JOURNAL DE GUERRE Londres-Paris-Vichy 1939-1943
1040 p - 27€
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Thème
A Londres, à Paris, puis à Vichy surtout, de 1939 à 1943, l’écrivain diplomate tient son journal jour après jour, d’heure en heure quasiment, de dîners mondains en conciliabules secrets, de réunions interministérielles en missions de confiance depuis la déclaration de guerre jusqu’à la Libération. Ceci est le Tome 1, qui va jusqu’en août 1943.
Observateur privilégié, sinon acteur, des réalités de la collaboration d’Etat car il fut 16 mois durant chargé de mission au cabinet de Pierre Laval, chef du gouvernement, l’auteur est en quelque sorte le maître de cérémonie en mal de confidences à l’intention d’un lecteur effaré.
Au milieu d’un étonnant ballet d’intrigants, de membres de gouvernements et de ministres plénipotentiaires, officie l’inquiétant et séduisant tout à la fois Pierre Laval, qui a, apparemment, toute la sympathie de l’auteur… et la confiance du Reich ! Morand occupe un rôle d’influence certes, mais non stratégique. Homme de l’ombre, il est plus ou moins le responsable de la communication et, en fait, le grand inquisiteur de la censure avec un œil sur la diplomatie car il ambitionne, poussé par sa femme Hélène, d’être nommé ambassadeur. Il visait Lisbonne, il aura Bucarest, juste avant la débandade de 1944. On le retrouvera encore ambassadeur à Berne à la Libération (mais pas pour longtemps)
Ainsi, jour après jour, pendant seize mois, on croise les hiérarques du régime qui évoluent sous la houlette d’un Pierre Laval, très à l’aise : Bousquet, Darquier de Pellepoix, Weygand, Pucheu, Monsieur de Brinon et Madame (très en cour auprès du Maréchal), René de Chambrun et quantité de sous-ministres et d’affidés du régime nazi. Nombre d’intellectuels obligés ou simples relations en affinité avec l’auteur fréquentent également l’incontournable popote de l’Hôtel du Parc : Giraudoux, Cocteau, Benoist-Méchin, Fabre Luce, Le Roy Ladurie, Jacques de Lacretelle ou l’énigmatique Jean Jardin, pour ne citer qu’eux. Le tout Paris défile à Vichy. Comme l’écrit Morand : « Pour réussir à Vichy il faut habiter Paris ». Même si la nourriture y est exécrable, c’est là que ça se passe, en toute convivialité. Morand, fort de son aura, se fait l’habile et complaisant chroniqueur non dénué d’humour de ces heures indignes.
Points forts
Le style. Même télégraphique, même journalistique comme il se doit, il reste littéraire avec ses formules élégantes, ses images fortes et une concision percutante. Morand a l’art du portrait croqué du dehors comme du dedans, jusqu’à éclairer les noirceurs de l’âme de certains et souligner la vacuité des autres. La plume de l’auteur de l’Homme Pressé va très vite, à l’essentiel, à mots couverts ou à fleuret moucheté, au rasoir ou au vitriol : « Tout ce monde se hait, se bat, se soupçonne, s’accuse, se dénonce de plus en plus » (6 octobre 1941).
Le témoignage historique. Le modèle de notre chroniqueur-artiste c’est Pierre Laval. Touche après touche et jour après jour, on découvrira (et comprendra peut-être) les traits tortueux de la psychologie de cette personnalité si controversée évoqués dans ces quelques 600 pages (sur 940, hors annexes et index, remarquables). Le « Président » Laval, l’auvergnat roué, l’ancien ministre de la 3ème république est proche des Morand, et notamment d’Hélène, princesse Stouko, depuis les années 30. Paul Morand écrira d’ailleurs un opuscule flagorneur intitulé Qui est Pierre Laval ? On comprendra mieux aussi la déflagration qui ébranla la société civile et militaire lors des deux « batailles » navales détruisant, l’arme au pied, la flotte française impuissante. On appréciera, d’un autre côté, les enjeux et rivalités qui avivent les tensions entre les alliés eux-mêmes ou l’hostilité assez généralisée toutes tendances confondues, à part les juifs, envers le général de Gaulle. Un exemple, du côté des Américains qui louvoient : « Les Américains trouvent habile vis-à-vis des Français de se dissocier des Anglais, de dire : «Ah que ces Anglais sont donc bêtes et lents » !
