Histoire navale de la Seconde guerre mondiale
Perrin Editeur, 19 janvier 2021 - 833 pages - 29 €
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Thème
Winston Churchill a toujours dit et écrit que la guerre avait été « gagnée en mer et non sur terre », et il a raison. Le regard global et transversal qu’offre le travail de Craig L. Symonds nous en donne la preuve absolue.
Le 1er Septembre 1939, l’invasion de la Pologne par le Reich allemand déclenche la guerre en Europe. Mais, en fait, jusqu’en mai 1940, le conflit peut paraître mineur et circonscrit. Sauf en mer où les hostilités ont déjà envahi les flots.
Après avoir brossé le tableau de l’ambiance politique, diplomatique et militaire des différents protagonistes, ainsi que l’état de leurs Marines respectives depuis la Conférence de Londres de 1930, l’auteur «embarque» le lecteur dans ce qui fut et reste le plus sidérant cataclysme humain de tous les temps. Si le conflit fut horrible et terrifiant sur terre par son amplitude et sa barbarie, il le fut bien plus en mer, par son caractère sans échappatoire, sa violence instantanée et son implacable évolution.
La première partie est strictement européenne, et nous plonge dans les « invisibles » affrontements en mer du début des hostilités. En fait, il y a deux unités maritimes : celle de surface et celle sous-marine, la première étant réduite à l’impuissance si elle ne bénéficie pas d’une « couverture » aérienne. On est tout de suite dans l’action : Le 15 octobre 39, sûr de son invincibilité, le U-boat 47 commandé par Gunther Prien viole l’enceinte protégée de la Royal Navy à Scapa flow( nord de l’Ecosse), et torpille les unités en relâche. C’est un triomphe. La réplique britannique -malgré des pertes importantes- ne se fait pas attendre, avec les odyssées malheureuses du Graf Spee, du Deutschland, la poursuite du gigantesque cuirassé Bismarck, coulé finalement en Manche le 27 Mai 41 (chap.7 page 189 et s.). L’affaire de Norvège puis la chute de la France étendent et compliquent un conflit que les Britanniques affrontent seuls pendant plus d’un an, avec en sous-main l’aide matérielle nord-américaine.
La deuxième partie (p.221 à 357) explique « Pourquoi Pearl Harbour ?», l’attaque prévisible, tant du côté japonais qu’américain. Tous les protagonistes, leurs caractères, les unités dont on dispose, sont là : En décembre 1941, le conflit change de dimension : L’océan Pacifique devient le théâtre d’un conflit acharné, terrifiant, qui durera 4 ans. La réplique américaine s’organise à partir de la bataille de Midway du 3 au 5 Juin 1942 décrite heure par heure, et même minute par minute, puisque le torpillage décisif eut lieu entre 10h22 et 10h28 contre trois des six porte-avions nippons anéantissant de cette manière tout espoir de victoire. A partir de là, les Américains surent qu’ils vaincront. La bataille pour la maîtrise de Guadalcanal dure plus de 6 mois, subdivisée en plusieurs épisodes maritimes d’une violence inouïe. Puis la remontée des « échelons » des îles Salomon prend plus d’une année. Pendant tout ce temps les améliorations techniques, technologiques et matérielles furent légions, ainsi que la capacité de leur production. US Navy prit l’aspect d’une Invincible Armada que l’Empire japonais ne put contenir.
Les troisième et quatrième parties décrivent « le tournant décisif » du début 1943, avec le rôle grandissant de l’US Army, la reconquête de la Méditerranée après le débarquement en Afrique du Nord, les conflits assez sordides entre les autorités, le calvaire de l'île de Malte, la conquête de la Sicile, la tragédie italienne et l’anéantissement de la Regia Marina, la guerre menée sur deux océans, l’Atlantique et le Pacifique. Les parallèles sont fascinants : les reconquêtes des îlots pacifiques se produisent au moment de la reddition de Stalingrad et de la bataille de Koursk sur le front russe ; Iwo Jima, tellement cruelle, se situe en même temps que la bataille des Ardennes.
Points forts
Ce récit a trois qualités :
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L’auteur a opté pour une stricte narration chronologique : le lecteur baguenaude sur mers et océans, les différents théâtres d’affrontements, et en cela, se rend très bien compte de l’immensité du chantier.
