
Histoire de la nation française. Du mythe des origines à nos jours
Parution en février 2025
522 pages
24,5 €
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Thème
Dire que les spécificités de l'histoire de France ont construit une nation singulière, peu d'entre nous en doutent aujourd'hui. Mais plutôt qu'un fait établi par nature, l'idée de nation serait davantage une construction qui entremêle volontés politiques et populaires, royales, impériales, républicaines, assemblages démographiques, accidents de l'histoire, ambitions partagées… Sur ces bases, en historien reconnu, Eric Anceau nous entraîne dans cet essai très documenté dans la découverte de l'idée de nation, puis dans la lente construction du roman national, de sa consolidation à son exaltation, de sa révélation à sa revendication universaliste, des premières nations celtes aux plus récentes polémiques sur l'immigration, comme symbole du débat sur ce qui forge et maintient l'identité d'un peuple, communauté de destin, ou identités colocataires d'un territoire.
Ce débat en perpétuelle évolution, Eric Anceau nous y invite en compagnie de ses grands théoriciens autant que ses acteurs et détracteurs, et tisse avec habilité événements et décisions qui depuis près de 4.000 ans ont forgé en France l'idée et la certitude de former une Nation.
Points forts
L'ouvrage se décompose en quatre périodes très didactiques dans leur développement.
Le premier âge, des Celtes et des Francs, pose les bases d'une idée d'unité de territoires peuplés de "nations" très différentes par leur origine, leur langue et leur exercice du pouvoir. L'unité autour du roi et de la religion en sera progressivement le berceau. Le deuxième âge expose le rôle du pouvoir royal, au péril des guerres de religion et de la philosophie des lumières. Si l'idée de nation se forge dans les esprits, elle s'affranchit du pouvoir royal sous la Révolution, et devient un concept incarné dans l'idée de république et de droits de l'homme. Le troisième âge est celui où l'idée d'Etat/Nation a besoin de prendre de la force, sous convictions des empires, des révolutions, des républiques du XIXe siècle et de la Première Guerre mondiale. La quatrième et dernière époque s'appuie sur l'exaltation de la Grande Guerre et les fractures induites par l'évolution de la démographie, les expressions contraires du nationalisme et l'universalisme de la lutte prolétarienne, pour une idée de nation bousculée par les désillusions politiques qui suivent les 30 Glorieuses et la remise en cause de l'écriture de l'Histoire.
Ce bref résumé ne peut se substituer à la lecture tout à fait passionnante de ces pages, qui ont exercé une magie assez rare - celle de vous donner à comprendre comment l'idée et l'identité d'une Nation se construisent et se fragilisent, celle de tisser avec finesse tous ces événements appris de l'école à l'université dont la récitation chronologique ne délivrait pas nécessairement le sens. Et l'on comprend ou redécouvre le poids de dizaines de décisions décrites dans les manuels scolaires, ingrédients d'un cocktail dont la recette n'était pas donnée !
Cet essai se lit comme un roman, ce "roman national" dont l' écriture fut l'un des objectifs des dirigeants français, de Napoléon III aux "élites" de la IIIème République.
Avec la bonne idée d'ouvrir chaque grand chapitre par une introduction qui pose le sujet et le clôt par une courte synthèse, ce voyage Des mythes des origines à nos jours est par ailleurs nourri de 100 pages de notes - très informatives - de bibliographie et d'un index. Travail colossal !
Quelques réserves
Pas ou peu de réserve sur cet essai ; son sourçage très volumineux peut, si vous le suivez à la lettre, vous entraîner dans de continuelles manipulations de pages, et effets secondaires, fractionner votre lecture. Les passionnés n'y renonceront sans doute pas !
Encore un mot...
