En pays défait
250 pages
20 €
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Thème
Titre et couverture convergent : une sombre tour de papier se consume et s’effondre, comme une Twin Tower du 11 septembre 2011. En 185 pages et douze chapitres numérotés, sans titres, Pierre Mari livre un réquisitoire contre une sorte de fin du monde. Celle de son pays qui lui fait mal depuis près de quarante ans et qui pourrit par la tête comme le poisson sorti de l’eau.
La superbe langue de l’auteur ne laisse aucun répit à ces acteurs de la déroute, qualifiés d’ennemis, qui n’écoutent rien de qui pourrait endiguer l’inexorable. C’est de cet abaissement, de ce combat perdu contre des spectres informes, de cette défaite sans déclaration de guerre, sans trêve, sans concessions, sans cessez-le-feu, sans paix possible que parle ce livre.
Points forts
C’est l’un des drames de l’écrivain : il n’a pas l’adresse de ses lecteurs. Plus grave encore, il sait, du fond de son silence, que les destinataires de cette lettre l’ignorent, quitte à la lui renvoyer en NPAI (N’habite Pas à l’Adresse Indiquée). Mais il se moque des fauteurs de désastre comme Marc Bloch dans son « Etrange défaite » ou Georges Bernanos dans ses fulgurantes colères de l’entre-deux guerres. «Etre là -bien là- jusqu’à la nausée » est la seule ambition de l’existence de ces gens-là. Mais pour eux le mot est excessif.
Dans un acte d’accusation implacable, Pierre Mari décrit le pays qui nous reste, là où nos « élites » (les guillemets peuvent servir de pincettes) nous ont menés. Dans la communication, fleuron de la « nullisation », la langue française tient le premier rôle. C’est la victime qui meurt à la fin. Gorgés de vide, nourris de peu, arrachés à leur sens, les mots « outragés », « martyrisés », ont été confisqués au peuple, sommé d’entendre ce qui est bon pour lui. Dans ce pays défait, il est vain de faire la part respective de la colère, de l’abandon, de la tristesse, de l’humiliation ou de la désespérance. Face à cette ruine en marche, à ce cycle « dérisionnel » infernal, la liberté appelle à la barre la lucidité, la force et le refus.
Quelques réserves
Frustré de cette noirceur sans pathos ni nostalgie, l’homme d’action regrettera les manques de ce tableau de maître : le pourquoi, le que faire ? Et même le nom en clair des coupables, dédouanés de toute responsabilité. La défaite se complait dans la masse, le bruit et l’anonymat d’une époque qui ne supporte plus l’héritage de celles qui l’ont précédée.
Encore un mot...
Loin du déclinisme ordinaire, écrire vrai, le verbe à l’assaut pour contenir la chute des mots. Voilà un tableau salutaire, sans concessions, du conformisme géant en pleine métastase, de la nouvelle « trahison des clercs » et du « marché aux réputations dans lequel nos élites s’ébrouent ». Avec un accent de désespérance lucide pour taquiner le lecteur que l’auteur, dans son appel, nomme même « auditeur ».
Une phrase
"Dans une autre époque, j’aurais pu être des vôtres.
Le choix des mots nous juge.
Il n’y a plus personne aux étages supérieurs. Des épouvantails (…), des illuminés (…), des supertechniciens sans âme.
Le vertige, ce n’est pas seulement le vide au-dessous de soi. C’est aussi le vide au-dessus.
Votre vocabulaire et vos images parlent trop haut et trop fort pour ce que vous avez à nous dire.
Les anonymes considèrent que vous parlez la langue de l’occupant.
Tout ce qu’ils ont désappris à nommer, à regarder et à penser gronde à leur porte.
Ce chagrin ne désarmera plus jusqu’à ma mort. Ma volonté entend jouer la partie jusqu’au bout.
Ce refus, chers auditeurs, c’est ma façon d’être vivant".
L'auteur
Né à Mostaganem en 1956, Pierre Mari est universitaire et a enseigné à l’école normale supérieure avant d’animer des séminaires en entreprise. Esprit critique sur le management et ses modes, il est, entre autres, l’auteur de Kleist, un jour d’orgueil (2003, PUF), Résolution (Actes Sud, 2005), L’ange incliné (2008, Actes Sud), Les grands jours (Fayard, prix Erwan Bergot, 2013), Les sommets du monde (Fayard, 2017). En pays défait est son 10ème ouvrage.
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