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En second lieu, le récit est extraordinairement vivant, avec le portrait toujours aigu (et pas toujours bienveillant) des principaux acteurs, de leurs manies, leurs erreurs éventuelles, leurs coups de chance, leurs amitiés et inimitiés, les affrontements entre Raeder et Dönitz pour le Reich, entre Mac Arthur et Nimitz, l’ambiguïté des leaders japonais, la mise sur la touche de de Gaulle, les déceptions de Churchill une fois les Américains convaincus de leur supériorité.
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Enfin, l’aspect matériel, le trafic indispensable sur l’Atlantique et la Mer du Nord, l’incroyable périple du pétrole américain vers Suez tant que la Méditerranée reste inaccessible, l’importance de Mourmansk pour les Russes, de la Norvège et de la Baltique où le redoutable Tirpitz périra sans avoir jamais servi, les bombardements sans retour, le saccage de la mer (le début de sa pollution aux hydrocarbures), la mort anonyme de tant de jeunes hommes dans le silence des flots et le bruit insensé des explosions.
Un grand bravo au traducteur, Johan Frédérik Hel Guedj, qui manie avec brio tous les jargons maritimes du monde entier.
Quelques réserves
Sans doute, pour aller au bout de ce pavé terrifiant, il faut beaucoup aimer les bateaux, la mer et...la guerre.
Encore un mot...
On y découvre (dans la belle et brève postface, p. 825) que les Alliés ont fini par vaincre pour 3 raisons : l’incroyable obstination des Britanniques menés par leur insubmersible Premier Ministre, la résilience de l’Armée Rouge qui n’a jamais cédé d’un pouce une fois le front stabilisé, enfin la supériorité navale alliée, elle-même produite par les ressources matérielles nord américaines et toutes les innovations techniques conjointes du radar au décryptage, des avions aux motorisations, des torpilles aux rations alimentaires sous vide, qui ont délivré le monde et induit une civilisation nouvelle.On y voit aussi un paradoxe : la guerre navale ne s’est pas limitée à la mer : en fait, elle s’est déroulée « sous l’eau » et « au dessus de l’eau » avec des moyens qui, entre 1939 et 1945, ont constamment progressé et que ni Horatio Nelson, ni Jean Bart n’auraient pu imaginer.
Une phrase
(Norvège, p. 89) Bien avant l’aube du 10 Avril, sous d’épaisses chutes de neige, Warburton-Lee conduisit ses cinq petits destroyers dans l'Ofit fjord...Ils se faufilèrent dans le port à une allure de 5 nœuds, à 4h30 en passant pratiquement inaperçus. Cinq destroyers allemands étaient au mouillage... »
(Ch.21, p. 615) Douglas Mac Arthur semblait en permanence convaincu d’être un personnage historique, même en privé, comme s’il déclamait sur une scène, ponctuant ses propos de gestes théâtraux,...rejetant toute critique...il semblait avoir la conviction que ses détracteurs n’avaient pas seulement tort, mais incarnaient le mal...Cela rebutait beaucoup de ses pairs avec lesquels il fut amené à travailler…Il n’en possédait pas moins une mémoire étonnante, une profonde connaissance de l’histoire et un esprit vif et incisif.
p.826 Des six dirigeants nationaux dont la personnalité écrasante ou l’autorité incontestable dominèrent la Guerre Mondiale, trois ne vécurent pas assez longtemps pour voir la fin du conflit, puisqu’ils moururent à quelques jours les uns des autres en avril 45 : Roosevelt, Mussolini, Hitler. Les trois autres, Churchill, Staline, Hiro Hito survécurent et eurent des destins fort différents…
L'auteur
Craig L. Symonds, américain, est un historien de la marine et de la Seconde guerre mondiale très connu, auteur d’un Midway remarquable. Il travaille beaucoup avec l’Oxford University, les différents dépôts d’archives de la Royal Navy ainsi que d’autres archives maritimes nationales, entouré d’équipes locales. Il a enseigné au National War College de Newport ainsi qu’à l'Académie Navale des Etats Unis. Il allie un savoir inattaquable à beaucoup de lucidité, d’indulgence pour les travers humains et de respect pour les initiatives heureuses.
Précisons que cet ouvrage exceptionnel a été traduit et publié grâce au soutien et au financement du Ministère de la Défense (DPMA) Direction du Patrimoine, de la Mémoire et des Archives.
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