lui pardonne car ce n'est qu'un péché véniel , tolérable puisqu'il s'agit d'un précis de morale !
Encore un mot...
Ces deux cents pages se lisent comme un roman de mœurs ! Que dire de mieux pour un essai philosophique ?
Une phrase
Quelques aphorismes glanés au fil des pages :
p. 11 : «En 1968, tout était politique ; en 2020, tout est moral » !
p. 16 : « le droit se juge sur pièces ; la morale par sa volonté ; la politique par ses résultats ! »
p. 100 : «acharnement thérapeutique? Il n'y a jamais de bonne décision ; mais on peut éviter les pires !».
p. 135 : « l'enfant est un être qui veut grandir ; pour ce faire, il a besoin des adultes »
p. 172 : « la vie morale n'est pas ailleurs ; elle est en nous !»
p. 177 : « le blasphème ne touche pas Dieu mais certains croyants qui s'estiment offensés » etc.
L'auteur
Pierre-Henri Tavoillot, philosophe et essayiste, enseigne à Sciences-po. et à l'université Paris-Sorbonne. Il a publié plusieurs essais dont
L'abeille & le philosophe (avec François Tavoillot, 2015)
La guerre des générations aura-t-elle lieu ? (avec Serge Guérin, 2017)
Comment gouverner un peuple-roi ? (2019)
Il anime le Collège de philosophie qui se réunit régulièrement en Sorbonne.
Commentaires
Ce livre fera partie de ceux dont je garde le meilleur souvenir et qui restera dans ma bibliothèque.
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