Histoire du repos
Parution Mars 2022
164 pages
15 €
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Thème
Dans ce petit essai, l'historien Alain Corbin, familier des analyses historiques transverses, nous propose de découvrir les racines de la notion de repos, son évolution à travers le temps. Le parcours de l'historien ne peut se détacher de l'importance du fait religieux dans l'interprétation de la notion de repos, qui sera ouverte, à partir du XVIème siècle, au temps du philosophe (Pascal), puis au retour à la nature (Les rêveries du promeneur solitaire de Rousseau). En naviguant dans les temps modernes, il relève les tensions entre le repos - temps de repli sur soi et d'émergence du risque de n'être confronté "qu'à soi" - et l'esprit des retraites monastiques, les notions de disgrâce, de repos "au sein du confinement" (Voyage autour de ma chambre de Xavier de Maistre), de quiétude (Fénelon) ; une idée qui va ouvrir au temps des plaisirs domestiques et de la vie de famille, dans les sphères bourgeoises et aristocratiques d'abord, à la subtile transformation des intérieurs pour le confort de l'être autant que du paraître.
Cette fresque offre une large place aux analyses et extraits de textes philosophiques, un peu à la littérature et à la sociologie, et se terminera aux portes des sanatoriums, dans le milieu du XXème siècle.
Points forts
Cet essai est court et malgré quelques mots "experts", globalement facile à lire. Il vous met en compagnie, outre des auteurs déjà cités, de Virgile, Thérèse d'Avila, Jean de la Croix, Bernard de Clairvaux, Saint François de Salle, Bossuet… de purs esprits ! On ne boudera pas Charles Quint, Ronsard, Montaigne, Diderot, Bussy Rabutin, et plus près de nous, Baudelaire, Francis Ponge ou Alain. La citation de nombreux extraits d'œuvres, souvent écrits en vieux français, donne un charme particulier à leur lecture.
S'il apparaît que la notion de repos a considérablement évolué avec le temps, la valeur ajoutée de la thèse est de nous faire comprendre les étapes de sa perception. Temps d'abord réservé à Dieu et l'exaltation du "repos éternel", c'est au sein de la Bible, dans les Livre des Nombres et le Lévitique, qu'apparaît l'idée de repos. Divin certes, dont les interprétations varient entre juifs et chrétiens, conduisant à placer Sabbat et dimanche dans deux jours différents de la semaine ! Il sera, à partir de la Renaissance, le temps proposé pour découvrir l'essence de l'être. Il faudra près de trois siècles pour que l'idée de l'associer à la notion de fatigue et au temps de récupération s'impose, non comme un besoin évident (à la campagne, la notion de récupération et de repos seront longtemps vécus de façons bien différentes), mais comme une nécessité physiologique dans une société qui s'industrialise, puis comme objet de revendication politique au XXème siècle.
Les derniers chapitres de l’essai, comme sa conclusion, exposent que la notion de repos et sa valeur thérapeutique, reconnue à la fin du XIXème siècle, sont aujourd'hui dévoyées par la notion de loisirs, dont l'image d'épanouissement et la variété des formes s'éloignent d'une de ses évocations mythiques : la sieste dans un pré, berceau de renaissances immuables, de détente et d'oubli du temps de la vie sociale et de ses vicissitudes.
Petite cerise sur le gâteau, pour les passionnés de ces questions, je vous invite à lire la remarquable Histoire de la fatigue de Georges Vigarello, un essai largement cité et très complémentaire à celui-ci.
Quelques réserves
Comme je l'ai perçu pour son essai sur les différentes façons d'éprouver le vent, la Rafale et le Zéphyr (voir ci-dessous le lien vers la chronique), cette nouvelle analyse d'Alain Corbin laisse un peu sur sa faim. Non pas qu'elle manque d'intérêt, mais la fenêtre ouverte de l'Antiquité au milieu du XXème siècle, aussi large soit-elle, laisse sans réponse de l'historien, nos perceptions modernes du repos.
Encore un mot...
Le petit texte en exergue sur le dos de la couverture affirme : "Cette histoire est une invitation à vivre différemment notre rapport au travail, à la fatigue, au temps." C'est vrai , L'histoire du repos est un livre pour comprendre la relation que nous entretenons avec notre "temps libre"! Il est intéressant d'y trouver les racines culturelles de l'idée de repos, et de constater, sans jugement, son évolution au cours des siècles. Sa lecture apportera peut être une petite pierre à vos questionnements sur la retraite et les débats sur son âge légal - heures promises de repos, de détente, de loisirs, de méditation… ou de travail ! Si l'on peut regretter la brièveté de l'essai concernant les dernières décennies, nous pouvons nous plonger dans L'avènement des loisirs (1850-1960), qu'Alain Corbin a publié en 2020. Attention, 624 pages !
Une phrase
- "Les définitions, les figures du repos n'ont cessé de varier au cours des siècles ; et, le plus souvent, de s'imbriquer, de se superposer, de se combattre. A l'évidence, il n'est pas de similitude entre le souhait d'accéder, un jour, au repos éternel, et celui de jouir d'un repos permettant de vaincre le "burn out". " P 10
- A propos du rapprochement des notions de fatigue et de repos au tournant du 19 et 20 ème siècle : "Dans le cours de l'histoire […] s'impose ainsi une révolution. Dès lors, il n'est plus le temps choisi, quiétude, retour sur soi mais simplement espace temporel légalisé ; ce qui suscite dès lors l'affaissement de tout ce qui avait fait l'importance et la richesse de l'histoire du repos. En ce sens, la fatigue, le surmenage, leurs conséquences sur l'état cérébral, etc., ont en quelque sorte asséché, aplani, simplifié l'histoire du repos. Bien inutiles ont été, à ce propos, les efforts des croyants visant à maintenir le caractère sacré du repos, sa noblesse, sa capacité à développer l'énergie personnelle, le retour sur soi." P 136-137
L'auteur
Agrégé d’Histoire puis professeur à Paris 1-Panthéon-Sorbonne, Alain Corbin est considéré comme l’historien du Sensible.
Spécialiste de la France du XIXème siècle, il est auteur de nombreux ouvrages et compositeur "d'histoire de..." : du temps (qui passe et qu'il fait), des loisirs, du paysage, du christianisme, de l'arbre, de la virilité - explorateur des façons dont elles ont façonné nos cultures. Un de ses ouvrages les plus connus, le Miasme et la Jonquille, paru en 1986, est l'histoire du rapport de l'homme et des odeurs. Ses partis pris originaux, salués par le monde universitaire, en font un auteur dont Culture-Tops suit avec intérêt les publications :
- Terra incognita, une histoire de l'ignorance
- La rafale et le zéphyr : histoire des manières d'éprouver et de rêver le vent
- Histoire du silence
Commentaires
Alain Corbin a un angle d’attaque intellectuel très original. À lire absolument.
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