IA : Grand remplacement ou complémentarité ?

Le tsunami de l'IA passé au crible !
De
Luc Ferry
L'Observatoire
Parution en Janvier 2025
336 pages
23 €
Notre recommandation
3/5

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Thème

Paris a accueilli au début du mois de février 2025 le "Sommet pour l'action sur l'intelligence artificielle", faisant du Grand Palais le lieu de rencontre des spécialistes du monde entier. Deux lettres, IA, pour des promesses et des craintes immenses - pour faire mieux que l'intelligence humaine, pour faire plus vite, à la place, au détriment de l'homme… 

Le professeur Luc Ferry, philosophe et ancien ministre, s'intéresse à la question depuis le début des années 2010, en a étudié les caractéristiques, les évolutions, et rencontré ses plus grands experts, beaucoup Outre-atlantique, mais aussi en France et en Europe. 

Dans cet essai très documenté, il instruit les deux questions que pose son développement exponentiel : l'Intelligence artificielle peut-elle remplacer l'homme jusqu'à menacer son essence ou son existence, peut-elle être au contraire une formidable opportunité d'accompagner l'intelligence humaine et de la rendre plus fertile, plus efficace, plus universelle ?

Le chemin qu'il propose au lecteur se synthétise en sept étapes qui sont autant de questions, de réponses ou d'esquisses de réponses : 

  • Comment expliquer que l'IA atteigne des performances que personne n'avait prévues ?
  • Est-elle capable de créativité, en médecine, en sciences, dans les arts et les lettres ?
  • Va-t-elle conduire à la fin du travail salarié, de l'enseignement scolaire, avec quelles conséquences ?
  • Faut-il la réguler ou la laisser progresser sans contraintes ?
  • L'IA va-t-elle arriver à doter les machines de conscience et d'émotion (ce qui fait le propre de l'homme) ?
  • L'IA, comme certains semblent le souhaiter, peut-elle rendre "immortel" ? 

Enfin, quelles conclusions tirer de ces évolutions pour l'avenir ?           

Points forts

Cet essai, écrit par un philosophe qui se dit volontiers technophile, est simple et clair dans son raisonnement, dans l'énoncé des faits, des acteurs, des progrès de l'IA et de ses effets actuels, futurs, réels ou supposés. 

Il apporte donc beaucoup d'informations très accessibles sur ce qu'est l'IA aujourd'hui, et que l'on pourrait résumer à trois "champs" : 

  • l'IA "faible", qui a des capacités de calcul et transformation de contenus ou d'exécution de tâches égales ou supérieures à l'homme, en rapidité et précision d'exécution en particulier.
  • l'IA générative, qui développe des capacités de calcul, de raisonnement, de synthèse, de création, d'interprétation manifestement supérieures à l'intelligence humaine.
  • L'IA forte ou AGI - Intelligence artificielle générale, dont on dit aujourd'hui qu'elle sera - ou serait - en tout point supérieure à l'homme, capable d'acquérir conscience et émotion, au point de - si l'on est catastrophiste - chercher à s'affranchir de l'homme. 

Ces questions complexes et très bien documentées sont agrémentées d'un clin d'œil que nous offre Luc Ferry, par la propre réponse de moteurs d'intelligence artificielle du niveau de CHAT GPT 4, un des plus évolué à l'heure de la publication de cet essai. 

L'essai propose de nombreuses citations d'auteurs et de chercheurs, des promoteurs de ces nouvelles technologies, qui ont pour noms Sora ou Vidu (générateurs de vidéos), des LLM (Large Langage Models) comme Gemini (le futur moteur mis au point chez Google), Llama 3 de chez Meta, Grok d'Elon Musk, Claude 3 d'Anthropic ou GPT-42 d'Ope-nAI, sans oublier les IA génératives d'images comme Dall-E, Midjourney ou Stable Diffusion, pour ne citer que les plus connues. 

Parmi d'autres centres d'intérêt, j'ai apprécié les chapitres qui évoquent la différence entre transhumanisme qui vise à transformer ou combattre en particulier tout ce qui altère le fonctionnement de la biologie humaine et le posthumanisme, fantasme des dirigeants libertariens des sociétés leaders sur l'IA, qui veulent en faire le vecteur d'une nouvelle humanité qui (bien qu'ils ne le disent pas comme cela), asservirait l'humain à l'intelligence supérieure des super ordinateurs !

Et plus drôle, si l'on veut, on y découvre que les programmeurs injectent dans les moteurs d'IA des données propres à leur culture, wokiste diraient certains, qui travestissent des textes ou des images de contenus pour le moins improbables. Cela s'appelle pudiquement, les "hallucinations de l'IA"…

Quelques réserves

Pour une personne normalement constituée, on peut prendre le risque de dire que 70 % de l'essai est accessible et passionnant. Pour les 30% restants, on pourrait dire qu'ils sont réservés à un lectorat expert, qui sera passionné par les définitions et les analyses comparatives des fondements philosophiques de la conscience à travers les âges, sur les modèles classiques et les modèles disrupteurs plus récents inspirés de Spinoza. L'exégèse des caractéristiques spécifiquement humaines, biologiques et mécaniques de l'intelligence humaine, et par conséquent, des possibilités de sa reproductibilité, de son unicité ou de son dépassement est passionnante mais d'une érudition telle qu'elle risque de vous faire décrocher des deux derniers chapitres, ce qui fut mon cas ! 

