La Compagnie des Ombres

L'histoire comme dévoilement et supplément d'âme
De
Michel De Jaeghere
Editions Les Belles Lettres - 400 pages
Notre recommandation
4/5

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Thème

Comme autant de "nouvelles", les chapitres se rapportent à des personnages, des événements, des idées ou des lieux qui, chacun à leur manière, ont forgé la civilisation dont nous sommes aujourd'hui les héritiers (notion sur laquelle il insiste). Aussi, ces 69 histoires commencent-elles en Egypte pour se terminer sur l'enseignement de l'Histoire en France. Le tout est articulé en plusieurs parties : "La profondeur des âges" des Pharaons au Haut-Moyen-Age en passant, bien sûr, par la Grèce et Rome ; "L'invention de l'Occident" des Francs et des Capétiens à Henri VIII sans oublier les Incas ; "Grands siècles", ceux de Louis XIV, Louis XVI avec plusieurs évocations de Napoléon ; "La peine des hommes" pour évoquer les  guerres du XXe siècle, y compris celles d'Indochine et d'Algérie ; "L'Histoire persiste et signe" pour approcher au mieux notre époque, les papes récents et les événements porteurs de joie (chute du Mur) ou de crainte (guerre d'Irak). Ces 69 "prises de vues" historiques ont toutes quelque chose à nous enseigner.

Car au-delà des faits ou des portraits, il s'agit surtout de comprendre "ce que les morts nous disent", car ce "dialogue est seul susceptible de répondre aux questions que nous nous posons, parce qu'il nous offre seul de connaître ceux qui nous ont faits ce que nous sommes, dont nous sommes les héritiers, qui ont façonné le monde dans lequel nous vivons".

L'Histoire, grâce à sa distance avec le temps, en nous offrant d'utiles précédents, garantit notre liberté de pensée, alimente notre réflexion et notre discernement. Elle permet de cesser, au moins durant un instant, d'être abreuvé des futilités du présent pour voir ressurgir l'essentiel.  L'Histoire parle à notre âme. 

Voilà en quelques mots résumée la thèse de l'auteur. A l'inverse des historiens actuels, qui préfèrent souvent s'immerger dans les détails de leur période, lui, courageusement, ose résumer des pans entiers de l'histoire de l'Occident en de brillantes synthèses.

Points forts

  • Une fine analyse des causes du "mépris" actuel pour l'Histoire, de la rupture de la transmission, de la fabrique de citoyens "amnésiques, sans perspectives, sans références, sans points de comparaison, livrés sans défense à la tyrannie du présent". Deux chapitres sont essentiels pour partager cette méditation : le premier "Colloque avec les morts" et le dernier "A quoi sert l'histoire ?"
  • Le chapitre le plus troublant ? Peut-être celui intitulé "Devant l'abîme", consacré au discours (en 399) de Synésios devant l'Empereur de Constantinople : les barbares ne sont plus aux frontières ; ces "éléments rebelles à l'assimilation", ils sont là, forment le gros des esclaves, l'essentiel des effectifs de l'armée romaine et occupent des postes à responsabilité au sein de l'Etat. Trop de bienveillance génère finalement l'ingratitude,  voilà ce que démontrait le jeune ambassadeur.
  • Les plus émouvants ? Celui consacré à la lente agonie du jeune Dauphin Louis-Joseph et celui évoquant la dignité de Louis XVI  devant la mort. Mais comment ne pas évoquer aussi le vibrant hommage à Jacqueline de Romilly ? 
  • En historien, avec un incontestable  talent pour le résumé et la synthèse, Michel De Jaeghere n'hésite pas à souligner des paradoxes (un mot employé de multiples fois !), à rectifier des idées toutes faites (sur les Borgia par ex.), à remettre en cause des légendes, à déceler des failles dans ce qui est trop beau pour être entièrement vrai. Bref, à se faire "passeur " pour transmettre, avec le goût de la nuance, le sentiment d'appartenance, l'amour de la terre de nos pères, lequel, "ne peut naître de la diffamation systématique de notre histoire". 
  • En journaliste, avec une grande habileté d'écriture, il alterne l'analyse et l'anecdote. Il sait alimenter le mystère : chacun des chapitres commence de manière impersonnelle (ex : elle avait connu la défaite ; ils avaient paru longtemps condamnés à rester en dehors de l'histoire ; il avait voulu être tout à la fois David et Salomon, etc... ) On ne sait guère avant la dixième ligne de qui il va parler, attisant la curiosité, suscitant ainsi l'envie de poursuivre la lecture.  
  • Retrouver, en un seul volume, quelques uns des brillants éditoriaux parus dans Le Figaro Hors-Série et Le Figaro Histoire, c'est, pour les lecteurs qui les avaient déjà appréciés, un plaisir renouvelé (mais pourquoi l'éditeur a-t-il omis de le dire ?). D'autres chapitres, rédigés spécialement pour cet ouvrage, permettront de découvrir ou de retrouver l'un des meilleurs auteurs actuels en Histoire.  

Quelques réserves

Opérer une sélection parmi trois mille ans d'Histoire, impose quelques impasses... Le XIXe siècle, par exemple, est peu abordé. Mais tout choix n'est-il pas éminemment personnel ?

Encore un mot...

Si l'Histoire exige souvent un effort absorbant, une plongée dans les textes et les documents, une gymnastique d'esprit pour s'adapter à d'autres époques, voici une Histoire méditative  dont la lecture, agréable et aisée, s'avère aussi émouvante qu'enrichissante.

Une phrase

"L'Histoire est un dévoilement. Elle fait lever des ombres venues de la profondeur des âges pour nous faire partager les leçons tirées de la pratique de notre condition".

L'auteur

Michel De Jaeghere assure, depuis plusieurs années, la direction de deux "magazines" prestigieux : Le Figaro Hors-Série (qu'il a créé en 2001) et Le Figaro Histoire (en 2O12), magazines que plus d'un parmi nous conserve précieusement tant ils offrent des textes rédigés par les meilleurs connaisseurs et des images superbes. 

De sa formation classique en histoire et en droit, il a gardé une fascination évidente pour l'Antiquité. Sur la fin de l'Empire romain, auquel il a consacré son gros ouvrage Les Derniers Jours (les Belles Lettres, 2014), il a non seulement lu tous les textes (et ils sont pléthore!) mais visité les lieux, méditant à son tour sur la chute de cette civilisation. 

Mais au-delà de cette période, il se plonge avec autant d'intérêt dans les autres, en France et parfois hors de France. 

Commentaires

Yves Bouëssel …
sam 19/11/2016 - 18:25

Merci Hélène,
Voila une critique pleine de promesses . Va pour l'Histoire méditative...On est très impatient d'aller s'asseoir à la même table.

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