Notre recommandation
3/5
Infos & réservation
Lu
par Culture-Tops
Retrouver également les chroniques Ils viennent de sortir dans cette même rubrique
Thème
G.H. Soutou, et c'est une originalité de son livre par rapport à l'avalanche des publications concernant la guerre de 14-18 elle-même dont le centenaire a provoqué l'édition, ne s'intéresse ni à la stratégie, ni à la tactique militaire, mais finalement à ce qui est le plus important sur le plan historique, géopolitique, "civilisationnel" pourrait-on dire: Il détaille les causes de la guerre, les intentions des belligérants, les visées des uns et des autres (affichées ou secrètes) avant comme après la fin des hostilités, sans compter leurs nombreuses arrières-pensées, pas toujours avouables.
Les millions de morts de la guerre, ce gigantesque drame humain, n'ont eu (hélas) que peu de conséquences sur le bilan politique du conflit tel qu'il sera fixé par les traités. On le verra à la fin de l'ouvrage où le bilan de ces traités, celui de Versailles mais aussi Sèvres, San Remo etc. est analysé et leurs conséquences expliquées.
En bon professeur, l'auteur articule son ouvrage en 8 chapitres chronologiques, depuis l'avant-guerre jusqu'à ses conclusions politiques: les traités de 1919-1920.
Très complet, le livre comprend une très abondante bibliographie, de nombreux renvois en bas de page et 6 cartes des théâtres géopolitiques, y compris du Moyen-Orient.
Points forts
Georges-Henri Soutou a le grand mérite d'exposer en détail et sans parti pris les véritables causes du premier conflit mondial. Elles sont assez éloignées de ce que la "geste nationale" habituelle a coutume de présenter à l'opinion publique aujourd'hui comme hier: tous les pays d'Europe ont au moins une très bonne raison de vouloir la guerre et G-H Soutou nous les expose clairement.
Autre point fort qui va à l'encontre de tout ce que l'on pense savoir et que les politiques ont soigneusement caché à l'opinion publique de l'époque: les négociations ou approches secrètes entre tous les belligérants n'ont jamais cessé (Mata-Hari, dont Soutou ne parle pas, n'en aurait-elle pas été une victime?)
La seule de ces tentatives qui aurait pu mettre fin au conflit ou provoquer des paix séparées, celle de Sixte de Bourbon Parme, a lamentablement échoué par la faute du nouvel empereur d'Autriche, pourtant le plus pacifiste de tous les dirigeants européens! Ces tentatives de dialogue sont une découverte pour le lecteur "de base" contemporain.
Point fort du livre également, la présentation de l'intrusion de Wilson et des américains dans le jeu européen. Pourtant peu impliqués bien que de façon décisive dans la victoire, ils emportent finalement l'essentiel, avec leurs cousins Britanniques, des fruits du conflit. Cette guerre aura en fin de compte profité aux seuls Anglo-Saxons sous l'oeil navré de Clémenceau, ce qu'il exposera dans son livre "Grandeur et misères d'une victoire" ...
Quelques réserves
Ce serait faire injure à l'auteur, sommité en la matière, que de trouver des points faibles à son ouvrage, mais du point de vue du lecteur, simple amateur d'histoire contemporaine, on peut toutefois regretter que "La grande illusion" soit surtout destinée aux élèves de Sciences-Po qui se destinent au Quai. Les lecteurs paresseux pourront-ils lire en diagonale?
Encore un mot...
Ce livre fait réfléchir: la Grande guerre n'a pas profité politiquement à la France, les traités lui ont été défavorables. Pis, ils lui ont valu la revanche de 39-45 ! Quant aux Anglo-saxons, leurs objectifs, eux, ont été atteints. Au Moyen-Orient ils se sont assuré du pétrole quand la France, en Syrie, jouait le rôle de tampon entre eux et les restes de l'empire Ottoman. En Europe, ils ont évité soigneusement que la France ne soit trop avantagée au détriment de l'Allemagne. (Le retour de l'Alsace-Lorraine fut même un temps bref en cause!)
Quant à l'Autriche-Hongrie,dépecée par la volonté de Wilson au nom du "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes" (une formule que De Gaulle saura retourner plus tard aux Américains) elle cesse de ce fait d'être un élément d'équilibre dans le jeu européen, et a donné ultérieurement à Hitler de quoi engrosser son Reich!
Symptomatique de la volonté de main mise sur le destin de l'Europe par les USA, on voit naître les prémices de "l'Europe à l'américaine", celle des organismes supranationaux et de l'alliance atlantique( le terme apparait déjà). On ne sera pas étonné à ce propos de voir poindre (il aura de la suite dans les idées !) le jeune Jean Monnet, déjà en faveur du jeu politico-économique américain !
Au final, 14-18 a préparé ou préfiguré l'effacement de l'Europe et la domination mondiale des Etats-Unis sur le XXème siècle.( comme la Grande Bretagne au XIXème )
L'auteur
Georges-Henri Soutou, professeur émérite d'histoire contemporaine à la Sorbonne, est l'un des meilleurs spécialistes des relations internationales en Europe. Auteur de nombreux ouvrages et directeur de thèses sur la période charnière XIX-XXème siècles, il est membre de l'Académie des sciences morales et politiques.
Tweet
Première guerre mondiale: la paix gagnée par les Anglo-Saxons.
Ajouter un commentaire