Histoire de l’Algérie
Parution le 13 avril 2023
700 pages
27,50 €
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Thème
La tumultueuse et tragique histoire de l’Algérie, des origines à nos jours.
Points forts
Il fallait oser se lancer dans pareille aventure, Michel Pierre en a eu l’audace, qu’il en soit remercié. Nous prenant par la main, sans précipitation, au gré de courts chapitres autorisant de fréquentes respirations, avec un style alerte, Michel Pierre nous fait découvrir en profondeur l’histoire de l’Algérie, de son plus lointain passé (l’Homme de Tighennif, vieux de 500 000 ans), à son actualité la plus récente (les manifestations dite du Hirak qui ont vu en 2019 la chute de la maison Bouteflika suivie de l’élection d’Abdelmadjid Tebboune à la présidence de la République avec un taux d’abstention qui en dit long sur sa légitimité : 60 % ...).
Entre temps, le territoire algérien aura connu une florissante civilisation saharienne (avant l’apparition du désert, 3 000 ans avant J.C), les présences phéniciennes, maures et numides, six siècles d’occupation romaine (et, déjà, la lutte opposant le colonisateur à Jugurtha, symbole de la résistance berbère), la conquête islamique donnant naissance aux empires almoravide puis almohade reliant le Sahel, le Maghreb et l’Andalousie, la régence ottomane avec ses Janissaires, le légendaire Barberousse et les corsaires écumant les mers jusqu’en Islande, tout en se saisissant chemin faisant de 850 000 esclaves chrétiens entre 1580 et 1680 - dont Cervantès.
Puis vient le temps de la conquête française avec la prise d’Alger en juillet 1830. S’ensuit une colonisation « par le glaive et la charrue » qui n’est, écrit Michel Pierre, « ni génocide, ni extermination » (ni, donc, crime contre l’humanité), mais « conquête brutale et sanglante » trouvant son terme en 1902 avec celle du Sahara.
Une colonisation qui se veut « de peuplement », mais ne le deviendra jamais, le fossé démographique entre population musulmane et population dite européenne (comprenant Français, Espagnols, Juifs, Italiens…) ne cessant de se creuser. Fossé qui, par les rebellions, les répressions, les massacres commis tant par les uns que par les autres, finira par « creuser entre les deux communautés un abîme où coule un fleuve de sang » (Jacques Soustelle).
Rien n’était pourtant joué, nous apprend Michel Pierre, car l’histoire de l’Algérie française, c’est aussi celle des occasions manquées. Ferhat Abbas, futur président du gouvernement provisoire de la République Algérienne, n’écrivait-il pas en 1936 : « si j’avais découvert la nation algérienne, je serais nationaliste. Cependant je ne mourrai pas pour la patrie algérienne parce que cette patrie n’existe pas. J’ai interrogé l’histoire, les vivants et les morts ; j’ai visité les cimetières : personne ne m’en a parlé… On ne bâtit pas sur le vent. Nous avons écarté une fois pour toutes les nuées et les chimères pour lier définitivement notre avenir à celui de l’œuvre française dans ce pays. »
La lucidité de certains (Napoléon III, Charles Jonnart, Maurice Violette) autorise par instants l’espoir d’une marche vers une assimilation qui ne verra finalement jamais le jour. Toutes les tentatives de réformes se fracassent par manque de courage politique sur le mur de l’obstination obtuse d’une poignée de grands colons refusant de reconnaître aux indigènes les droits les plus élémentaires. En 1926, Messali Hadj fonde l’Etoile nord-africaine, premier mouvement à avoir pour objectif politique l’indépendance. Michel Pierre souligne alors avec finesse la manière dont le passé sera utilisé par les uns pour justifier leur domination coloniale, par les autres pour la combattre ; ainsi se construit un « roman national » fondé sur la présence française qui, peu à peu, « façonne la nation algérienne par opposition à la sujétion coloniale. »
La narration méticuleuse de la lutte pour l’indépendance montre à quel point la « guerre d’Algérie » fut une guerre civile, chacun, pour se justifier, s’appuyant sur le crime de l’autre. « Bientôt, écrivait Camus, l’Algérie ne sera peuplée que de meurtriers et de victimes. Bientôt les morts seuls y seront innocents. »
Michel Pierre met en scène les massacres de Sétif en 1945, la nuit de la Toussaint 1954, la lutte à mort entre le FLN et le mouvement indépendantiste de Messali Hadj, les ratissages dans les djebels, les attentats, la bataille d’Alger, la torture et les « corvées de bois », la duplicité du général de Gaulle, la révolte d’une partie de l’armée française fidèle à la parole donnée, les dérives criminelles de l’OAS, la duperie des accords d’Évian, (« ce n’est pas le Coran, nous allons les changer », disait Ben Bella), le rapatriement des « pieds-noirs » préférant la valise au cercueil, sans oublier le massacre annoncé des harkis abandonnés par de Gaulle.
