Du Guesclin

Forces et faiblesses du plus glorieux des preux chevaliers, un des pères de la nation française
De
Jean-Michel Dasque
Editeur : Ellipses
Mars 2021
384 p.
26 €
Notre recommandation
4/5

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Thème

Bertrand Du Guesclin nait vers 1320 près de Dinan en Haute Bretagne et meurt en juillet 1380, on peut dire bêtement, d’une dysenterie, au siège d’une forteresse méconnue, encore détenue par les Anglais, et en tous cas sans gloire eu égard à ses nombreux faits d’armes et ses services rendus au roi Charles V dont il fut le grand connétable. Il figure au panthéon de nos gloires militaires nationales au même titre que Charlemagne, Saint Louis, Jeanne d’Arc, le chevalier Bayard pour ne citer qu’eux. Personnage central de la guerre de Cent Ans, breton avant tout mais dévoué au roi de France et ennemi juré de l’Anglais, ce hobereau de petite noblesse fut enterré, salué par les plus grands du royaume, à la basilique Saint Denis, gisant couché au pied de son roi Charles V

A l’époque de Du Guesclin, la France, comme le dira Fernand Braudel, ce sont plutôt des Frances (mal) cousues ensemble. Jean-Michel Dasque nous le rappelle : la Bretagne se déchire avec la bénédiction de l’Anglais qui ne demande qu’à la cueillir, l’Aquitaine est perdue depuis longtemps après le mariage d’Aliénor, la Bourgogne est sous la coupe de Jean le Bon tandis que Charles II de Navarre dit le Mauvais (!) revendique avec force soldats le royaume de France. L’Auvergne quant à elle, qui vit la fin du Dogue de Brocéliande sous les murs de Châteauneuf  de Randon, subit les avanies des grandes compagnies (les fameux « routiers »). De leur côté, les Anglais s’approchent dangereusement des portes de Paris. On se souviendra longtemps de ce qu’il advint à Compiègne un siècle plus tard. Pour l’heure et heureusement, Bertrand les culbute à Meulan et résiste à Melun.

Mais l’auteur, et c’est là tout son mérite, fend l’armure et révèle à la fois les failles du héros et l’intelligence du stratège. Bertrand Du Guesclin est un homme de chair et de sang dont le courage phénoménal et une volonté de fer dissimulent mal une grande sensibilité, un sens du devoir inégalable et une fidélité à ses engagements reconnue par ses pires ennemis. En réalité l’indomptable Du Guesclin se révèle un fin politique dont le roi ne peut se passer, un chef de bande autant qu’un chef des armées (connétable pendant dix ans) qui remporta ses victoires (Cocherel, la plus significative pour lui) souvent par la ruse et a su tirer parti de ses défaites (et il y en eut, à Auray par exemple où il est fait prisonnier) par l’intox et par la négociation.

Points forts

L’auteur va droit au but, dans un style direct et sobre ne se perdant pas dans des considérations politiques ou sociologiques qui risqueraient d’égarer le lecteur non averti comme peut le faire le style fleuri du brillant universitaire Thierry Lassabatère dans son Du Guesclin. La démonstration est factuelle et s’appuie sur des sources indiscutables, archives,  chroniques d’époques, œuvres d’historiens de France, d’Espagne ou d’Angleterre, récits, poèmes, correspondance papale, faits avérées ou légendes solidement ancrées, et nous délivre une belle et bonne reconstruction historique et accessible à tous. On notera les citations tirées de La Chanson de Bertrand Du Guesclin de Cuvelier, ou celles extraites de la chronique de Jean Froissart relative à la bataille de Cocherel en Normandie (1364) et celles de du Hay du Chatelet (histoire de Bertrand Du Guesclin,1366).

