King Kasaï
Parution en Janvier 2023
150 pages
18,5 €
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Thème
A partir d’un concept à dire vrai assez artificiel (un écrivain passe une nuit dans un musée de son choix) Christophe Boltanski nous entraîne au palais de Tervuren, dans un lieu improbable qui n’a cessé de changer de dénomination : Musée du Congo Belge, puis Musée Royal de l’Afrique Centrale et depuis 2018 Africa Museum, qui se veut officiellement « décolonisé ».
Ce faisant, il nous place au cœur des contradictions de notre époque, car comment exposer aujourd’hui, à l’heure des déboulonnages de statues et de la repentance, ces gigantesques collections, pour l’essentiel produit du pillage d’un territoire qui était – fait unique dans l’histoire – la propriété d’une personne privée, en l’occurrence Léopold II, Roi des Belges, avant de devenir une colonie plus « classique » jusqu’à une indépendance source de nouvelles tragédies ?
Points forts
L’auteur nous dévoile très vite qu’il n’a pas choisi ce lieu au hasard, mais qu’il l’avait déjà visité avant sa fermeture suivie de sa restructuration, et surtout qu’il a réalisé en 2010 au cœur même du Congo un reportage sur les mineurs de métaux précieux, véritables damnés de la terre.
Ceci fait inévitablement écho à l’histoire de la colonisation de ce territoire qui fut la plus violente de toutes, dans des proportions qui défient l’entendement et qui nous sont rappelées dans leurs détails les plus atroces.
Pour autant, le livre n’est pas un réquisitoire ou un pamphlet tiers-mondiste ; il est bien mieux que cela, un texte subtil où les nouveaux responsables du musée ne sont pas ménagés, qui peinent à trouver le ton juste pour évoquer ce pan d’histoire de leur pays et le plus souvent n’y parviennent pas.
Ainsi la présence à la place d’honneur de King Kasaï qui donne son nom au livre et n’est autre qu’un éléphant tué en 1958, naturalisé et maintes fois restauré (ses défenses ne sont pas les siennes !) qui est le symbole de cette impossible évocation d’un passé à la fois source de fierté et de honte mêlées.
Quelques réserves
Il est rare de pouvoir dire : aucune, mais c’est ici le cas et nous sommes en présence d’une vraie réussite.
Encore un mot...
Ce livre montre comment ce qui est au départ un travail de commande devient sous la plume d’un véritable écrivain une œuvre originale, un vrai petit bijou de finesse et d’humanisme, sachant traiter de questions graves mais sans aucune lourdeur et dans un style simple mais non dénué d’élégance.
Il est vrai que ce voyage immobile est placé sous le double patronage d’Hergé, qui trouva dans ce musée l’inspiration de Tintin au Congo, et du grand Joseph Conrad dont Au cœur des ténèbres est emporté par l’auteur comme livre de chevet. L’analyse de l’un comme de l’autre de ces livres est d’une justesse rare.
En peu de mots (ce livre est court) on est plongé dans un sujet passionnant et chaque page nous apprend quelque chose qui nourrira notre réflexion.
Bravo à Christophe Boltanski pour cette performance.
Une phrase
L’incipit nous plonge d’emblée dans l’ambiance :
« Je m’efforce de voyager léger. Lors de ses équipées africaines, Henry Morton Stanley emportait, dit-on, une baignoire, des tapis persans et du champagne. Je me contente d’acheter une bouteille d’eau dans une taverne juste avant qu’elle ne ferme ses portes. En sortant de l’établissement, une odeur de sous-bois et d’ozone me saisit. Je devine, au bout de la place du marché, dans l’obscurité, la masse sombre des arbres qui entourent la ville. Des nuages épais voilent le ciel. Les rues sont déjà vides. Alina Gurdiel, mon éditrice, a insisté pour me tenir compagnie jusqu’à mon départ. Avant de regagner son hôtel, elle s’est tournée vers moi, l’air inquiet. « Allez, courage, tout va bien se passer », m’a-t-elle déclaré, comme si j’entreprenais une expédition dans un pays lointain. » (p. 9)
L'auteur
Christophe Boltanski est journaliste (longtemps au Nouvel Obs, correspondant de guerre et aujourd’hui rédacteur en chef de la revue XXI) et romancier (La Cache, Prix Fémina 2015).
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