Au final, une guerre dont il est impossible de chiffrer précisément le nombre de victimes (300 000 ? 400 000 ?) qui fera dire à Pierre Messmer, ministre des Armées : « je ne suis jamais retourné en Algérie et je n’y retournerai jamais. Ce pays sanguinaire me fait horreur. » Une indépendance acquise en 1962, donnant raison à l’émir Abdelkader défiant Louis-Philippe et le maréchal Bugeaud en 1846 avec ces mots : « votre influence ne s’étend que sur le terrain que couvrent les pieds de vos soldats. Ce continent est le pays des Arabes, vous n’y êtes que des hôtes passagers ; y resteriez-vous trois cents ans comme les Turcs, il faudra que vous en sortiez ! »
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Un nouveau chapitre s’ouvre et une autre tragédie s’annonce avec les premiers pas d’une République présentée comme « socialiste, démocratique et populaire », théâtre de règlements de comptes meurtriers entre des vainqueurs soucieux de s’emparer du pouvoir : « l’Algérie était un animal blessé entouré d’une meute de loups aiguisant leurs couteaux, chacun voulait en arracher un morceau » (Ferhat Abbas). Ni Ben Bella (1963-1965), ni Boumediene (1965-1978), ni Chadli (1979-1991) ne sauront faire prospérer les investissements laissés par la France (des centrales électriques, des barrages hydrauliques, 10 000 km de route asphaltée, 4 300 km de voies ferrées, 10 ports, 20 aérodromes civils, 16 000 km de lignes à haute tension, 30 000 lits d’hôpitaux). Ils ne sauront pas davantage user de la manne des hydrocarbures représentant 95 % des exportations et 60 % des recettes fiscales. Le pays s’enfonce dans le népotisme, la corruption, les scandales, la prévarication et la captation clanique. Il s’ancre autour de la religion et de l’arabo-islamisme, négligeant la dimension berbère.
Malgré un parti unique, le FLN, censé éduquer les masses, un code de la nationalité rétrograde, un code de la famille patriarcal, l’islam comme religion d’État et l’arabe comme langue nationale (les langues berbères, qui ont le tort de posséder un alphabet latin, sont considérées comme une survivance passéiste porteuse de division), la construction de 5 000 mosquées en l’espace de vingt ans, la République Algérienne ne parvient pas à contenir la vague du Front Islamique du Salut (FIS) exigeant l’application de la charia, le rejet de la mixité et une théocratie à l’iranienne. L’Algérie plonge à nouveau dans le chaos avec une guerre civile entre le FLN et le Groupe Islamique Armé (GIA) qui comptera plus de 100 000 morts.
Dans le même temps, les Berbères peuplant la Kabylie et les Aurès font connaître leur volonté d’autonomie. S’ensuivent des émeutes au cours des « printemps noirs » de 1980 et 2001.
Face à ces troubles et cette gabegie, l’ancienne puissance coloniale est alors « toujours utilisable dans sa fonction et son rôle d’ennemis intimes » pour « susciter contre elle une unité plus ou moins factice en une inépuisable source de ressentiments, de condamnations victimaires et de soupçons sourcilleux » ...
Quelques réserves
Heureux celui qui, constatant ne pas avoir à en formuler, s’abstient d’en entreprendre la vaine recherche.
Encore un mot...
Un travail de titan. Fondée sur une impressionnante bibliographie, une synthèse magistrale qui fera date.
Une phrase
« L’indépendance a eu aussi son récit pétri de contradictions et de mythes. Le moindre n’étant pas d’avoir imaginé un peuple uni tout au long d’une lutte de libération de cent trente-deux ans. La guerre de 1954 à 1962 fut aussi nourrie d’affrontements internes et non l’élan sans faille d’un peuple unanime. Un peuple déifié et donnant son nom à une république « démocratique et populaire » à la construction chaotique, entre enthousiasme et résignation, espoirs renouvelés et déceptions, acquis réels et objectifs inatteignables. La prédominance de l’islam a pris tous les modes possibles, de la foi des ancêtres à ses variantes importées, de la spiritualité traditionnelle à des rituels défiant toute raison, de la paix des mosquées à la folie des massacres. Qu’elle soit nommée « décennie noire » ou « tragédie nationale », une autre guerre est entrée dans l’histoire de l’Algérie telle une transe terrifiante dont on ne sait si elle s’est dissoute dans le temps court ou inscrite dans un avenir long par des conséquences non encore perceptibles. »
L'auteur
Agrégé d’histoire, licencié d’histoire de l’art et d’archéologie, Michel Pierre a exercé les fonctions d’attaché culturel en Algérie de 1988 à 1992, puis celles de conseiller de coopération de 2001 à 2005. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les bagnes (dont, notamment, Le Temps des bagnes, Tallandier, collection texto, 2018), d’une remarquable enquête menée à contre-courant sur l’affaire Seznec (L’Impossible innocence, Tallandier, 2019) et d’un livre consacré à L’Exposition coloniale, réédité chez Archidoc en 2021.
Chronique de L’Impossible innocence
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