Encore un mot...

Si le dernier tiers de l'ouvrage est effectivement très ardu pour un lecteur moyen, ce nouvel essai de Luc Ferry est tout à fait bien écrit, accessible, extrêmement bien documenté et argumenté, pour délivrer - on n'en sera pas surpris - un message plein de bon sens et de retenue. Non, à priori, le grand remplacement est plus affaire de fantasme que de probabilité. Oui la complémentarité avec l'homme est évidente, et les exemples en sont donnés tous les jours davantage, dans le diagnostic médical, dans l'observation de la Terre, dans la communication… Oui il faut anticiper les usages délétères d'une intelligence informatique qui sait déjà travestir la réalité dont les Deep fake font la Une de l'actualité ;  des précautions éthiques, juridiques sont à prendre pour "séparer le bon grain de l'ivraie". N'en déplaise à Elon Musk et quelques autres, l'ultra libéralisme dans le développement de ces nouvelles technologies de l'intelligence a des limites que cet essai expose de façon claire et utile. 

Une phrase

  • "Le plus sidérant, c'est que les IA génératives sont - du moins si on sait les interroger à l'aide de prompts bien ajustés, mais c'est d'ores et déjà un métier à soi seul, celui des « ingénieurs prompteurs » - capables d'expliquer leurs « hallucinations », mais aussi de justifier au moins en partie leurs raisonnements comme le ferait un être humain intelligent.    
    En agriculture, l'IA offre des retombées quasiment infinies, non seulement bien sûr dans le domaine des biotechnologies et de la conception des OGM, mais tout autant dans le réglage des machines-outils, la détection et le suivi des animaux malades, l'alimentation des cultures en serre, le calcul au plus juste de l'épandage des phytosanitaires, la pollinisation, etc. Certains spécialistes estiment que seule l'IA pourra rendre l'agriculture écologique, l'IA permettant par exemple d'utiliser « entre vingt et cinquante fois moins de pesticides ». P 33

  • "Comme l'écrit Laurent Alexandre, que je cite ici parce qu'il exprime de manière simple et limpide l'idéologie posthumaniste des chercheurs en IA qui se réclament de l'idéologie e/acc [l'accélérationnisme efficace, un mouvement philosophique utopiste qui vise à accélérer le développement des IA Fortes] l'immortalité biologique (celle que visent "seulement" les transhumanistes) est une perspective incertaine et lointaine. C'est la raison pour laquelle les magnats de L'IA (les posthumanistes) s'intéressent en parallèle à l'immortalité numérique .... Ray Kurzweil (le patron de la recherche chez Google) est persuadé que l'on pourra transférer intégralement notre mémoire et notre conscience dans des microprocesseurs dès 2045, ce qui permettra à notre esprit de survivre à notre mort biologique. Depuis 2016, Sam Altman (le créateur de ChatGPT) est volontaire pour que son cerveau soit transféré sur un disque dur à sa mort ».
    Comme le précise encore Laurent Alexandre, « les posthumanistes souhaitent carrément que l'homme abandonne son corps et fusionne avec les machines en téléchargeant son cerveau dans des composants électroniques de sorte que toutes les limitations de notre corps disparaîtraient [...]. Aux yeux des posthumanistes, qui militent pour l'abandon du corps, devenir une intelligence purement virtuelle [...] permettrait de voyager à la vitesse de la lumière, de copier sa conscience en de multiples endroits et de transférer les savoirs à un débit considérable par rapport au cerveau biologique " […] P 231

L'auteur

Luc Ferry, agrégé de philosophie, fut Ministre de la Jeunesse, de l'Education Nationale et de la Recherche, de 2002 à 2004. Professeur de philosophie et de sciences politiques, il est avant tout essayiste, éditorialiste, ancien dirigeant du Conseil d'analyse de la Société, du Comité de réflexion sur la modernisation des institutions, auteur traduit dans une quarantaine de langues, lointain parent du Ministre éponyme. Luc Ferry est surtout un philosophe qui a su faire des questions de vie "heureuse", d'amour, d'éducation,  de famille, de "révolutions" technologiques des sujets accessibles au plus grand nombre. On le sait moins, il a aussi enregistré de nombreux livres-audio - un autre moyen pour vulgariser la démarche philosophique. Il est aussi le concepteur de La Sagesse des mythes, une série de bande dessinée sur les mythologies grecque et mésopotamienne, scénarisée par Clotilde Bruneau et publiée depuis 2016 par Glénat.

Quelques uns de ses ouvrages sont présentés sur Culture-Tops :

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