À demain Gramsci
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Dans un court essai (69 pages) Gaël Brustier, reprend le constat sans appel de Jean-Christophe Cambadélis : « la gauche n’est plus en situation d’hégémonie culturelle ». L’auteur énumère rapidement les racines de ce déclin – qui ressemble étrangement à une défaite, partant du postulat qu’aucune domination politique n’est possible sans hégémonie culturelle.
Le leitmotiv du livre: la pensée de Gramsci – marxiste italien, victime du régime Mussolinien – et sa potentielle portée quant aux problématiques que traverse la gauche actuellement. Sont notamment mis en avant les notions de « sens commun » et « d’hégémonie culturelle » développées par Gramsci pour renverser l’ordre capitaliste. La gauche française serait entrain de se vider – s’est déjà vidée ? – de toute sa substance politique; elle est en passe de sortir de l’Histoire; son seul objectif serait désormais de « survivre » aux échéances électorales qui viennent, sauver ce qui peut encore l’être et se réformer sous peine de disparaître. Une partie de la gauche tournée vers les combats d’hier plutôt que vers les problématiques de demain n’arrivent pas à se réinventer, s’accrochant à un « social-libéralisme » caduc ; la solution pour une reconstruction idéologique et culturelle : Gramsci.
L’auteur fait le rapprochement avec la définition gramscienne de la « crise » - qui« consiste justement dans le fait que l'ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître : pendant cet interrègne on observe les phénomènes morbides les plus variés » - et le climat politique de la société française. Ces phénomènes morbides étant aujourd’hui représentés par ce qui découle de la droitisation de la société et les solutions proposées par les droites face à un déclin (non identifié), des solutions « autoritaires, inégalitaires et identitaires ».
Points forts
- La volonté de remettre en lumière les idées de Gramsci est intéressante et ne semble pas (complètement) anachronique, de nombreux points du « programme » gramscien étant cohérents : latin et grec sont le socle indispensable d’une « éducation nationale dans un pays du Vieux continent ». Nul besoin de simplifier les programmes à outrance pour les rendre égalitaires. Il faut simplement installer « l’école unitaire », c’est-à-dire généraliser l’enseignement des humanités pour les classes sociales les plus défavorisées (n’était-ce pas un des chevaux de bataille du modèle républicain ?).
- La nécessité de comprendre le rapport des classes populaires au catholicisme pour « savoir ce qui est, pour elles, acceptables ou non ».
- Le schéma de lecture, simple et la pensée très lisible de l’ouvrage. Rapide et efficace.
Quelques réserves
- À demain Gramsci voudrait-il – à lui seul – sauver la gauche française ? Ça serait sans doute grossir le trait et prêter de fausses intentions à l’ouvrage et à son auteur. Toutefois, il n’est pas inintéressant de noter que ce livre s’adresse explicitement à un certain camp en vue de rattraper son supposé retard sur un autre, voire de le vaincre : « La gauche française a déserté le champ de la bataille culturelle. Lire Gramsci lui permettrait d’y revenir et, pourquoi pas, d’y vaincre la droite. »
Mais aujourd’hui, le débat des idées n’est-il pas aussi creux à gauche qu’à droite ? comme dans tout le panorama politique français du reste. Si l’auteur pense, vraisemblablement, que la droite domine le paysage politico-intellectuel français il faut lui rappeler que Régis Debray, Alain Finkielkraut ou encore Michel Onfray ne semble pas être ce qu’il est convenu d’appeler des « intellectuels de droite ». Or ce sont eux qui dominent dans une grande partie – et avec une crédibilité certaine – la place médiatique. Les idées qu’ils véhiculent sont-elles de droites ? Non. Mais qu’est-ce qu’une idée dite de droite aujourd’hui, dans un panorama politique où le libéralisme tend à sérieusement gommer les différences entre les deux partis dominants en France? Le clivage gauche-droite sera t-il encore effectif bien longtemps ? (cf. La France périphérique de C. Guilluy).
- L’auteur parle des droites conservatrices, radicales et extrêmes: toutes les lignes dites de droite peuvent-elles être emmêlées dans un même sac ? (Il en va de même pour « les gauches »).
- Ça manque de densité, on aimerait bien aller plus loin, mais à la décharge de l’auteur c’était annoncé dès le départ : « Ces sujets et bien d’autres que la brièveté du livre nous empêche d’aborder. » Dommage tout de même …
Encore un mot...
A lire, par curiosité intellectuelle.
Une phrase
« Nous sommes de plus en plus nombreux à être fatigués d’être fatigués. »
L'auteur
Gaël Brustier est essayiste et membre de l’Observatoire des radicalités politiques de la fondation Jean Jaurès. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont Le mai 68 conservateur. Que restera t-il de la manif pour tous ? (Cerf, 2014)
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