Histoire de la fatigue, du Moyen Age à nos jours
477 pages -
24 €
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Thème
La fatigue ? Qui n'en parle pas ? Ses formes sont composites, ses conséquences parfois ultimes quand elles prennent la forme redoutée du "syndrome de l'épuisement professionnel". L'historien Georges Vigarello nous propose dans cet essai d'explorer la sensibilité et l'attention des hommes et des femmes à la fatigue depuis près de 1.000 ans. Il nous fait découvrir à quel point sa perception a évolué de la négation à la reconnaissance, entraînant dans son sillage études et théories pour la mesurer et la combattre, exalter l'effort par le sport, repousser les défaillances par la nutrition, calibrer les individus selon leur résistance, optimiser l'utilisation du "moteur humain" pour tirer le meilleur profit des machines, imaginer la nécessité de ne pas accabler les enfants de travail et celle d'un repos hebdomadaire puis de congés payés.
Des chevaliers aux paysans, des artisans à la nouvelle classe ouvrière, de la guerre à la paix, la fatigue et sa perception sont, au fil des pages un formidable fil d'Ariane pour révéler comment se manifeste au cours des siècles - et "à cause d'elles" - l'émergence de la notion d'individu, de sa négation à sa révélation jusqu'à la place accordée au "mal être", révélatrice de la plasticité de ses expressions.
Points forts
1. Une histoire simplement passionnante, qui ouvre d'innombrables portes sur la connaissance progressive de l'effort, ses conséquences, son exaltation, ses limites.
2. Un essai qui offre l'opportunité de découvrir et comprendre le passage de l'indifférence à la fatigue (signe de faiblesse ou de "basse extraction" au Moyen Age) à la compréhension progressive de ses causes (nutrition, conditions de vies, rythmes de travail et de repos) et de ses remèdes - pour augmenter le rendement et l'endurance des soldats, des ouvriers, des paysans, et ainsi mieux planifier le développement économique et social.
3. Une multitude d'exemples concrets, qui vont du nombre de brouettes qu'un maçon pouvait transporter dans sa journée selon sa "constitution", à la création des amphétamines pendant la seconde guerre mondiale pour permettre aux soldats de combattre sans dormir, en passant par le dopage dans le sport, les régimes alimentaires, l'idée de voyages et de "récupération", les contributions de Vauban, Karl Marx, JB Say, Colbert, Taylor bien sûr, Henri Ford ou encore l'incomparable Stakhanov.
4. Les développements sur les maladies modernes liées au sentiment de fatigue méritent enfin d'être cités, autant que les très riches références bibliographiques et un épilogue qui évoque l'incidence de la pandémie de Covid 19.
Quelques réserves
Une écriture élégante mais "soutenue", faisant de l'inversion sujet/verbe/complément une indéniable marque de fabrique, qui demande un temps d'acclimatation, voire, engendre une petite fatigue cérébrale à en absorber l'abondance !
Encore un mot...
Si vous vous demandez comment on peut avoir l'idée et l'envie de s'engager dans l'Histoire de la fatigue, la réponse est simple - c'est tout simplement passionnant. Lisez cet essai. Et vous verrez à quel point la reconnaissance progressive de la notion de fatigue a façonné notre vie, nos relations à l'effort, l'organisation du travail, débouchant sur le meilleur - la compréhension de sa physiopathologie, la nutrition, la fin du travail des enfants, la notion de repos puis de vacances, mais aussi son coté "noir" dans ses expressions extrêmes - des galères aux camps de travail, de la perte de vigilance et de repères, à l'épuisement physique et psychologique. Les derniers chapitres évoquent les aspects modernes de la fatigue et de sa perception, et par la familiarité que nous avons avec elles, constituent une synthèse très accessible des questions de sensibilité au harcèlement, au stress et au burn out.
Une phrase
A propos de Vauban et de ses mesures de l'effort : "L'homme des forteresses a transformé les vastes espaces de terrassement en espaces d'observation et de recensement. Jamais le travail n'avait été ainsi étudié." P 90
A propos de la perception de la fatigue aux XVII et XVIIIème siècles : " La fatigue s'installe d'abord en "malaise" plus quotidien, en désordre obscur, et bientôt en provocations, touchant aux projets, aux modes de vivre et d'exister. D’où sa présence nouvelle dans les témoignages comme dans la littérature ou les récits." P 114
"Jules Amar [1879 - 1935] constitue ainsi, pour la première fois, une chaîne de cause et d'effets, allant de la description la plus précise d'une tâche à la fatigue qu'elle implique, à la ration alimentaire qu'elle requiert." P 230
"Deux origines possibles de la fatigue sont dès lors mieux précisées, mieux commentées, celles tourmentant le muscle, celles tourmentant la pensée. Deux régimes de description , surtout [..] : La fatigue vue "du dehors", et la fatigue vue du "dedans" ; cette dernière devenant bientôt plus importante qu'il n'y paraît, confirmant un sentiment croissant d'autonomie chez un individu toujours plus alerté sur lui-même, quêtant ses failles, ses inconforts, ses "impossibilités. " P 234
"C'est au cœur d'une activité nouvelle, le sport, "dépense" physique conçue en tout premier lieu pour la détente et le plaisir, que s'inventent, paradoxalement, à la fin du XIXème siècle, les procédés les plus élaborés de résistance à la fatigue et à l'effort. " P 260
"Ce qui affermit une dynamique majeur du XXème siècle : non plus la fatigue physique venant envahir le mental au point de le hanter, mais la fatigue psychologique venant envahir le physique au point de le briser ; figure la plus fréquente, sans doute, de la fatigue contemporaine." P 347
L'auteur
Georges Vigarello est historien français, notamment spécialiste des questions liées à la santé et au corps. Directeur d'études à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et co-directeur du Centre d’Etudes Transdisciplinaire de Sociologie, d’Anthropologie et d’Histoire, il a publié de nombreux ouvrages sur le corps et l'hygiène, leur perception et leurs représentations, leur influence sur notre culture, à travers le temps. Il a publié plusieurs essais avec l'historien Alain Corbin, lui-même familier de ces explorations transverses de nos sensibilités.
Concernant ce dernier, voir notamment sur Culture-Tops : Terra incognita une histoire de l'ignorance et Histoire du silence.
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