José Giovanni, histoire d’une rédemption
Parution le 16 janvier 2024
222 pages
22 €
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Thème
C’est avec un suspens extraordinaire et le talent consommé qu’on lui connaît comme biographe *, que Gilles Antonowicz nous livre la vie de José Giovanni.
Et quelle vie !
Ou plutôt quelles vies !
La première est celle de Joseph Damiani, enfant d’une famille aisée puis adolescent passionné d’alpinisme à Chamonix.
Contre toute attente, à la faveur de la période troublée de l’Occupation et sous la double influence d’un oncle mafieux corse et d’un frère gangster, ce Damiani devient un voyou de la pire espèce jusqu’à être condamné à mort pour un double meurtre qu’il n’a pas commis mais dans les circonstances duquel il était partie prenante.
Après grâce présidentielle et libération, la chrysalide devient José Giovanni.
C’est l’auteur bien connu de romans et de films à succès tous inspirés par sa vie de mauvais garçon, comme le formidable Le trou, histoire d’une évasion par les sous-sols de la prison, réalisé par Jacques Becker.
On n’oubliera jamais non plus l'extraordinaire Les grandes gueules de Robert Enrico, qui conte avec une force rare l’histoire de ce qui aurait pu être, déjà, une rédemption.
Ami intime de Lino Ventura, José Giovanni l’a fait tourner dans de nombreux films qui nous laissent des souvenirs impérissables, films réalisés par lui ou adaptés de ses romans par (excusez du peu !) Jacques Becker, Jean-Pierre Melville, Robert Enrico, et en compagnie d’acteurs, rien moins que Bourvil, Jean Gabin, Jean-Paul Belmondo, Alain Delon, Marlène Jobert, André Dussollier, Michel Constantin, etc…
Entre-temps, José Giovanni, méritant tout particulièrement le sous-titre du livre - histoire d’une rédemption - se sera battu pour que la prison ne soit plus un pourrissoir mais qu’elle donne sa chance à ceux qui veulent la prendre. Dans un journal créé en prison - il y signe ses articles L’Autre, c’est tout dire ! - et ensuite par des conférences dans les maisons d’arrêt, prenant appui sur ses romans et ses films, il est venu dire aux détenus : si vous voulez, vous pouvez.
José Giovanni apprendra cependant quelques années avant sa mort que la société civile n’accepte pas vraiment les rédemptions et, en toute injustice, il sera rattrapé par son passé.
Points forts
Gilles Antonowicz raconte le procès de Damiani d’une manière tellement documentée et avec un tel talent de conteur qu’on a l’impression d’y être ; on voit pleurer les deux femmes jurées, on espère jusqu’au bout que la mort ne sera pas prononcée, on oublie les mauvaises actions et l’on ne voit que le courage du résistant que Damiani, après la Collaboration pour échapper au STO, a été aussi à la fin de la guerre ; on est porté enfin par la jeunesse de Stéphen Hecquet, l’avocat de Damiani. " Nos deux jeunesses réunies conjureront le mauvais sort " lui avait-il promis…
Au delà aussi du fantastique personnage principal de cette biographie, on retient ceux, très attachants, du jeune éducateur et de l’assistante sociale qui, à la centrale de Melun, ont cru, avec un courage exemplaire et contre tout le système, à la possibilité de la rédemption et en sont donc, indiscutablement, les artisans.
L’auteur nous les fait vivre avec une sorte de tendresse comme celle qu’il a pour Me Stéphen Hecquet qui, après la condamnation à mort, se bat pour la réhabilitation et participe, lui aussi, à cette rédemption exemplaire. A son tour, d’ailleurs, il devient un écrivain original et talentueux.
Ne pas oublier non plus Joe, le père plutôt raté de José, personnage falot et margoulin à la petite semaine, avec sa fidélité, sa foi et le soutien qu’il apporte sans faille à son fils tout au long de ses visites régulières au quartier des condamnés à mort et à la centrale.
Le livre fourmille de détails et de citations passionnantes et présente de nombreux documents d’époque dont un in-quarto en couleurs des belles affiches des films les plus connus.
Quelques réserves
Aucune pour le livre, passionnant de bout en bout, mais peut-être une à Giovanni, lui - même, qui, en s’intéressant dans sa retraite au général suisse Guisan, a fait ressortir son passé pour son plus grand malheur.
Encore un mot...
La vie exemplaire d’un homme passé des pires vilenies à la notoriété d’un auteur et d’un réalisateur de romans et de films à grand succès, fréquentant les plus grands, ami intime de Lino Ventura, conjuguant dans ses vies antagonistes les qualités de courage, d’abnégation, de frugalité et d’humanité apprises dès l’adolescence au cœur des plus hauts sommets de Chamonix.
Une phrase
" Il rentre en France après avoir terminé ses repérages. Dès son arrivée, il se précipite chez Ventura. « Je transporte mon enthousiasme chez Lino, écrit -il. Pourtant, le regard que je croise est celui de l’ami qui a quelque chose à me dire et ne me le dit pas. " J’ai reçu un truc que j’ai déjà oublié ", commence-t-il. Devant mes yeux surgit une feuille administrative. J’ai à peine le temps de réaliser qu’il s’agit d’un casier judiciaire, le mien en l’occurrence, qu’il l’a déjà déchiré en morceaux grands comme son ongle. Il ajoute " qu’il y a longtemps qu’il me regarde vivre… Qu’il me connaît… Et que ce torchon ne changera rien, jamais rien…" » Page 185
L'auteur
Gilles Antonowicz, avocat honoraire, est notamment l’auteur des Procès historiques de Maurice Garçon (Les Belles-Lettres 2019), des Procès historiques de Jacques Isorni (Les Belles Lettres, 2021) et d’un remarquable « beau-livre » préfacé par François Sureau, Maurice Garçon, artiste (Seghers, 2021).
Il a publié aussi en 2022 aux belles lettres La fabrique des innocents, l’histoire du meurtre d’un garde chasse qui a défrayé la chronique tout au long du vingtième siècle au fil des nombreuses demandes de révision d’un procès ayant, à plusieurs reprises, condamné deux chasseurs (Raymond Mis et Gabriel Thiennot ) qui ont clamé ensuite leur innocence par medias interposés , une partie de la procédure venant en janvier 2024 d’être annulée ce qui ouvre la voie à une éventuelle révision et nous promet un nouveau siècle de débats…
Gilles Antonowicz a compté parmi les chroniqueurs de Culture Tops entre 2019 et 2021.
* voir celles des avocats Jacques Isorni ( Défendre ! Jacques Isorni, l’avocat de tous les combats, Marges de manœuvre, 2016 ) et Maurice Garçon ( Maurice Garçon, artiste, préface de François Sureau, Seghers, 2021 ), ainsi que celle du ministre de l’Intérieur de Vichy de juillet 1941 à avril 1942, Pierre Pucheu ( L’énigme Pierre Pucheu, Éditions Nouveau Monde, 2018)
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