Décadence

Intéressant, mais bavard et obsessionnel
De
Michel Onfray
Editions Flammarion - 647 pages
Notre recommandation
3/5

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Thème

Les civilisations sont mortelles. Elles naissent, grandissent et meurent. Depuis 2000 ans, née de la bible et du christianisme, la nôtre s'est construite, développée, affirmée. L'église et l'association des pouvoirs temporels et spirituels ont été son socle, partout en Occident, jusqu'au siècle des lumières. Michel Onfray en dissèque les ressorts, à travers prophètes, conciles, philosophes, théologiens, papes, empereurs, rois, dictateurs, prédicateurs. 

Il décèle les premières fissures de notre civilisation judéo-chrétienne à la Renaissance - Descartes, la Science, le Raison, la naissance de l'idée d'individu. La révolution de 1789 annonce la mort de Dieu, les philosophes autant que les dictateurs, annoncent la fin de l'histoire. La naissance de l'Islam, brasier dont l'incandescence a été oubliée jusqu'à la radicalisation revendiquée par l'Ayatollah Khomeiny puis Ben Laden, sonne, dès le 8ème siècle la chronique d'une décadence dont la démocratie serait le vecteur. 

Très largement documentée et argumentée, cette analyse critique de la civilisation judéo-chrétienne du 1er siècle au 11 septembre 2001 (et jusqu'à notre actualité la plus récente), constitue le fil conducteur de ce livre.

Points forts

1- Un essai extrêmement bien écrit et documenté. Il décrit précisément ce qui pourrait avoir conduit de la vitalité à la  décadence la civilisation occidentale. Les citations, les auteurs, les exégèses de textes sont extrêmement nombreux, pertinents - du moins intellectuellement - car il est aussi possible de ne pas y adhérer.

2- Michel Onfray est un homme libre. Dieu, Marx, Lénine, les intellectuels dits "de gauche" n'ont aucune influence sur lui. Ses vérités ne sont pas politiquement correctes. Il fait partie des hommes qui partent des faits pour analyser l'histoire et la société, et non pas de ceux qui évacuent les faits quand ils contredisent les idéologies.

3- Cette indépendance d'esprit, que certains considéreront comme un mépris souverain pour nos racines chrétiennes, offre des analyses loin des stéréotypes de notre histoire "officielle". Pour n'en citer que quelques unes : la construction du christianisme, de conciles en conciles, d'arbitrages entre textes apocryphes et évangéliques, les fondements de l'inquisition, des procès faits aux animaux, aux sorcières, du rôle de la déconstruction philosophique (de Rousseau au structuralisme), de la révolution nihiliste dans l'art, de la révolution russe et du marxisme léninisme, des fascismes allemands, italiens et espagnol, de la génération "68", et des effets pervers de "l'interdiction d'interdire"…

4- Un nombre incroyable de mots que l'on a que très rarement l'occasion de lire : du césaropapisme aux guerres picrocolines, des sycophantes aux dictatures germanopratines, des monarchomaques libellistes à l'érasmisme, la parousie, la dulie, la transsubstantiation, l'immanence…  je vous laisse le plaisir et la surprise d'en découvrir des dizaines d'autres !

5- Pages 599 à 610, la bibliographie rédigée est une bonne idée, source intéressante et accessible qui explique les partis pris de l'auteur.

Quelques réserves

1- Un acharnement absolu à démontrer les excès et folies perpétués au nom de Dieu ou d'Allah. Les mises en cause des "absurdités" ou "partis pris" de la religion catholique et de leurs conséquences politiques sont lourdes et répétitives. Au-delà de l'exposé des faits, elles pourraient être perçues comme injurieuses.

2- En toute logique avec ce qui précède, cet ouvrage gagnerait sans aucun problème à maigrir de 300 pages.

3- Quelques raccourcis qui ne manqueront pas de braquer certains lecteurs, à l'image de l'affirmation que l'antisémitisme de l'ancien testament comme le Christ chassant les marchands du temple "annoncent Hitler et la Shoa ".

Encore un mot...

Il y a dans ce livre énormément de choses à lire, à commenter, à rejeter ou à retenir. Il est aussi riche que troublant. Sa liberté d'esprit est vitalisante, son irrévérence dérangeante, parfois choquante. Pour autant, sa force réside dans cette liberté d'analyse qui permet de considérer les faits dépouillés des idéologies, pour décortiquer les raisons de cette "Décadence" annoncée.

Comme ce livre est long, aux paresseux et aux pressés, je propose la lecture de la préface et de l'introduction. Tout y est dit : la civilisation judéo-chrétienne est moribonde ; vous avez 600 pages derrière pour vous en laisser convaincre. Faites quand même un saut  page 508 et vers les pages 580, la substantifique moelle de notre décadence y est résumée.. 

Ce livre mériterait une mention "excellent" pour l'indépendance de l'analyse par rapport aux thèses consensuelles et peut être mortifères de l'avenir multiculturaliste de notre civilisation. Mais mon évaluation est modérée par l'ambigüité du parti pris religieux, racine de notre civilisation et de sa décadence, dit Michel Onfray. Pour autant, si le fait religieux percute aujourd'hui notre quotidien, il n'est peut être pas le seul fondement de notre civilisation, ni le seul ferment de sa fragilité.

Une phrase

- "Le Christ casqué et armé qui triomphe, de Constantin au pont Milvius à Pie XII en compagnie des dignitaires du 3ème Reich, en passant par saint Bernard de Claiveaux qui prend la tête des croisades, ou Hernan Cortès qui extermine les peuples amérindiens, laisse place au Jésus des Béatitudes. Mais les civilisations se bâtissent à l'ombre des épées, et non à celle des oliviers."

"… Le dieu de colère laisse place au Dieu d'amour. Or la colère fait peur et tient les loups à distance alors que l'amour est une évidente promesse de victoire pour ceux qui ont choisi la haine."; P 508

- "La philosophie de l'histoire coïncide avec une éthologie planétaire qui met des forces en lutte. Ce qui vainc n'est jamais le plus juste ou le plus vrai, mais le plus fort, le moins faible. On ne gagne pas avec la vérité la plus vraie ou avec la justice la plus juste, mais avec la force la plus forte. Or la force ignore le bien et le mal… Dans cette logique éthologique, le bien nomme ce qui a vaincu ; le mal ce qui a perdu." P 581

L'auteur

Michel Onfray est un philosophe atypique, "libre et indépendant". Cet "héritier de Nietzsche"est l' auteur de plus 80 ouvrages, dont le Traité d'athéologie (un grand succès littéraire) - ce qui donne le ton de la relation de l'auteur avec le fait religieux ! Il se dit aussi producteur d'information, pour défendre son indépendance et sa "liberté de dire" par rapport aux pouvoirs, aux écoles de pensée et aux médias. Il se définit comme homme de gauche,  à la pensée "libertaire". Pour autant, il est souvent rapproché de Michel Houellebecq, Eric Zémmour, Elisabeth Levy ou Alain Finkielkraut. Sa particularité le rend inclassable - défenseur de l'euthanasie, opposant à la théorie du genre, défenseur des fondamentaux éducatifs, procapitaliste mais antilibéral…

Après Cosmos (paru en 2015), Décadence est le second "épisode" de la "Brève encyclopédie du monde". Le troisième (en 2018 ?) aura pour titre Sagesse.

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