Histoire d'un mythe. Du siècle des Lumières à nos jours
432 p. 23 €
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Thème
Personnage mythique, dotée d'une aura mondiale, symbole du raffinement, du charme, de l'élégance, modèle unique de la féminité impertinente, d'où vient cette "Parisienne", comment a-t-elle traversé l'histoire, quelle est sa destinée, bref comment s'est construit le mythe au travers des innombrables écrits et représentations ? Tel est le propos de cette "bio" virtuelle qui se déroule depuis le siècle des Lumières jusqu'à nos jours, commise par la brillante normalienne agrégée d'histoire qu'est Emmanuelle Retaillaud .
Derrière la célèbre héroïne aux jambes infinies campée par Kiraz (Edmond Kirazian pour les fans, lecteurs de Jours de France et de Playboy pendant les 30 Glorieuses), se profile en effet une immense famille de représentations et de citations de "La Parisienne" depuis J.J. Rousseau, inventeur du" concept " dans la Nouvelle Héloïse jusqu'à Inès de la Fressange en passant par Liane de Pougy, Arletty, Coco Chanel et l'un des plus prolixe peut-être sur le sujet, dès l'époque révolutionnaire, Nicolas Restif de la Bretonne. On reverra défiler bien sûr les Garçonnes des années folles, on écoutera un opéra d' Offenbach, on relira George Sand, mais on verra aussi sous un jour nouveau Renoir et son tableau bien nommé et puis Degas et ses petits rats. On revisitera tous les personnages féminins de la "Recherche", d'Oriane de Guermantes à Odette de Crécy, on rira avec la Môme Crevette échappée de chez Maxim's, on succombera enfin au charme sensuel de Jeanne Moreau et à la plasticité érotique de B.B. Et on essaiera surtout, avec l'auteur, de trouver un sens commun à toutes ses représentations du mythe.
Points forts
. L'érudition qui alimente à chaque ligne notre curiosité toujours maintenue en éveil, chapitre après chapitre, avec les innombrables références littéraires ou sociologiques, artistiques et politiques qui font vivre Paris, le Paris de la " Belle Epoque" mais pas seulement, la Ville lumière dont l'image est indissociable de celle de l'icône, le réceptacle du "Tout Paris" mais aussi le Paris des faubourgs, le Paris gouailleur et rebelle, éternel contestataire du Versailles aristocratique
Plein d'humour, riche, vivant, documenté, " La Parisienne " nous emmène aux détours d'évènements qui ont émaillé le 19e et le 20e siècle et constituent une somme de brèves histoires en parallèle, histoire de la littérature et de la création, histoire de la mode et de ses icônes, histoire du journalisme et de ses plus grandes plumes, histoire, sans jeu de mots, des "dessous" de la République, bref de tout ce qui brille dans tous les métiers et activités où la Femme Parisienne excelle ; pêle mêle, outre l'égérie de la maison Chanel, George Sand, Françoise Giroud, Delphine Seyrig, Catherine Deneuve, Jane Birkin, Caroline de Maigret, et plus près, Audrey Tautou, Marion Cotillard, Carla Bruni ou Victoria Beckham sont citées à qui mieux mieux. Point besoin d'être de Paris pour être Parisienne. Pas nécessaire non plus d'être de la haute pour tenir le haut du pavé, n'est-ce pas les "Belles Villoises" ? Le parallèle entre les deux Gabrielle "stars" de l'avant guerre, Gabrielle Chanel dite Coco et Gabrielle Colette, celle de Willy, est particulièrement brillant et révélateur du parfum de liberté qui enivre la Parisienne d'alors.
. La documentation très pédagogique avec un plan très détaillé, des repères, annotations, renvois et une iconographie, estampes notamment, appropriée, telle celle tirée de la revue l'Illustration ou alimentée par les dessins, sublimes de raffinement, de Paul Gavarni ou ceux, si impertinents, de Cham
. La démonstration très convaincante de ce qui constitue l'ADN de "La Parisienne" bien qu'il s'agisse d'une mission quasi impossible, car, comme l'écrivait Jean-Louis Bory en 1958 : "La Parisienne" est un animal légendaire. Comme la Licorne. Sans que personne ne l'ait jamais vue, tout le monde la connait."