Enfin, toute la lumière est faite sur le rôle de Vichy dans l’élimination du peuple juif sur le sol français : Paul Morand, antisémite notoire et de longue date, n’a de cesse de justifier les déportations et la collaboration avec le régime nazi. Le gouvernement de Laval « savait », bien entendu, et, pire, considérait que la solution finale était l’aboutissement logique de mesures de salut public : « L’alignement du problème juif français sur le problème juif allemand ne nous coûte rien et n’a que des avantages. Le sol seul compte. » (P. Laval, 15 août 1942).
Encore un mot...
Un témoignage capital sur une des périodes les plus sombres de notre histoire.
Les mémoires «vivantes» et sans fard d’un familier du personnage central de l’Etat français pendant l’Occupation, le premier ministre Pierre Laval, surnommé le Président, un acteur clé de la collaboration, tant le Président- maréchal, Philippe Pétain, règne mais ne gouverne pas. Un journal qui se lit comme un roman tourbillonnant d’anecdotes en anecdotes, se regarde comme une pièce de théâtre ou plutôt un guignol peuplé de marionnettes. Il s’agit vraiment d’un journal livré à l’état brut, sans retouches ni ratures, parfait reflet de ce monde d’écrivains et d’intellectuels réactionnaires qui, des deux côtés de la Manche, fleurit sur fond d’antisémitisme, d’attirance pour le fascisme, seul rempart à leurs yeux contre le bolchevisme qui gangrène l’Europe. C’est seulement en 1970 que Paul Morand remet aux archives nationales le manuscrit de ce journal de guerre, que l’on nous dévoile aujourd’hui, avec cette mention : « A ne divulguer sous aucun prétexte avant 2000 ! ». Édifiant.
Une phrase
29 novembre 1942 « Platon (l’Amiral, secrétaire d’état aux armées et à la police) essaye de faire passer une loi punissant de 3 ans l’adultère avec une femme de prisonnier - Moi je m’en fiche de la morale ! dit Laval. Je m’intéresse aux cochons (on parlait ravitaillement). A quoi Platon répond que la loi ne vise que l’abandon de foyer et d’enfants.
-Jusqu’à onze heures du soir, les femmes font ce qu’elles veulent, tranche Laval
-Mais les prisonniers exigent cette loi, insiste l’amiral »
20 novembre 42
Laval et Morand parlent pâturages en montagne
« Je dis à Laval que je viens d’en acheter un
-Combien ? demande Laval
-74 ha !
-Mais non, combien l’avez-vous payé ?
-360 000 (francs)
-Vous avez fait une affaire d’or, c’est moi qui vous le dit (Laval est à la fois fier de son pays et furieux), c’est un prix de 1938, ce n’est pas possible. Vous êtes un vicieux. Il doit y avoir quelque chose la dessous
-Je vous assure, ce n’est pas un bien juif
-Il n’y en a pas en Auvergne, répond Laval à Morand, fièrement »
L'auteur
Paul Morand (1888-1976) embrasse très jeune la carrière diplomatique. D’un milieu très aisé, artistique, mondain, politique également (son père est directeur de l’école nationale des Arts Déco, son oncle Combarieu est directeur de cabinet du Président de la République), il fréquente très vite Proust, Cocteau (ses parrains en littérature), et Giraudoux qui fut son précepteur préfacera ses premières œuvres ; il est reçu premier au concours du Quai d’Orsay mais, malgré quelques missions diplomatiques prestigieuses avant la guerre (Londres, Rome..), il se consacrera vite à la littérature (directeur de collection chez Gallimard) ou au journalisme (Le Figaro). Pendant l’Occupation il sera Ambassadeur de France en Roumanie puis en Suisse. Ses premières œuvres relèvent d’abord de la poésie puis des nouvelles, du roman, des récits de voyages, des portraits de villes ; sa correspondance est extrêmement riche et se fait vite remarquer par son style concis, vif, décapant, qui est la marque de fabrique du mouvement littéraire des années 50/60, les Hussards, qu’il anime avec Jacques Chardonne, Michel Déon, Roger Nimier. Michel Déon témoigne : « Morand est tout entier dans ses lettres, cet incomparable épistolier offre une fulgurante vision sur la politique, les mœurs, l’histoire ou les élans du cœur ».
Côté littérature, citons, parmi 80 ouvrages, bien sûr L’Homme Pressé (1941), Flèche d’Orient, le Flagellant de Séville, Fouquet ou le Soleil offusqué, le nouveau Londres. Barré à cause de ses opinions politiques collaborationnistes et de fortes inimitiés, il sera finalement élu à l’Académie française en 1968.
Sur Culture Tops, lire aussi la chronique de Yann Kerlau mon plaisir et la chronique sur la biographie de Paul Morand par Pauline Dreyfus : Immortel enfin
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