Son Excellence Jean-Michel Dasque, ambassadeur de France, rompu à la lecture et aux décryptage des traités, fin observateur des décisions prises pour raison d’Etat ou simplement du fait du Prince, apporte un peu de clarté dans la confusion des batailles, des alliances et des trahisons, des conquêtes provisoires et pertes éphémères et ce, sur des multiples champs de bataille où s'est illustré le chef de guerre qui vont des côtes bretonne et normande aux vallées de la Seine, à l’Angoumois, au  Saintonge et à l’Aunis, jusqu’aux frontières de la Navarre, de l’Aragon et la Castille soit les 2/3 de l’Espagne

L’auteur démontre aussi son sens de l’épique et de la mise en scène, par exemple la description de la bataille Moncontour révélant un Du Guesclin qui, plein de fureur, semble perdre ses nerfs. Du Guesclin, un sacré caractère ! J.M. Dasque termine son ouvrage avec une touche d’objectivité qui fait un peu descendre le connétable de son piédestal mais le rend très humain en fin du compte.  Notre héros légendaire n’est pas exempt de reproches : à force de  commander aux « routiers » des grandes compagnies sans foi ni loi et honnis par le peuple (mais il les recruta pour guerroyer avec eux en Espagne), leur mauvaise réputation finit par déteindre sur lui ; on le traita souvent lui et ses fidèles de « gens de (mauvaise) compagnie » ! Nous n’en ferons pas un soudard pour autant.

Du Guesclin est-il une brute assoiffée de sang, coupable de massacre sans appel ? Il est vrai que parfois, lorsqu’il se sent trahi, étant un homme de parole et d’honneur chevaleresque, la rage le conduit aux pires extrémités. L’auteur le rappelle en décrivant le sort horrible réservé à un chevalier anglais Jehannequin Louet coupable simplement d’avoir mis les armes de Du Guesclin à l’envers en signe de dérision. Disons qu’il avait la tête près du bonnet. Enfin, une anecdote qui ne manque pas de grandeur ni de saveur : le chiffre astronomique exigé pour la libération de Du Guesclin fait prisonnier par le Prince Noir à Najera : 100 000 livres (150 kilos d’or fin), fixé par lui-même et par orgueil et finalement libéré sur parole (l’épouse du Prince Noir elle-même en paiera une partie. Charles V paiera le solde plus tard). Du Guesclin têtu comme un breton pouvait aussi avoir la grosse tête. 

Quelques réserves

Vraiment très légères. Toutefois l’iconographie est assez pauvre et la cartographie totalement inexistante. La compréhension de cette première phase de la guerre de Cent Ans et des positions occupées par  les différents protagonistes en souffre. Ainsi la constitution progressive des royaumes de France reste, hormis les noms et les dates, trop floue. Les cours d’histoire médiévale sont bien lointains pour la majorité d’entre ceux qui, malgré tout, restent passionnés par l’histoire de France, nostalgiques de sa grandeur.

Encore un mot...

Jean-Michel Dasque a l’immense mérite de braquer les projecteurs contemporains sur l’un des personnages les plus importants de la construction de « l’Archipel » français, qui s’édifie peu à peu tel un Lego et ce au moment où les grandes unités, Europe et France réunies semblent vouloir s’autodétruire (!). En outre, dans un souci de rigueur et de vérité, l’auteur s’applique à coller aux seules mémoires et chroniques contemporaines qui font autorité tout en gommant ce qui ressort du « merveilleux » et de l’imaginaire ; tel est le cas de la Chanson  de 20  000 vers du poète Jacquemard Cuvelier (composée pratiquement à chaud entre 1385 et 1390). Tel est le cas également des témoignages et des immenses chroniques indiscutables (4 volumes, le premier livre en 1369) de l’historiographe Jean Froissart (1337-1400), familier de la cour d’Angleterre d’ Edouard III.

Une phrase

« Bertrand De Glaicquin qui tant est renommé
Etait dans la mêlée comme une bête enragée ;
Il ne frappait Anglais qui n’y perde la vie ;
Comme celui qui tue des chiens sur la route,
Il les abat devant lui en criant « Notre Dame ! »
Sa chair est moite de sang et de sueur.
« Ayde Dieux, ayde notre patrie,
Si je suis battu je n’aurai plus de de seigneurie. » (Cuvelier, la Chanson)

L'auteur

Ancien élève de L’ENA, Jean-Michel Dasque a fait toute sa carrière au ministère des Affaires Etrangères.  Il a été ambassadeur en Papouasie-Nouvelle Guinée et en Equateur. A fondé et dirigé l’Institut du Pacifique. A écrit, chez le même éditeur : Géopolitique du terrorisme, Géopolitique du crime international, Le Chevalier Bayard (2018).

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