Quelques réserves
Pas vraiment un point faible mais plutôt un détournement de sujet
On pourra regretter un certain dérapage au dernier quart de l'étude : on part de l'origine du symbole, de la quête d'une identité, du portrait de la femme éternelle et de sa psychologie pour finir sur un phénomène sociétal contemporain, le combat féministe, le mouvement "me too" qui n'a plus à voir avec notre personnage individuel, métaphore de notre culture franco française. Le politique et le journalisme du fait divers prennent alors le pas sur l'histoire et la culture ; des "Contemporains" de Nicolas Restif de la Bretonne (1785) on glisse vers le Washington Post, on déballe tout sur les réseaux sociaux et les démêlés judiciaires de prédateurs hyper médiatisés comme Weinstein. Le ton s'alourdit alors, on verse dans le courant revendicateur et en tous cas moralisateur et non plus seulement rebelle et libérateur, la noirceur gomme le rose, bref on tombe bien bas, même si certaines choses sont bonnes à (re) dire mais sans doute pas sous le titre "La Parisienne", qui ne nous promettait au départ que légèreté voire frivolité, insouciance sinon inconscience.
Encore un mot...
"How to be a Parisian wherever you are", nous démontrait Caroline de Maigret et ses 3 copines également talentueuses dans son livre éponyme, un best seller, notamment aux Etats-Unis. Quelle est cette alchimie dont le fruit fait fantasmer les hommes (et les femmes) du monde entier depuis le XVIIIe siècle ? Oui, la Parisienne, ce comble de la féminité aux multiples visages, existe bel et bien. Emmanuelle Retaillaud a ce talent de la révéler à notre imaginaire et de rendre concrète une certaine idée de la femme dotée de ce "chic" et de ce "chien" inimitables qui ne pouvaient éclore et s'enrichir mutuellement ailleurs que dans ce creuset de l'effervescence qu'est Paris.
En conclusion : Essai passionnant et bien construit. Dommage que, au terme de ce petit bijou d'histoire, on passe insensiblement, mais heureusement sur le tard, de témoignages et d'une écriture dignes d'Emile de Girardin à des reportages façon Gala ou Closer. Preuve sans doute que La Parisienne évolue, comme nous tous !
Une phrase
1/ (citations tirées de la Nouvelle Héloïse) Julie d'Etanges, inquiète, un peu jalouse, à Saint Preux : "Toi qui me parlais des Valaisannes avec tant de plaisir, pourquoi ne me dis-tu rien des Parisiennes ? Ces femmes galantes et célèbres valent-elles moins d'êtres dépeintes que quelques montagnardes simples et grossières?"
Saint Preux, rassurant, répondant à Julie d'Etanges : "Il me faut donc te les dépeindre, ces aimables Parisiennes... menues plutôt que bien faites, elles n'ont point la taille fine... Je n'aurai jamais pris à Paris ma femme ou même ma maitresse, mais je m'y serai fait volontiers une amie, et ce trésor m'eût peut-être consolé de n'y pas trouver les deux autres. "
2/ ( Rétif de la Bretonne, Les Contemporains, 1780) "Je crois à toutes les femmes de l'Univers : malgré tout ce que je viens de dire, j'ai entendu d'un homme de beaucoup de mérite que le chef d'oeuvre fille et femme était à Paris ; que pour un homme accoutumé au grand monde, ou seulement au monde de la capitale, une vertueuse parisienne, car il en est beaucoup, était la seule épouse qui put rendre heureux !"
L'auteur
Né en 1967, Emmanuelle RETAILLAUD-BEJAC est une ancienne élève de l'Ecole Normale Supérieure (Ulm-Sèvres) et agrégée d'histoire ; maître de conférence à l'université de Tours, ses travaux portent sur l'histoire sociale et culturelle contemporaine française en traitant des sujets "lourds" comme les drogues, l'homosexualité masculine et féminine ou/et des sujets artistiques et littéraires. Elle a écrit notamment La pipe d'Orphée, Jean Cocteau et l'opium (Hachette) et Les drogues, une passion maudite puis récemment Stupéfiant, l'imaginaire des drogues (Textuel). Elle a été chroniqueuse aux Inrocks et a collaboré à Madame Figaro.
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