InQarcéré
Quand on dit Qatar on pense souvent PSG. Mais il y a aussi l'autre versant, celui d'un régime capable, à l'occasion, d'être d'un despotisme pas du tout éclairé.
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Thème
Un récit biographique rédigé durant les 5 années (1744 jours) où l'auteur, hommes d'affaires, diplômé, écrivain, enseignant, s'est trouvé emprisonné -sans procès- dans une geôle de Doha, capitale du Qatar (d'où le titre avec un Q au lieu d'un C). Pour quelles raisons ? à cause d'une disposition légale de cet Etat qui impose à tout homme d'affaires étranger de s'allier avec un partenaire local. Et lorsque ce "sponsor" dilapide les biens de la société, comme ce fut le cas, l'étranger spolié, tenu pour coupable, est jeté en prison au milieu d' assassins, de violeurs, de "barbus", tous "loups prédateurs".
Privé de tout, agressé quotidiennement, naviguant entre les trafics, Jean-Pierre Marongiu réussit à survivre dans cet enfer d'une violence inouïe où l'on découvre l'abomination humaine mais aussi la force intérieure d'un homme abandonné de l'Etat français -peu pressé de s'embarrasser de difficultés avec le Qatar-, soutenu seulement par l'amour de sa famille, quelques amis et surtout sa rage de vivre.
Points forts
- Un style parfaitement en adéquation avec le sujet : violent, lapidaire, incisif, alternant bouffées de colère et indignation avec crises de découragement et d'épuisement. L'écriture est un exutoire. Il rédige sur des petits cahiers qui miraculeusement échapperont à ses geôliers.
- Une description détaillée du vécu quotidien, terrible, mais surtout une plongée dans les ressorts intérieurs qui permettent de conserver la dignité. Où se niche-t-elle ? Où puiser sa force ? Une grande part de l'intérêt de ce récit est de faire comprendre "ce qui fait tenir".
- Des portraits des compagnons de calvaire sans complaisance mais sans haine non plus.
- La découverte d'un côté très sombre de cet Etat de la Péninsule arabique qui préfère montrer ses gratte-ciels en laissant pourrir les nombreux migrants de toutes nationalités (Pakistanais, Syriens, Marocains, Philippins, Kosovars, Indiens...), mus par le rêve, vite transformé en cauchemar, de trouver du travail. Les esclaves modernes.
- Et enfin, la libération incertaine jusqu'au dernier moment, les retrouvailles familiales, et toujours l'énergie et le courage de témoigner.
Quelques réserves
- Il faut attendre la page 50, le chapitre 5, pour que Jean-Pierre Marongiu explique l'enchaînement des faits qui l'ont conduit à être incarcéré, le fonctionnement de la "justice" qatarienne, l'atermoiement de la diplomatie française... C'est un choix rédactionnel compréhensible mais le lecteur ne peut s'empêcher de se poser des questions : il clame son innocence mais l'est-il réellement ? Ses "affaires" étaient-elles aussi claires qu'il le jure ? On finit heureusement par être convaincus.
Encore un mot...
On ne sort pas indemne de la lecture de ce livre-choc, récit bouleversant qui se lit d'une traite et qui comptera parmi ceux que l'on n'est pas prêt d'oublier.
Une phrase
Ou plutôt deux:
- "InQarcéré ne sera pas le journal quotidien de l'innocence emprisonnée, pas davantage l'éphéméride vers un dénouement dont je n'entrevois, entre espoirs et désillusion ni les contours ni la finalité. Je décrirai aussi longtemps que je le pourrai, les étapes de mon combat pour préserver mon identité, ma culture, mes différences et plus important encore, ma dignité."
- "Ecrire tous les jours, écrire pour exister, écrire pour résister, écrire pour aimer, écrire pour être fort, écrire pour ne pas devenir fou ou pire, pour ne pas perdre mon identité"...
L'auteur
Entrepreneur français, arrivé au Qatar en juillet 2005, Jean-Pierre Marongiu y vivra avec sa famille jusqu'en 2012, date de leur expulsion de la villa qu'ils habitaient avec interdiction de sortie du territoire. Ses enfants et son épouse réussiront à rentrer en France (moyennant un pot de vin). Lui, malgré de nombreuses tentatives, dont une évasion par la mer en kayak, ne parvient pas à quitter le Qatar. En septembre 2013, il est incarcéré dans l'annexe de Mulaq à la prison centrale de Doha. Il restera jusqu'au 5 juillet 2018.
Jean-Pierre Marongiu a publié aux Editions Nouveaux Auteurs, deux romans policiers Le châtiment des élites ; Le vent ne change jamais de direction, ce sont les hommes qui, parfois, lui tournent le dos et un témoignage Quaptif (en 2014, première année de son emprisonnement).
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