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Thème
Aristophane faisait parler les animaux dans ses pièces, Esope ou La Fontaine dans leurs fables ; c’est dans un “récit“ que Raphaël Enthoven convoque chevaux, ours, orignaux, renards… pour, à l’instar de George Orwell dans sa Ferme des Animaux, livrer son analyse de la démocratie et de l’évolution des sociétés occidentales avancées, –encore- démocratiques.
Krasnaïa, c’est Tchernobyl après l’explosion nucléaire ; les humains sont partis ou ont été réduits en esclavage par les animaux subitement doués de parole et de raison. Ceux-ci ont pris le pouvoir et tenté d’organiser une société démocratique. Evidemment la recherche de la paix sociale et le maintien de l’équilibre entre les animaux requièrent un talent particulier alors que le principal objectif des différentes espèces, carnivores et herbivores par exemple, est de s’entredévorer ; homo homini lupus !
Points forts
Manifestement, Enthoven a pris un plaisir de démiurge à construire son monde animal, ses règles de fonctionnement, sa constitution, ses pratiques sociales et politiques. Le lecteur s’en amuse également, en se livrant au décryptage des analogies, voire à la découverte des clés d’identification des personnages ; ainsi l’ourse Lavka, éternelle candidate à l’“Animat“ (élection présidentielle) pourrait faire penser à certaine femme politique française, quant au jeune loup Mirko, vainqueur du dernier “Animat“…
Plus sérieusement, le livre traite des multiples problématiques qui agitent les sociétés occidentales développées. Entre “victimisme“, repentance, égalitarisme, populisme, la démocratie, comme la liberté, souffrent violence.
C’est que la dictature des minorités les affaiblit graduellement. Enthoven illustre cette plongée de la société dans un chaos de violence et d’hypocrisie par l’assassinat du chat Mechtchat par ces minorités. Ce chat “discuteur“ incarne en effet la raison, la liberté d’expression et de dialogue. An fond la thèse d’Enthoven, c’est que la liberté meurt de la banalité de la liberté et des espaces qu’elle ouvre aux revendications identitaires. Quant aux politiques, ils perdent progressivement le contrôle.
D’inspiration tocquevillienne, la thèse de Raphaël Enthoven est tout sauf optimiste, d’autant que filer la métaphore animaliste lui permet de s’affranchir de toute autocensure.
Quelques réserves
Sans être amphigourique, le texte, philosophique, demande parfois un réel effort de concentration du lecteur. Cela lui est d’autant plus ardu qu’entre les lieux, les personnages animaliers, les partis politiques de Krasnaïa , il a du mal à retrouver son latin. La précaution de l’auteur de placer un glossaire à la fin de l’ouvrage est de ce point de vue une mesure salutaire.
Enfin, il me semble qu’alors que le livre décrit une évolution, il est difficile d’en percevoir exactement la temporalité : est-ce une évolution rapide, lente, que signifie l’espace entre deux éclipses ?
Encore un mot...
C’est brillant, parfois drôle, souvent grinçant, mais Krasnaïa ne laisse guère entrevoir des lendemains qui chantent.
Une phrase
« Un univers s’effondre aisément, quand nul n’est prêt à mourir pour lui. » P. 406
« Quand la mère insista, une oiselle répondit à la place de sa maîtresse que son fils n’était pas non plus le centre du monde, qu’il y avait d’autres victimes à défendre – et qu’elle était d’ailleurs la bienvenue, si elle le souhaitait, à leurs côtés, dans ce combat courageux pour rendre la Sobchtchestva moins injuste. D’autant que Dinia s’était évidemment lancée dans des diatribes sans fin sur le fait que, puisque tant d’albinos étaient donneurs, les animaux étaient fondés à penser que « tous l’étaient », et que les exceptions à cette règle, une fois de plus, en avéraient la pertinence. » P. 213
L'auteur
Normalien, agrégé de philosophie, Raphaël Enthoven est un enfant chéri des médias. Producteur d’émissions, chroniqueur sur France Culture, puis Europe 1, il suscite généralement la polémique par des prises de position qui font frémir de courroux l’establishment de la gauche woke. Il a publié de nombreux ouvrages, notamment pour vulgariser la philosophie. Le récent roman Le Temps gagné, (paru en 2020) relatant son enfance a fait scandale.
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