Goya, l’énergie du néant
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Thème
Michel del Castillo brosse un tableau sans concessions de la longue vie et de l’œuvre multiforme de Francisco Goya, avec ses grandeurs et ses petitesses, de sa naissance en 1746 dans un pauvre village d’Aragon à sa mort en exil à Bordeaux en 1828.
Cet immense artiste, d’abord formé à la peinture baroque, peintre religieux assez mièvre, parfois besogneux, est sorti de la semi-misère où il végète par son élévation au rang de « Peintre de la Chambre du Roi » après un voyage en Italie qui lui permet de découvrir le classicisme. Il devient alors le portraitiste attitré de tous les Grands tandis que se profilent les premiers soubresauts politiques d’une Espagne qui tente d’éviter la contagion des idées révolutionnaires venues de France.
En 1792, Goya contracte une grave maladie qui le laissera sourd et provoquera chez lui une rupture stylistique radicale, transformant le courtisan subventionné en un génie hanté qui ouvrira la voie à l’impressionnisme et au surréalisme.
Les Caprices, les Désastres de la Guerre et la Tauromachie, eaux-fortes et aquatintes à la limite de la caricature, les Peintures Noires, fresques inquiétantes qui « décorent » sa maison de campagne (la Quinta del sordo), restent les témoins du pessimisme fondamental qui deviendra sa marque exclusive.
Points forts
- La vision de Michel del Castillo qui n’a rien d’une hagiographie. Tel Janus , Goya a deux visages : le fils du peuple lourdaud et intéressé, épris d’ascension sociale, qu’ aucune compromission ne rebute quand elle sert sa promotion personnelle, et le critique dévastateur qui débusque le Mal où qu’ il se trouve, sans vrai choix politique.
Ami des ilustrados (adeptes des Lumières) puis des afrancesados (collabos pro-français), il louvoie au gré de ses commanditaires successifs, ne refusant jamais de réaliser un portrait bien payé : « Il n’est pas, il ne sera jamais héroïque » (p 168). Mais, en parallèle, il y a les estampes hallucinées qui hurlent les souffrances d’un peuple martyrisé.
- Le contexte historique intéressant. Goya a traversé trois règnes (sans compter l’éphémère Joseph Bonaparte, surnommé « Pepe Botella » -Jojo la bouteille- par les Espagnols), côtoyé la misère des petits et la morgue des Grands, pressenti la part d’ombre des Lumières, contesté l’Inquisition, connu l’occupation étrangère et ses excès, vécu l’exil.
- L’intérêt des multiples personnages bien campés qui gravitent autour du peintre : Zapater, l’ami de cœur, Bayeu, le beau-frère mentor, Don Luis, le premier mécène, Josefa, l’épouse maussade, Léocadia, la maîtresse acariâtre, Javier, le fils ingrat…. Mais aussi la duchesse d’Albe, richissime et fantasque (qui ne fut sans doute pas la Maja Nue), Charles III, austère et rigide, à l’affut de tout manquement à l'étiquette, Charles IV, gentil et balourd, mené par son épouse Marie-Louise et l’amant de celle-ci, Manuel Godoy (la fameuse « Sainte Trinité » moquée par les Madrilènes), Ferdinand VII, le fils perfide porté par la haine vouée à sa mère…
Quelques réserves
- L’ouvrage est touffu et la chronologie, mal maîtrisée; les références nombreuses aux différents biographes de Goya, soit pour les contrer, soit pour les approuver, ne facilitent pas toujours le suivi.
- Les descriptions innombrables de tableaux, portraits, fresques et gravures, leurs intentions supposées qui ne sont pas toujours évidentes et la volonté de doubler la biographie d’un essai métaphysique rendent la compréhension parfois difficile.
Encore un mot...
Intéressante et complexe, cette approche courageuse d'un peintre que l'on croit connaître demande cependant un effort de lecture.
Une phrase
"Comment définir (le peintre) si on prend en compte le mouvement général de son œuvre ? Nul doute qu’il ait perdu la foi. Son affirmation obstinée de l’horreur en est une preuve éclatante. Mais il a perdu la foi comme un Espagnol la perd, en gardant l’amour du Christ". P. 318
L'auteur
Michel del Castillo, né à Madrid en 1933 de père Français et de mère Espagnole, restera marqué toute sa vie par une adolescence chaotique et le souvenir du fils meurtri de parents odieux, balloté de camps en camps entre l’Espagne, la France et l’Allemagne.
Il connaît son premier succès littéraire en 1957 avec Tanguy qui évoque son séjour à l’Asilo Duràn, bagne d’enfants de l’Espagne franquiste, livre dont la parution provoque une violente polémique. Suit une œuvre importante dans laquelle Michel del Castillo met beaucoup de lui-même, près de quarante titres récompensés par de nombreux prix, dont quelques biographies: Colette, Franco (étonnamment honnête) et la toute dernière, donc, Goya.
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