LA GRANDE HISTOIRE DE LA RUSSIE, de son empire et de ses ennemis
Octobre 2023
425 pages
23 €
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Thème
Le titre et le sous-titre disent tout : il s’agit de retracer depuis les origines la formation d’un pays que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de Russie. Et ce pays se définit depuis toujours par sa relation à ses nombreux ennemis : la Pologne, l’Allemagne, l’Empire Ottoman, les Etats-Unis…
Comme en France mais plus brutalement, il s’agit clairement d’une création de l’Etat, cette notion faisant l’objet d’une véritable déification au sens propre du terme. En témoigne le caractère sacré du Tsar durant toute l’époque monarchique quelles que soient les tares de certains titulaires de cette charge ; en témoigne aussi l’embaumement de Lénine après sa mort dans un rituel quasi religieux, pour ne rien dire de la soumission aveugle à un régime autocratique qui n’a jamais vraiment connu la démocratie.
Ce livre ne fait l’impasse sur aucun épisode de cette histoire et insiste sur la lutte permanente entre le tropisme oriental hérité de Byzance et des envahisseurs mongols, et l’attrait ambigu pour l’Occident, à la fois modèle et repoussoir. Cet affrontement est encore au cœur de l’actualité.
Points forts
Voici, dans le meilleur sens du terme, un ouvrage de vulgarisation, ou encore de culture générale, c’est-à-dire le contraire d’un travail universitaire chargé de notes de bas de page (ceci dit sans aucune critique car ce type de livre est également indispensable et il en existe de remarquables dont certains sont cités par l’auteur dans la bibliographie annexée). Simplement, le public visé est ici le citoyen désireux de comprendre l’actualité, mais peu instruit d’une histoire qu’on ne lui a jamais apprise à l’école.
Ce n’est pas non plus une œuvre littéraire, le style étant journalistique et se rapprochant de l’aspect oral d’une conférence, le lecteur étant souvent apostrophé pour relancer son attention.
De ce point de vue, le but est atteint car les méandres de l’histoire de ces peuples (Scythes, Varègues, Ruthènes, Zaporogues …) deviennent clairs et compréhensibles à la lecture de chapitres courts et ramassés qui vont à l’essentiel sans rien omettre d’important mais aussi sans noyer le lecteur dans un déluge de faits et de dates.
François Reynaert réconcilie les tenants du « temps long » cher à Fernand Braudel, en n’oubliant ni les migrations ni les phénomènes économiques, et les amateurs de la chronique des grandes figures puisqu’il dresse le portrait de tous les acteurs majeurs, d’Ivan le Terrible à Staline et de la Grande Catherine à Vladimir Poutine.
L’on sait que, même si ce sont les peuples qui font l’Histoire, les actes de telle ou telle personnalité peuvent en changer le cours ; à cet égard la Russie en est un bon exemple car la face du monde aurait pu être changée en l’absence d’un Pierre le Grand ou d’un Lénine.
L’on appréciera aussi l’honnêteté de l’auteur, qui sur chaque question polémique expose les différents points de vue afin de conduire le lecteur à forger sa propre opinion ; ceci est particulièrement louable s’agissant de ce qui touche à l’Ukraine (notamment les causes de la famine de 1930 et sa qualification contestée de génocide).
Quelques réserves
On se permettra de préférer la partie « ancienne » c’est-à-dire tout ce qui précède la révolution d’octobre 1917, aux chapitres ultérieurs qui traitent de la période communiste et post-communiste.
Ceci s’explique sans doute non par une insuffisance ou une baisse de régime – l’essentiel y figure toujours et dans le même style enlevé – mais par le fait que cette période est beaucoup mieux connue de nous, de sorte que l’on a moins le sentiment d’apprendre quelque chose.
Il est certain que l’explication des origines du pays à la période médiévale, l’évocation du rôle de l’Eglise orthodoxe après le Grand Schisme, le chapitre bienvenu sur les Juifs ashkénazes, sont à nos yeux beaucoup plus nouveaux que le stalinisme ou la fin de l’URSS, ce dernier événement ayant été vécu en direct par beaucoup d’entre nous.
Encore un mot...
Une fois ce livre refermé, vient le temps de l’élargissement de la réflexion.
Tout d’abord, il nous revient en mémoire la prescience de Charles de Gaulle qui, en dépit des moqueries des zélateurs de l’homo sovieticus, se refusait toujours à parler de « l’URSS » mais seulement de « la Russie » et estimait que le communisme n’était qu’un épisode transitoire dans la vaste histoire de ce pays ; il est clair que les événements lui ont donné raison et qu’à travers tous les régimes qui se sont succédés c’est toujours la même politique impérialiste qui a été appliquée.
La seconde impression ressentie est une forme de tristesse. Ce grand peuple qui a produit tant de chefs-d'œuvre de l’esprit (l’auteur convoque tous les artistes, écrivains, musiciens, savants…) et qui aurait tout pour réussir semble irrémédiablement condamné au malheur.
Retrouvé dans nos lectures ces admirables mots d’Ivan Tourgueniev qui se passent de commentaire :
« Et de nouveau des années après je parcours tes chemins,
Et de nouveau je te retrouve, pareille, inchangée !
Je retrouve ta torpeur, ton immobilité, ton non-sens. Tes champs délaissés.
Et tes isbas sans chaume, tes murs vermoulus.
Ta misère, ta touffeur, ton ennui, la même saleté que jadis,
Et ton regard d’esclave, tantôt effronté, tantôt opprimé
Et bien que libéré de ton servage,
Tu ne sais par où commencer, peuple.
Et tout est comme avant ».
Une phrase
« L’histoire est partout dans cette guerre d’Ukraine, souvent instrumentalisée et noyée dans des fleuves de propagande. Un des buts du livre que vous avez entre les mains est d’en refaire le plus simplement, le plus posément, le plus honnêtement possible, le récit pas à pas pour répondre à toutes les questions que chacun se pose et d’éclairer par les faits l’arrière-plan historique de l’événement majeur du XXIème siècle qui est en train de se jouer autour du Dniepr.
Pour autant, je ne voudrais pas que cet ouvrage soit seulement lu comme un livre de circonstances, quelles que soient la gravité et l’importance de celles-ci. Cela lui ferait courir le risque de tomber dans ce que les philosophes appellent la « téléologie », c’est-à-dire le biais consistant à ne relire et réécrire le passé qu’en fonction du but où il est censé arriver. C’est un piège fréquent et redoutable en histoire. Dans le cas précis, il serait moralement contestable. Contrairement à ce qu’il pense sans doute de lui-même, M. Poutine n’est pas l’aboutissement naturel de la destinée de son peuple. De par sa longévité au pouvoir, sa manière d’agir, sa politique, ses choix, il est bien évident qu’il imprime sa marque sur ce premier quart de siècle et qu’il incarne donc ce qui est voué à devenir un épisode de l’histoire russe. Il ne la résume pas.
L’histoire russe est d’une richesse qui vaut mieux que l’instrumentalisation qu’est en train d’en faire l’actuel maître du Kremlin ». (p. 9)
L'auteur
François Reynaert est journaliste à L’Obs. Il est l’auteur de plusieurs livres destinés au grand public, qui abordent de vastes sujets (La Grande Histoire du Monde) mais toujours dans le but d’expliquer le présent. On avait particulièrement apprécié en 2019 Voyage en Europe qui entreprenait de raconter une histoire inédite de notre continent à travers les étapes d’un Grand Tour des hauts lieux de cette histoire.
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