Quand on vit dans un pays démocratique à l'histoire ancienne et l'identité républicaine bien établies, on ne se rend pas forcément compte de ce qui a construit, consolidé et fragilisé ce concept qui forge notre unité - l'idée d'appartenir à une "Nation". Si avant Eric Anceau, l'idée de Nation a eu ses penseurs, parmi lesquels Ernest Renan au XIXe siècle reste l'un des plus célèbres, son essai apporte un éclairage vraiment didactique sur ce qui a construit et compose l'identité de la France aujourd'hui. Le territoire, la langue, l'impôt, le droit, la religion, les antagonismes entre pouvoirs autoritaires et volontés démocratiques, le service national, les musées, le courrier, le chemin de fer, l'éducation, la littérature ont forgé l'idée de nation en France.
Les bouleversements démographiques d'aujourd'hui, la construction européenne, les débat sur le "modèle" d'accueil des populations issues de l'immigration (dont assimilation, intégration, insertion résument l'évolution des débats sur les enjeux d'une communauté de destins), jettent "le trouble dans la nation". Défiance vis-à-vis de l'Histoire et des dirigeants, rôle de l'école, tentations et tensions identitaires composent les termes actuels du débat - un risque que l'auteur qualifie "d'archipelisation de la France" [à l'intérieur de laquelle …] les français des différentes îles ne se comprennent plus".
Une phrase
" Considérée à la fin du XVIe siècle et au XIXe siècle comme le vecteur par excellence de la libération des peuples soumis jusque-là à la domination de souverains autocratiques, la nation a été, par la suite, accusée d'enfanter le nationalisme, cet amour immodéré de sa propre nation, et rendue responsable des deux guerres mondiales. Aujourd'hui, les nations sont également remises en cause par l'évolution des sociétés. En Occident, elles sont ainsi prises en étau entre la montée de l'individualisme et des revendications communautaristes d'une part et le poids croissant de la mondialisation, des organismes supranationaux et des firmes multinationales d'autre part." P 10
" La monarchie capétienne joue un rôle fondamental dans la naissance de la nation française. Elle utilise habilement le christianisme qui a valeur universelle à la fois pour consolider son pouvoir et pour commencer à faire de ses sujets une nation." P 75
" C'est la Révolution de 1789 qui réalise ce souhait en créant une nation souveraine. La France passe alors d'un absolutisme à un autre, celui du roi appuyé sur le droit divin cédant la place, sans transition, à celui de la nation appuyée sur les droits de l'homme et représentée, pour l'heure, par une assemblée. En dix ans, l'œuvre réformatrice accomplie au nom de la nation est considérable." P 105
" C'est au cours du XIXe siècle que se réalise vraiment la nationalisation des Français avec le renforcement décisif de l'État, la régularité d'élections qui se déroulent au suffrage universel masculin à partir de 1848, la conscription, les progrès de la scolarisation et de l'alphabétisation, la plus grande circulation de la monnaie, des biens et des imprimés, mais aussi avec les joies et les épreuves partagées, à commencer par la guerre de 1870 et la Grande Guerre." p 189
" Du début des années 1970 au milieu des années 2000, la nation est menacée à la fois de l'extérieur et de l'intérieur par de multiples facteurs : l'idéologie libérale et libertaire dominante qui exalte l'individu et ses intérêts, mais ignore le citoyen et ses idéaux, la mondialisation qui propose d'autres modèles et abat les frontières de tous ordres, l'intégration européenne qui remet radicalement en cause la souveraineté nationale, les tensions croissantes entre la communauté nationale et les différentes communautés identitaires infranationales.
Non seulement certaines figures politiques et intellectuelles commencent à envisager sérieusement sa disparition, mais les citoyens prennent aussi conscience de sa fragilité." P 368
L'auteur
Eric Anceau est historien, spécialiste de l'histoire politique et sociale de la France et de l'Europe contemporaine. Professeur à la Sorbonne, aujourd'hui à l'Université de Lorraine, il a consacré ses travaux à l'histoire du XIXe siècle, à Napoléon III, aux politiques éducatives et la laïcité. Ses recherches lui ont valu plusieurs prix prestigieux, dont le Prix Guizot de l'Académie Française. Il a publié de nombreux essais, dont en 2022, Laïcité, un principe : De l'Antiquité au temps présent et en 2024, Napoléon III et l'économie.
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